Les étoiles après la tempête

Par Madeleine Gerber
Photo ©Simon Gosselin
Publié le 26 janvier 2023

C’est l’histoire d’un jeune homme dévasté, qui perd ce qui lui est précieux. D’un voyage onirique pour faire son deuil. D’une quête de bonheur. C’est l’histoire des Étoiles.

La pièce de théâtre, écrite et mise en scène par Simon Falguières, nous entraîne dans l’univers du jeune poète Erza, qui a perdu ses mots après la mort de sa mère. Pendant vingt-cinq ans, il tente de se reconstruire, faisant jouer son imagination et rappelant ses souvenirs. Si le sujet des Étoiles n’est pas des plus légers, jamais on ne tombe dans la surenchère d’émotions. Le public ne voit pas le temps passer, profitant de l’ingéniosité de la mise en scène qui rend hommage à une histoire prenante et profonde. La pièce est à voir au Théâtre de la Tempête du 6 janvier au 5 février 2023.

Une pièce « de chambre »

Les Étoiles, c’est d’abord la vie d’Erza, le personnage principal. Mais l’écriture est toujours un voyage intérieur et on ne peut s’empêcher de laisser une partie de soi dans son travail. Pour écrire sa nouvelle pièce, Simon Falguières s’est isolé près de la mer où il a passé une partie de son enfance. « Je me suis lancé dans l’écriture d’une pièce qui, pour moi, était une pièce très intime et rentrait en résonnance avec plein d’histoires de ma vie » confie l’auteur à L’Ouvreuse magazine. La récente perte d’un proche alimente sa réflexion autour du deuil. « Souvent, l’écriture nous dépasse. Pour moi, Les Étoiles c’est comme une grande chambre de résonnance ».

Le caractère plus intime des Étoiles vient aussi d’une volonté de Simon Falguière d’écrire une « pièce de chambre » qui traite du deuil de l’enfance. Les souvenirs d’Erza enfant sont plein de vie et de légèreté. On retrouve sa mère, au caractère bien trempé, qui essaye, tant bien que mal, de le mettre au lit, pour savourer quelques moments de paix. C’est une plongée dans une insouciance volubile, où le seul problème s’avère être l’hygiène douteuse du petit garçon. Sa créativité s’illustre dans ses récits fantastiques et ses créations de bave et de papier qui finissent par prendre vie. Le décor aide le·a spectateur·rice à pénétrer cet univers intime. Le décor sous forme de maison s’ouvre, nous invitant à y passer vingt-cinq ans aux côtés d’Erza.

Shakespeare utilisait énormément ce procédé : pouvoir rire pour replonger dans le drame

Simon Falguières

La pièce se veut aussi transposable à l’expérience de chacun·e. Ainsi, les différents personnages, aux caractères variés, permettent de s’identifier à l’histoire. « Pour essayer d’avoir une parole universelle – toutes proportions gardées, il faut partir de soi et chercher la nécessité dans son rapport à l’écriture » explique Simon Falguières. En partant de sa réalité, on peut toucher celle des autres. Si la pièce est mélancolique, les notes d’humour sont comme des temps de respiration permettant au·à la spectateur·rice de supporter le drame. « C’est quelque chose de vieux comme le monde » ajoute le metteur en scène, « Shakespeare utilisait énormément ce procédé : pouvoir rire pour replonger dans le drame ».

La magie du cinéma

C’est tout un univers cinématographique qui s’invite dans le voyage intérieur d’Erza. Le personnage d’Ingmar Bergman, un réalisateur suédois du XXe siècle, incarné par Simon Falguières, joue le rôle de médiateur. Le lieu de l’action ; un cinéma misérable d’une petite île suédoise, est pour le metteur en scène « l’image même du bonheur ». D’ailleurs, la pièce est en elle-même une quête du bonheur. Ce cinéma fauché, avec ses personnages désillusionnés, est un symbole de résilience et même de résistance. Même si le bâtiment tombe en décrépitude et que le public se fait rare, les projections continuent. Plus qu’une petite flamme d’espoir, c’est le faisceau lumineux du projecteur qui éclaire la salle obscure.

Pour la première fois dans un de ses spectacles, Simon Falguières prend le parti d’insérer de la vidéo au théâtre. Cela vient d’une volonté de réinviter sur scène la lanterne magique, qui était très importante pour Bergman[1]. Le film a été tourné en 8mm puis monté en 16mm. Il est projeté avec un vrai projecteur mécanique pendant la pièce. « On en a un deuxième en coulisse, car c’est déjà arrivé que le projecteur tombe en panne en pleine représentation » précise le metteur en scène. Pour lui, c’est un objet, non pas numérique, mais bel et bien magique. Les imperfections, les couleurs de la pellicule Kodak et les tremblements de l’image, donnent une saveur particulière à l’image. « C’est pour moi quelque chose de très émouvant. Je trouve que ça a une âme très très forte » ajoute-t-il. C’est d’ailleurs Emmanuel Falguières, son frère, qui a filmé et fait le montage. Cette collaboration fait écho à la visée intimiste de la pièce.

Un récit poétique

Que ce soit le père, Pierre, qui vit ses émotions pleinement, la vision du monde particulière de l’oncle, Jean, la douceur couplée à la combativité de l’amante, Sarah ou encore l’espièglerie et l’art des mots de la mère, Zocha ; chaque personnage porte en lui une touche de poésie. Le décor lui-même est sujet à de multiples interprétations, qui ne cessent d’évoluer, à l’image du cercueil qui devient un lit, symbole de vie et de rêverie. Les poupées de l’enfance deviennent humaines tandis que la petite Zocha devient poupée. Mais pas de leurre, il ne s’agit pas de faire oublier qu’on est au théâtre. Au contraire, les adresses et regards au public permettent de montrer les ficelles. En ne voulant pas à tout prix imposer un naturalisme, on ouvre la pièce à un nouveau champ des possibles poétiques. Tout est mis à disposition du·de la spectateur·rice, qui n’a plus qu’à se laisser porter par la beauté de l’histoire se déroulant sous ses yeux. Pour le metteur en scène, il est important de rester conscient de l’illusion : « Par la distance poétique du théâtre on peut faire vivre une émotion qui n’appartient qu’à cet art ».

Nous ne sommes que de la poussière d’étoiles et tel le ciel étoilé, nous faisons partie d’un tout

Simon Falguières,

Les Étoiles, c’est une pièce sur le mystère de la vie. Elle nous pousse à des réflexions d’ordre métaphysique. La perte de sa mère pousse Erza à cette longue introspection. Nous voyageons à ses côtés dans ses peurs, ses rêveries, ses souvenirs et ses questionnements. Quoi de mieux que les mots de l’auteur lui-même pour conclure : « Par rapport au deuil, une des choses qui permet de se rassurer, de rassurer tous les personnages, c’est de se dire qu’on fait partie d’un tout. Que de l’autre côté du monde, il y a tout. Nous ne sommes que de la poussière d’étoiles et tel le ciel étoilé, nous faisons partie d’un tout. Rien ne meurt jamais. Tout est pérenne parce que nous sommes ce tout ».

Les Étoiles est une pièce à ne pas manquer. Elle est jouée au Théâtre de la Tempête jusqu’au 5 février 2023. En parallèle des représentations, Simon Falguières répète L’errance est notre vie au théâtre Nanterre-Amandiers. Ce nouveau spectacle revient sur l’aventure de sa pièce précédente Nid de Cendres, avec les apprenti·es comédien·nes de la jeune troupe Nanterre-Amandiers. Elle tournera dans les quartiers de Nanterre du 30 janvier au 11 février 2023. En février, l’auteur, comédien et metteur en scène travaillera à la création de son « seul en scène » Morphée, dont la première est programmée début mai, au Trangram, la scène nationale d’Evreux-Louviers. La reprise du Nid de cendre se fera en mai 2023 à Paris et se finira au Théâtre de la Cité à Toulouse, pour deux intégrales exceptionnelles. Avec sa compagnie et une association, Simon Falguières mène également de front et, depuis plus d’un an, le montage du Moulin de l’Hydre, une fabrique théâtrale au cœur de la campagne normande.

[1] Voir Laterna magica, livre de mémoires d’Ingmar Bergman écrit en 1987

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