Woolf, rencontre entre narration et réflexion

Par Lou Abadie
Illustration : @lesmondesdelumi (Instagram), d’après un portrait de Virginia Woolf par George Charles Beresford
Publié le 16 mai 2021

Virginia Woolf a 24 ans lorsqu’elle fait son entrée dans le monde des lettres, en devenant dès 1905 critique littéraire pour le Times Litterary supplement. La jeune Anglaise désire rapidement devenir écrivaine ; avant même d’écrire son premier ouvrage, elle envisage déjà de renouveler la forme du roman.

En 1908, dans une de ses correspondances, elle affirme en outre vouloir proposer « une transformation du roman, pour saisir une multitude de choses à présent fugitives, envelopper et façonner une infinité de formes étranges ». Le caractère éclectique de l’œuvre de Virginia Woolf, son style unique et personnel et la multitude des genres comme des sujets dont elle se saisit sont donc le fruit d’une intention affirmée et ambitieuse : l’écrivaine est déterminée à créer un objet littéraire nouveau, en rupture avec les formes existantes.

Virginia Woolf s’attache à traduire l’expérience sensible d’un individu, et ne se contente pas de livrer les péripéties d’un personnage

Dans l’ensemble de ses ouvrages, Virginia Woolf propose une réflexion sur l’acte artistique, et plus particulièrement sur le processus de création scripturale. En général, l’écrivain·e d’une œuvre fictionnelle cherche à faire oublier sa présence, à agir comme s’il n’y avait pas de média entre le récit et le·a lecteur·ice ; il en est de même pour un ouvrage argumentatif, où l’auteur·ice tente de disparaître afin de proposer une pensée qui tend vers l’objectivité. À contre-courant de cette norme, Virginia Woolf affirme toujours son existence au sein des lignes qui sont siennes. Ainsi, lire une de ses productions, c’est accéder à une réflexion continue sur l’acte d’écrire. L’autrice ne disparaît pas derrière ses personnages, et cela permet de garder une certaine distance avec l’œuvre ; on suit à la fois un récit, mais également le cheminement de pensée de l’écrivaine qui a rendu possible ce récit. Par exemple, dans le roman Orlando, le personnage éponyme est tourmenté par la question de la création poétique, et on reconnaît au travers des préoccupations du protagoniste celles de Virginia Woolf. Dans Une chambre à soi, un essai féministe où sont explorées les conditions matérielles permettant à une personne de se muer en auteur·ice, la voix narrative est la sienne propre. Elle développe ainsi une argumentation fondée sur son expérience personnelle, celle d’une femme qui tente d’écrire au tournant du XXe siècle.

Par ailleurs, l’écrivaine a relevé haut la main son défi de renouveler la forme romanesque ; dans son œuvre, les genres se retrouvent ainsi habilement mêlés. Dans ses écrits, Virginia Woolf s’attache à traduire l’expérience sensible d’un individu, et ne se contente pas de livrer les péripéties d’un personnage. Le récit se situe plus au niveau du cheminement interne du ou de la protagoniste, ses aventures étant plus une sorte de décor dont le réalisme importe peu. Ainsi, Orlando vit des siècles durant, et voyage à l’autre bout du monde ; il existe un décalage entre la fantaisie du cadre matériel et les sentiments du personnage, eux décrits avec justesse et sincérité. L’ensemble des ouvrages de Virginia Woolf sont caractérisés par une tension continue entre l’expérience sensible, qui relève des genres fictionnel et autobiographique, et la réflexion philosophique. Ainsi, un·e narrateur·ice-personnage est souvent utilisé·e dans ses essais, tandis que dans ses romans et nouvelles le sexisme, l’art, la nature et le temps sont des thèmes constamment interrogés. La nature duelle de ces œuvres se ressent jusqu’au style même. En effet, l’écriture est à la fois concise et claire, mais également infiniment poétique. L’auteure maintient une tension entre écriture réaliste et écriture métaphorique, et cet exploit est à l’origine de ce style unique et attachant.

N’hésitez donc plus et attrapez un ouvrage de Virginia Woolf au hasard ; qu’il s’agisse d’une fiction ou d’un essai, réflexion comme escapade sont garanties !

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