Navalny, figure de l’opposition

Par Anna Blay
Image : Photo DR

Publié le 30 avril 2021

Qui est Alexeï Navalny, l’opposant russe aujourd’hui incarcéré dans une colonie pénitentiaire et en phase d’être transféré dans un hôpital pénitentiaire selon les autorités carcérales russes ? Son nom revient régulièrement dans les journaux, à mesure que son état de santé se dégrade et que les contestations en Russie s’intensifient.

Avocat à la suite d’études de droit dans une faculté moscovite et titulaire d’une bourse de l’université américaine de Yale, il est aujourd’hui perçu comme l’opposant numéro un de Vladimir Poutine.

Navalny, l’opposant anticorruption

En 2010, le journal Le Monde le décrit comme un bloggeur à la tête du site internet dénommé « Rospil » se donnant pour but de combattre la corruption. En 2011, au lendemain des résultats des élections législatives, il fait partie des contestataires et participe aux manifestations : il est alors arrêté et condamné pour quinze jours de détention pour trouble à l’ordre public. En 2013, il est accusé dans une affaire de corruption et condamné à cinq ans mais est remis en liberté en attendant le jugement de l’appel. En parallèle, il se présente à la mairie de Moscou et obtient un score relativement haut s’élevant à 27 % des suffrages. Un mois plus tard, l’appel le condamne à cinq ans d’inéligibilité. Passant outre ce jugement, il fait campagne pour la présidentielle en 2018 qu’il finira par boycotter, accroissant sa popularité notamment auprès de la jeunesse russe. L’année suivante, il prend part aux manifestations de Moscou d’été 2019 pour réclamer des élections libres durant lesquelles il sera arrêté et mis pour une courte période en prison. Durant les années 2010, il a été arrêté notamment lors des manifestations et condamné à payer des amendes à de multiples reprises et pour diverses raisons.

Toutefois, le journal Le Monde dans article datant du 2 février 2021 décrit un « positionnement idéologique flou » et relate son bannissement des partis libéraux pour cause d’une tendance nationaliste en 2007 et sa participation aux « marches russes » décrites comme un évènement ultranationaliste en 2011.  

L’épisode d’empoisonnement en août 2020

Le 20 août 2020, Alexeï Navalny est hospitalisé en urgence dans l’hôpital d’Osmk en Sibérie avant d’être transféré à l’hôpital de la Charité à Berlin.

A. Navalny accuse le FSB, le service de sécurité russe de l’avoir volontairement empoisonné sur ordre du Kremlin. Les laboratoires européens ont en outre trouvé une substance qui a été identifiée à un agent neurotoxique militaire mis au point durant la période soviétique. Le pouvoir russe avait alors nié tout acte criminel et laissait entendre une version alternative d’un empoisonnement commis après son transfert en Allemagne, pendant que les pays européens continuaient d’exiger une clarification de cette affaire, une exigence partagée par la Haute Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme. Cette non-volonté des autorités russes à mener une enquête est toujours d’actualité. La police russe avait certes ouvert un « examen préliminaire » mais avait abouti au fait qu’aucune preuve ne démontrait un « crime ». Le 22 mars 2021, l’un des porte-paroles d’un tribunal militaire confirme le rejet de la plainte de l’opposant concernant l’« inaction » des enquêteurs  sur son empoisonnement.

Le retour en Russie et sa condamnation

Le 17 janvier, il prend un avion pour retourner à Moscou où il est arrêté et mis en prison. Deux jours plus tard, il met en ligne une vidéo mettant en cause le Président lui-même : Un palais pour Poutine, comptabilisant en quelques jours 53 millions de vues. Toutes les accusations portées dans la vidéo sont réfutées par le Kremlin.

Face à des inquiétudes grandissantes, l’ambassadeur russe de Londres a assuré que Moscou « ne laissera pas M. Navalny mourir en prison »

Le 2 février 2021, l’opposant russe est condamné à deux ans et demi de prison pour ne pas s’être présenté devant l’administration pénitentiaire pendant ses cinq mois de convalescence alors qu’il était sous contrôle judiciaire. Il s’agit d’une affaire remontant à 2012 : les deux frères Navalny sont alors actionnaires d’une entreprise de logistique qui passe un contrat avec la marque française Yves Rocher. La société dépose plainte contre eux pour « suspicion d’escroquerie » dont beaucoup soupçonnent qu’elle a été portée sous la pression des autorités russes. Deux ans après, Yves Rocher retire sa plainte mais le système judiciaire russe poursuit la procédure et juge et condamne le frère de Alexeï Navalny à trois ans et demi de prison ferme, et Alexeï Navalny à trois ans et demi de prison avec sursis. Cette peine est confirmée respectivement par la Cour d’appel de Moscou en 2015 puis la Cour suprême de Russie en 2018. À la suite de cette condamnation, A.Navalny devait se soumettre à un contrôle judicaire qu’il n’a pu respecter pour cause de sa convalescence de cinq mois en Allemagne. Dès son retour, il a été arrêté afin d’être jugé et condamné.

Son incarcération et la dégradation de son état de santé

À la suite de sa condamnation, il est incarcéré dans la colonie pénitentiaire de Pokrov se situant à une centaine de kilomètres à l’est de Moscou et qui aurait la réputation d’être l’une des plus dures du pays après avoir passé un séjour en quarantaine dans un centre de détention.

La Cour Européenne des droits de l’Homme, chargée de faire respecter la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme que la Russie a signée, a demandé la libération de A.Navalny en évoquant « un risque pour la vie du requérant ». Théoriquement obligées d’obéir à ces mesures, les autorités russes ont notifié leur refus en arguant une ingérence de cette Cour dans leurs affaires internes. En outre, dès 2015, le Parlement russe avait adopté une loi prévoyant la non-application des décisions de la Cour européenne dès que ces décisions étaient jugées contraires à la législation russe.

Aucune sanction supplémentaire n’a été adoptée ni sur le dossier Navalny, ni sur l’augmentation de troupes russes amassées à la frontière ukrainienne

Depuis le 31 mars, l’opposant russe avait entamé une grève de la faim afin de manifester contre ses mauvaises conditions de détention ; les autorités carcérales lui refusant ses médicaments et le réveillant plusieurs fois par nuit afin de s’assurer de sa présence dans sa cellule. Selon ses avocats il souffrirait d’une double hernie discale, et ses porte-paroles et son médecin personnel estiment pour leur part que de graves problèmes cardiaques pourraient intervenir à tout moment. Selon sa femme, qui a pu le voir il y a deux semaines, il aurait perdu 17 kg.

La communauté internationale a vivement réagi : d’une part les États-Unis ont déclaré qu’« il y aura des conséquences si Navalny meurt » quand Jean-Yves le Drian, ministre français des affaires étrangères a exprimé sa préoccupation et son souhait de le voir libéré, tandis que l’Allemagne a estimé qu’il fallait qu’un traitement urgent lui soit administré. Face à des inquiétudes grandissantes, l’ambassadeur russe de Londres a assuré que Moscou « ne laissera pas M. Navalny mourir en prison » avant d’ajouter que dans de nombreuses prisons à travers le monde, les prisonniers n’avaient pas le droit de consulter leur médecin personnel.

Les autorités carcérales russes ont annoncé lundi 19 avril le transfert de A.Navalny dans un hôpital pénitentiaire ajoutant qu’ils jugent son état de santé « satisfaisant » et qu’il avait accepté un remède à base de vitamines. Cette annonce d’un transfert est contestée par l’un de ses proches, Leonid Volkov. À l’issue de la réunion des ministres des affaires étrangères des États membres de l’Union européenne, aucune sanction supplémentaire n’a été adoptée ni sur le dossier Navalny ni sur l’augmentation de troupes russes amassées à la frontière ukrainienne, estimant respectivement que leur demande première qui avait été le transfert de A.Navalny dans un hôpital avait été satisfaite et préférant essayer la désescalade avec la Russie. Cependant, les experts des droits humains mandatés par les Nations unies demandent un transfert de Navalny dans un hôpital étranger.

L’appel à la manifestation du 21 avril

Le 21 avril était la date retenue par le pouvoir pour le discours du Président face aux deux chambres formant le Parlement. C’est également la date choisie par les opposants du régime et les alliés de Navalny pour manifester contre son mauvais état de santé qui pourrait selon eux le conduire à la mort, tout en continuant à revendiquer le droit de s’opposer au pouvoir en place. En effet, le camp de M. Navalny n’ayant jamais pu devenir officiellement un parti, ses deux structures principales sont en phase d’être considérées comme « extrémistes » et toute collaboration avec pourrait alors être punie de six ans de prison. Des milliers de personnes ont manifesté et selon Le Monde, plus de 400 personnes ont été arrêtées dans le pays ce mercredi soir 21 avril.

Sources :
« Russie : Alexeï Navalny est « en grave danger » et doit être évacué à l’étranger, selon des experts de l’ONU », France info avec AFP, 21 avril 2021
« En Russie, les proches d’Alexeï Navalny appellent à la mobilisation contre le pouvoir le 21 avril », Benoit Vitkine publié le 19 avril 2021, Le Monde 
« Navalny, Ukraine : l’UE ne sanctionne pas Moscou, mais surveille de près la situation », Jean-Pierre Stroobant publié le 19 avril 2021, Le Monde
« Alexeï Navalny transféré à l’hôpital, annoncent les autorités carcérales russes », Le Monde avec AFP publié le 19 avril 2021
« L’état de santé d’Alexeï Navalny inquiète la communauté internationale, Moscou « ne le laissera pas mourir en prison » », Le Monde avec AFP, publié le 18 avril 2021
« Alexeï Navalny empoisonné : la justice militaire russe refuse d’enquêter », Le Monde avec AFP, publié et mis à jour le 22 mars 2021
« Estimant la vie d’Alexeï Navalny menacée, la CEDH demande sa libération », Benoit Vitkine publié le 18 février 2021, Le Monde
« Le groupe Yves Rocher n’arrive pas à se débarrasser de l’affaire Alexeï Navalny », Juliette Garnier publié le 2 février 2021, Le Monde
« Comment Alexeï Navalny est devenu la bête noire de Vladimir Poutine », Le Monde, 2 février 2021, Le Monde
« Comment Alexeï Navalny est devenu la bête noire de Vladimir Poutine », Benoit Vitkine publié le 22 janvier 2021, Le Monde
« L’opposant russe Alexeï Navalny sort du coma, Moscou continue de nier tout acte « criminel » », Benoit Vitkine et Thomas Wieder, publié le 8 septembre 2020, Le Monde
« « Le patient russe » : Alexeï Navalny, l’opposant dont Poutine ne prononce jamais le nom », Benoit Vitkine publié le 31 août 2020, Le Monde « Alexeï Navalny : la première fois que « Le Monde » l’a écrit », Agnès Gautheron publié le 28 août 2020, Le Monde

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