Communautarisme, faux prétextes et vrais problèmes

Par Y. S.
Illustration : Nolwenn Polge
Publié le 21 octobre 2021

Le « communautarisme » existe-t-il vraiment ? Si oui, d’où vient-il et comment y remédier ? Pour répondre à cette question et en comprendre les enjeux, j’ai discuté avec des militant·es de gauche et des partisan·es d’Éric Zemmour afin d’écouter les avis de chaque côté. Voici ce que j’ai retiré et conclu de ces conversations.

En France, « le communautarisme » devient une préoccupation de la population française et certains hommes d’extrême droite créent un nouveau concept : le « grand remplacement ». Iels ont leurs raisonnements et arguments mais ce qu’ils prennent pour des réalités sont des duperies.

Pour les Zemmouristes, le problème vient de la différence civilisationnelle, iels pensent que l’Islam est une jolie civilisation mais qu’elle n’a pas sa place en France. Selon elle·ux, l’islam (religion) mène nécessairement les croyant·es à s’isoler et à créer un « communautarisme volontaire ». Du côté de la gauche, il y a des gens qui n’acceptent pas ce mot, d’autres qui admettent son existence. Iels pensent que sa cause vient surtout de l’inégalité sociale et du manque de patrimoine culturel et économique, qui permet un cycle générationnel négatif ; donc l’existence des « quartiers islamisés » n’est pas volontaire, mais constitue un « communautarisme involontaire ».

Car il existe effectivement un mur qui nous sépare, un mur qui coupe notre société en deux ; mais ce mur, c’est la richesse. Les pauvres vivent dans une commune, et les riches vivent dans une autre communauté, ça, c’est du communautarisme, un séparatisme, qui existe partout dans le monde et qui traverse toute l’histoire de l’humanité.

Aujourd’hui, ce mur devient plus abstrait qu’il y a cent ans, pourtant, ce mur invisible existe toujours entre nous, entre tous·tes les citoyen·nes de ce monde. Une ethnie, une religion, une nation peuvent créer différents groupes, différentes communes, en raison de leurs différences entre les uns et les autres, mais un phénomène réel et probablement éternel, c’est que dans une communauté religieuse ou ethnique, il y a toujours un mur entre les pauvres et celle·ux qui ont de la richesse et sont prospères. Il existe toujours un mur invisible dans un autre mur visible. Le coupable réel du communautarisme n’est pas la culture, la foi ou l’origine de chacun·e mais leurs fortunes et les milieux sociaux d’où ils viennent.

Depuis le XXe siècle, l’humanité se mondialise. Par conséquent, les échanges internationaux augmentent exponentiellement en commerce, en capital mais aussi en culture. Les usines des pays développés ont délocalisé vers les pays en développement où le coût de travail est inférieur, les populations de ces pays s’enrichissent, leurs conditions de vie s’améliorent et leurs familles s’établissent. Et si l’immigration existe et reste importante, en réalité l’évolution du nombre d’immigrant·es pour motifs familiaux et économiques a ralenti depuis plusieurs années dans le monde, notamment en France. Cependant le nombre d’étudiant·es internationaux·ales et de réfugié·es augmente[1]. La raison en est simple :  iels n’ont plus de la nécessité de venir travailler en Europe, puisque les usines et les offres d’emploi sont désormais à côté de chez ell·eux. L’augmentation du nombre d’étudiante·s internationaux·ales doit être une bonne nouvelle pour le pays, tandis que l’augmentation de réfugié·es est liée à la guerre, à la famine et au changement climatique. D’où viennent donc ces immigré·es, dont les nationalistes se servent pour évoquer un « grand remplacement » incontrôlable ?  

La criminalité est relativement haute dans ces cités, c’est une réalité, mais sa cause réelle n’est jamais liée à la foi ou à la culture d’un groupe. La pauvreté en est la raison essentielle

La première cause de la présence d’immigré·es en France est historique. La France est l’un des pays les plus développés dans le monde, elle est le pays des Lumières, de l’État moderne, et l’un des premiers pays industrialisés. Dès lors, de nombreuses personnes issues des populations des pays voisins (Italie, Portugal…) et des anciens pays colonisés par la France (Algérie, Vietnam, Maroc…) y sont venues pour y découvrir une nouvelle vie ; notamment pendant les Trente Glorieuses après la Seconde Guerre mondiale. C’était la période pendant laquelle la France avait besoin de main d’œuvre pour satisfaire sa forte croissance économique et son taux de chômage bas[2]. Ces premier·es immigrant·es ont donc étudié en France, travaillé en France, y ont installé leurs familles et engendré des descendant·es français·es.  

La seconde raison de l’immigration est liée à l’instabilité du Moyen-Orient, et aux autres crises alimentaires et climatiques. Des millions de personnes deviennent réfugiées à cause des guerres civiles, viennent en Europe pour survivre, et cela devient le prétexte de l’essor du populisme de droite sur le continent. En France, en réalité, nous n’avons pas accueilli des « centaines de millions » de réfugié·es comme les polémistes le prétendent. Les pays qui leur ont le plus ouvert les bras sont la Turquie et l’Allemagne[3],[4]. Beaucoup des réfugié·es qui sont venu·es en France se sont rendu·es en Angleterre, ce qui a d’ailleurs contribué à justifier le Brexit.

Cependant, la vraie cause du « communautarisme » actuel est économique. Les « quartiers islamisés », que les polémistes et les politiques d’extrême droite évoquent, sont souvent des cités dans la banlieue parisienne ou dans celles des autres grandes villes telle que Marseille. La criminalité est relativement haute dans ces cités, c’est une réalité[5], mais sa cause réelle n’est jamais liée à la foi ou à la culture d’un groupe. La pauvreté en est la raison essentielle. Les immigrant·es ne possèdent souvent aucun patrimoine, économique, culturel, et social, iels sont venu·es en France pour recommencer une nouvelle vie. Ce qu’iels ont, ce sont leurs deux mains et leur détermination pour rêver une vie meilleure. La majorité d’entre elle·ux sont ouvrier·es, souvent non qualifié·es, iels ne parlent souvent pas couramment français, iels ne savent souvent pas lire, iels ne connaissent souvent pas l’actualité et le fonctionnement de ce pays. Iels ne disposent pas du même patrimoine culturel que les Français·es natif·ves et encore moins que les classes supérieures. Donc iels n’ont pas les moyens, financiers et culturels, ni le temps, de bien accompagner la vie scolaire de leurs descendante·s. Par conséquent, celle·eux-ci rencontrent des difficultés lors de leur scolarité et des échecs scolaires. Celle·eux qui réussissent à obtenir un diplôme sont donc minoritaires, et la plupart deviennent ouvrier·es, travailleur·euses précaire·s ou exercent des métiers indépendants aux emplois non garantis tels que livreur·euses ou chauffeur·euses d’Uber, si tant est qu’iels aient la chance de trouver un emploi.

Si ces quartiers sont « islamisés », c’est tout simplement parce que beaucoup des habitant·es de ces quartiers sont d’origine musulmane et n’ont pas les moyens de vivre ailleurs qu’en banlieue

La pauvreté et le chômage créant la criminalité violente, celle qui est directement perceptible par les citoyen·nes, le vrai et le seul coupable de la « banlieue dangereuse », ce sont les inégalités, c’est un échec de la politique de l’État depuis des dizaines d’années. Cette situation ressort de la responsabilité des anciens gouvernants, et non de ces enfants d’ouvrier·es qui n’ont pas eu l’opportunité d’avoir une éducation de meilleure qualité, ni même la possibilité de choisir leur avenir comme l’ont les enfants riches des « quartiers chics », et qui ne bénéficient pas d’un emploi stable. « On ramène les pauvres dans une commune, et on l’appelle la cité, on ramène les riches dans une autre, on l’appelle les villas », comme me l’a dit un militant de gauche avec qui j’ai discuté.

Si ces quartiers sont « islamisés », c’est tout simplement parce que beaucoup des habitant·es de ces quartiers sont d’origine musulmane et n’ont pas les moyens de vivre ailleurs qu’en banlieue ; cela ne provient pas d’une recherche d’entre-soi et encore moins d’une volonté de se « séparer » de la République. C’est pour cette même raison pécuniaire que les riches vivent regroupés dans les quartiers riches ; c’est là qu’ils y trouvent les logements et cadres de vie les plus luxueux.

Finalement, on ne peut pas nier l’existence des différents communautés ethniques dans la région parisienne et en France ni l’existence des quartiers à forte criminalité. Pourtant, cela ne résulte pas d’un conflit inter-civilisationnel comme les extrêmes conservateurs le prétendent, mais est une conséquence de l’inégalité intrasociale.

La solution au « communautarisme » actuel est d’abord d’en finir avec la haine et de retrouver la raison et l’adelphité*. Notre ennemi commun est la pauvreté, ce ne sont pas les pauvres. Nous devons déclarer une guerre contre la pauvreté et sortir les personnes qui en sont victimes de cette situation. Unissons-nous pour réduire les inégalités, pour offrir de meilleures conditions de vie à tous·tes. Afin que nous ayons réellement une société de la raison, des Lumières et de la citoyenneté.

Le seul « grand remplacement » qui existe est celui de la raison par l’irrationalité et la folie de l’extrême droite. Les nationalistes veulent une guerre contre les Français.es des milieux populaires en se présentant comme les sauveur·euses de la nation. Iels prétendent vouloir supprimer les communautarismes sur nos territoires en supprimant les aides sociales, en ignorant la réalité sociale, en augmentant les inégalités entre les Français.es, et en créant de nouveaux problèmes pour les générations qui viennent. Ce n’est pas du patriotisme, c’est une trahison et c’est irresponsable. Aujourd’hui, ce genre de thèse devient prédominante. Demain, l’histoire nous jugera.

*adelphité : solidarité entre les membres d’une adelphie. Une adelphie est un groupe de personnes ayant les mêmes parents (frères et sœurs en langage binaire).

Sources :
*https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/flux-immigration/motif-admission/
**https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/wmr_2020.pdf
***https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_migratoire_en_Europe#/media/Fichier:Map_of_the_European_Migrant_Crisis_2015.png
****https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Publications/Interstats-Analyse/Insecurite-et-delinquance-en-2020-une-premiere-photographie-Interstats-Analyse-N-32


[1] « Titres de séjour par motif d’admission », Ined ; France : immigration, asile et éloignement des étrangers AFP – AFP
[2] « Jusqu’au milieu des années 1970, les flux d’immigration étaient majoritairement masculins, comblant les besoins de main-d’œuvre nés de la reconstruction d’après-guerre, puis de la période des Trente Glorieuses. »,  L’essentiel sur.. .les immigrés et les étranger, Insee
[3] Page 41, World Migration Report 2020 des Nations Unies
[4] Eurostat
[5] Insécurité et délinquance en 2020 : une première photographie – Interstats Analyse N°32, le Ministère à l’Intérieur

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