La pertinence du temps de parole en question

Par Marion-Eva Zatchi-Bi
Image : Archive Ina, Présidentielle, la parole chronométrée depuis 1965
Publié le 8 avril 2022

Régulé par l’ARCOM, une nouvelle autorité indépendante, le temps de parole des douze candidat·es à la présidentielle est comptabilisé, pour chacune de leurs interventions directes ou indirectes, dans les médias audiovisuels et à la radio. Ce système visant à offrir à chaque candidat·e la chance de défendre son projet auprès des citoyen·nes est concurrencé par l’émergence de nouveaux médias en ligne, qui rendent plus difficile l’application de ce principe.  

Dans le cadre de l’élection présidentielle de 2022, une nouvelle autorité indépendante nommée ARCOM, née de la fusion du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) a été mise en place pour réguler la communication audiovisuelle et numérique. Durant la campagne présidentielle, elle est en charge du contrôle du temps de parole des candidat·es et de leurs soutiens dans les médias audiovisuels et à la radio. Cette pratique, devenue constitutionnelle en 1986, avec la loi Léotard, vise à assurer le pluralisme politique dans les médias. Elle assure l’accès de tous·tes les citoyen·nes à une information politique diverse et variée.

La régulation du temps de parole

Afin de faire respecter le pluralisme politique, les médias, hors période électorale, doivent accorder un tiers du temps de parole à l’exécutif et les deux autres tiers aux autres formations politiques. Lors d’élections, en particulier pour la présidence de la République, les règles de décompte du temps de parole sont divisées en trois périodes.

La première, qui s’étend du 1er janvier au 27 mars, se scinde en deux temps. Avant la publication de la liste des candidat·es officiel·les par le Conseil constitutionnel, un principe d’équité entre les candidat·es doit s’appliquer, l’objectif étant que toutes les personnes susceptibles ou non de participer à la présidentielle, puissent avoir du temps de parole. Par équité médiatique, l’ARCOM entend une prise en compte des candidat·es en fonction de leur « représentativité » évaluée par des sondages ou par leur « contribution à l’animation du débat électoral ». Par conséquent, plus le·a candidat·e a un poids politique important et de l’ancienneté dans le domaine politique, plus iel pourra avoir du temps d’antenne durant la campagne informelle. En guise d’exemple, le président de l’ARCOM Roch-Olivier Maistre, déclarait sur France info en janvier 2022 que, même si Valérie Pécresse et Éric Zemmour étaient assez près l’un·e de l’autre dans les sondages, iels ne bénéficieraient pas du même temps de parole. Cela s’expliquerait par « l’historique » du parti politique des Républicains.  Après le 7 mars, date de publication des candidat·es officiel·les jusqu’au 27 mars, une période d’ « équité renforcée » est appliquée : tous·tes les candidat·es devront bénéficier d’une programmation comparable.

La deuxième étape débute le 28 mars, quinze jours avant le premier tour, jusqu’au 8 avril. Durant celle-ci, « les candidats doivent bénéficier des mêmes temps de parole et des mêmes temps d’antenne », les médias ont donc l’obligation d’offrir un temps de parole strictement égal à chaque candidat·e dans des « conditions de programmation comparable ». Ceux·lles présent·es au premier tour ne peuvent pas avoir un temps de parole inférieur à quinze minutes. Cette durée s’élève à une heure pour le second tour.

La dernière période est la période de réserve du 9 au 10 avril. Pendant celle-ci les candidat·es n’ont pas le droit de prendre la parole et les médias ne peuvent pas promouvoir un·e candidat·e plus qu’un·e autre. Après le premier tour, la période d’égalité reprend jusqu’au 22 avril, deux jours avant le second tour.

Des inégalités de traitement 

Toutes ces règles interrogent sur plusieurs points : peut-on considérer que donner davantage de temps de parole à un·e candidat·e ayant plus de popularité ou d’ancienneté est juste ? A contrario, imposer l’égalité entre tous les participant·es ne rendrait-il pas contraignant le travail des journalistes ? Certains, comme Frédéric Métézeau, trouvent que les règles qui s’appliquent aux médias audiovisuels et aux radios sont contraignantes. En 2015, il critiquait déjà les prérogatives imposées par le CSA dans le cadre des élections départementales (France Culture). Selon lui, ces obligations, telles que le respect d’équité, puis d’égalité entre les candidat·es, entraveraient la liberté des médias. C’est d’ailleurs pourquoi, il l’avait souligné lors de l’élection présidentielle de 2017 (France Inter).

À l’heure des réseaux et de l’information à la carte où chacun peut sélectionner, écouter et réécouter la radio, le CSA pense encore que l’information est linéaire et qu’elle se fait au poids, que peu importe le propos, une minute égale toujours une minute

François Métézeau sur France Culture (2015)

En effet, lors de la précédente élection présidentielle, les autorités de contrôle ont opté pour l’équité plutôt que l’égalité. Cette décision a eu un fort impact sur le temps de parole des candidat·es, en particulier les moins populaires. Jean Lassalle, candidat à la présidentielle de 2022, menaçait en mars dernier, de quitter la campagne électorale en raison de son manque de présence sur les chaînes de télévisions. Même s’il s’est rétracté, les comptes rendus, durant la période d’équité médiatique, affichent une importante différence entre les candidat·es. Du 8 au 20 mars, par exemple, alors que Valérie Pécresse était à 22 heures et 41 minutes de temps d’antenne, Jean Lassalle était, quant à lui, seulement 2 heures et 12 minutes (retranscription du Monde des chiffres de l’ARCOM, mise à jour du 24 mars). La différence de représentativité des candidat·es les moins populaires dans les médias, explique que ceux·lles-ci ne puissent pas exprimer leurs idées à la hauteur des autres candidat·es.

Infographie : Le Monde

Ces règles peuvent être d’autant plus contraignantes, dans la mesure où ce sont les rédactions elles-mêmes, qui doivent remettre leurs rapports de programmation. L’ARCOM publie toutefois les temps de parole et d’antenne au fur et à mesure.

Internet : une tribune moderne

De Tiktok à Twitter, en passant par YouTube, internet est devenu un outil incontournable pour les candidat·es à la présidentielle, qui n’hésitent pas à se prêter au jeu ; l’objectif étant d’atteindre une frange de la population plus jeune et connectée.

Même si cette pratique est récente, la campagne numérique est encadrée par l’ARCOM et la CNIL. Parmi les règles en vigueur, nous pouvons citer la liberté des partis et candidat·es à créer un site internet ou un compte de campagne sur les réseaux sociaux. Il leur est toutefois interdit, de « diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique, tout message ayant le caractère de propagande électorale », la veille du scrutin. De même, le jour du scrutin « la diffusion de tout résultat d’élection, partiel ou définitif, avant la fermeture définitive du dernier bureau de vote en métropole est également interdite par tout moyen de communication au public par voie électronique ». S’ajoute à cela l’interdiction de publier ou de faire des sondages électoraux la veille et le jour du scrutin. Plus important, les coûts liés à gestion du site internet et comptes des candidat·es  sont pris en compte par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Celle-ci contrôle les dépenses liées à la campagne des candidat·es, ainsi que le compte des partis politiques. Ces règles assez larges, ne couvrent cependant que les sites internet officiels, mais ne prennent pas en compte les interventions sur d’autres chaînes.

En effet, le temps d’antenne des candidat·es sur les médias en ligne n’est pas soumis aux règles d’équité et d’égalité fixées par l’ARCOM. Face à l’émergence des émissions politiques sur internet, Le Monde a créé le « Minuteur ». Mis en place en début d’année, ce logiciel semi-automatisé permet de mesurer le temps de parole de chaque candidat·e ou de ses portes- parole. Même si celui-ci ne s’applique que sur 19 chaînes (YouTube et Twitch), on observe une présence plus importante de certaines personnalités. D’après les résultats de l’enquête, entre le 1er janvier et le 28 mars 2022, les personnes en tête sur ces plateformes sont Jean-Luc Mélenchon (19 %) et Éric Zemmour (16 %) qui, à eux seuls, concentrent un tiers de l’audience. Nous pouvons donc constater une différence de traitement, et ce, même si quelques émissions cherchent à respecter une égalité entre tous. Selon les résultats du « Minuteur », toujours sur la même période, l’émission « Hugo décrypte » a accordé entre 21 et 25 minutes de temps de parole à chaque candidat·e (consultation 29/03). À l’inverse, sur le média en ligne Brut, seul quatre candidat·es sur douze apparaissent et tous·tes ne bénéficient pas de la même visibilité. Jean-Luc Mélenchon bénéficie de 1h18 minutes, tandis que Yannick Jadot apparaît pendant 50 minutes.

Infographie : Le Monde

Ces résultats s’expliquent par plusieurs facteurs : en premier lieu l’orientation du média, l’importance qui est accordée par chacun·e des candidat·es aux médias numériques ou encore de la popularité de celui-ci.

L’élection présidentielle de 2022 se caractérise donc par l’utilisation massive des médias alternatifs présents sur internet. Cela démontre une volonté des candidat·es de ne plus être totalement soumis·es aux limites imposées par l’ARCOM, aux médias audiovisuels et aux radios, mais également un désir de convaincre un électorat plus jeune. Cependant, tous·tes ne bénéficient pas d’une égalité de traitement. Face à la professionnalisation de ces chaînes et de leur influence sur la population, nous pouvons nous demander si une nouvelle législation concernant ces médias ne devrait pas émerger dans les années à suivre. Même si la présence des candidat·es dans les plateaux TV reste importante, seuls les résultats des scrutins nous permettront de considérer leur réel impact sur la campagne.

Sources: 
Romain GEOFFROY, Raphaëlle AUBERT, Gary DAGORN, “Election présidentielle 2022 : visualisez les temps de parole de chaque candidat dans les médias », Le Monde.fr [consulté 28/03/2022]
« Présidentielle 2022 : quel rôle pour l’Arcom ?»,Vie publique [publié le 06/01/2022]
« Les règles de la campagne électorale audiovisuelle et sur Internet pour l’élection présidentielle », Vie publique [modification du 03/01/2022]
Asia BALLUFFIER, Clément LEGROS, Manon ROMAIN et le service vidéo du Monde,  « Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour parlent plus que les autres sur YouTube et Twitch », [publication du 29/03/2022]
Grégory PHILIPPS, « Mélenchon, Pécresse et Zemmour champions du temps de parole sur Twitch et YouTube », France Culture [mise à jour du 25/03/2022]
Gaspard G- « Pourquoi le temps de parole n’a plus aucun sens- BJR #3 » (2022). Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=KxHL6XH0ZrI&t=349s  [consulté le : 25 mars 2022]

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *