Piège mortel sur les planches

Par Claire Boyer
Publié le 20 décembre 2021

Le Crime de l’Orient-Express, Mort sur le Nil, Le Meurtre de Roger Ackroyd… Agatha Christie, la fameuse « reine du crime », n’est plus à présenter. Si nous connaissons bien en France ses romans, c’est cependant moins le cas de ses pièces de théâtre. Elle en a pourtant rédigé une vingtaine, dont l’une d’elle, La Souricière (The Mousetrap), actuellement en représentation au Théâtre de la Pépinière à Paris, a une histoire peu commune. 

Un succès époustouflant

En 1945, la mort d’un jeune garçon placé en famille d’accueil dans une ferme du Shropshire inspire à Agatha Christie un mystère radiophonique, Trois Souris Aveugles (Three Blind Mice) diffusé en 1947 à l’occasion des 80 ans de la reine Mary. En 1952, l’œuvre est jouée sur les planches, sous le titre La Souricière. « Je ne lui donne pas huit mois » aurait écrit Agatha Christie dans une de ces correspondances, sans se douter de l’incroyable succès que rencontrerait la pièce. En effet, la Souricière est, à ce jour, la pièce de théâtre qui compte le plus grand nombre de représentations consécutives au monde : elle n’a jamais quitté l’affiche à Londres, où elle continue d’être jouée quotidiennement dans le West End (au Saint Martin’s Theater), et dépasse en 2012 le seuil des 25 000 représentations ! Adaptée en près de 24 langues et jouée dans 44 pays, l’énigme continue de fasciner le monde entier. Et, anecdote amusante : l’autrice ayant offert la pièce à son petit-fils pour son anniversaire, celui-ci est devenu millionnaire grâce aux droits d’auteurs !

Un huis clos hivernal 

Mais alors, de quoi ça parle ? Le rideau s’ouvre sur une scène d’intérieur : nous sommes au manoir des Monkswell, en pleine campagne anglaise, qui vient d’être réaménagé en chambre d’hôte par un jeune couple, les Ralston. Ceux-ci attendent avec impatience l’arrivée de leurs premier·ères client·es, tandis que la radio diffuse la sombre nouvelle d’un meurtre commis à Londres, avec pour seul indice un individu portant chapeau, écharpe et manteau long. À l’extérieur, une tempête de neige fait rage : progressivement, les hôtes arrivent, tous ôtant précisément chapeau, écharpe et manteau long, qui vont s’accumuler dans l’entrée.

Ils sont cinq, aux caractères bien définis : une vieille dame sévère, Mrs Boyle, un jeune architecte excentrique, Christopher Wren, le major Metcalf, militaire en retraite et Miss Casewell, une femme d’allure déterminée. Peu après, iels sont rejoint·es par M. Paravicini, un étranger qui s’est retrouvé bloqué par la tempête. Alors que chacun fait connaissance et que de premières amitiés et inimitiés se nouent déjà, l’arrivée d’un dernier personnage, l’inspecteur Trotter, venu à ski, lance le cœur de l’intrigue. Ce dernier annonce en effet soupçonner un lien entre le meurtre londonien et le manoir de Monkswell. Routes bloquées, bientôt téléphone coupé, froid mordant : le piège se referme sur nos huit personnages. Désormais, impossible – pour le·a meurtrier·ère comme pour ses potentielles victimes – de s’échapper…

Rythme, humour et suspense : un dosage parfait

« Une adaptation malicieuse à l’humour débridé, une distribution soignée : on sort le sourire aux lèvres de ce réjouissant piège assassin » (Les Échos). En effet, on retrouve dans l’ adaptation française (par Pierre-Alain Leleu) tout l’humour anglais typique d’Agatha Christie, et cela sans desservir le suspense de l’intrigue, où la tension monte de manière croissante. Le rythme est parfaitement maîtrisé : le spectateur a le temps d’apprendre à connaître chacun des personnages, volontairement un peu stéréotypés, tandis que répliques et évènements s’enchaînent sans longueur. L’intrigue est bien ficelée et facile à suivre, et de courts intermèdes dansés et chantés dynamisent la pièce et appuient les grandes étapes.

Grand point fort également : la mise en scène de Ladislas Chollet. Les décors, mais aussi le travail sur les sons et lumières, nous plongent directement dans l’ambiance. L’intérieur du manoir est soigné, délicieusement rétro (nous sommes dans les années 40), douillet et chaleureux, avec même un clin d’œil à Agatha Christie, dont le portrait trône au-dessus des escaliers. En arrière-plan, un décor de paysage enneigé figure une ouverture sur l’extérieur, animé de la chute régulière de flocons, qui s’invitent jusque sur scène ! Dès qu’un personnage ouvre la porte, le souffle du vent se fait entendre, tout comme le crépitement du feu de cheminée, installé à l’opposé.

Avec tout cela, on devrait, logiquement, bien s’amuser… S’amuser à vous faire peur

Ladislas Chollet

Enfin, les comédiens incarnent avec brio les personnages : l’hôtesse, Mollie Ralston, est jouée par Christelle Reboul, aussi connue pour ses rôles au cinéma dans Nos chers voisins et Ici tout commence, tandis que le comédien Brice Hillarait a reçu le Molière 2020 de la révélation masculine pour son interprétation du premier pensionnaire, un jeune homme farfelu et expansif.

« Avec tout cela, on devrait, logiquement, bien s’amuser… S’amuser à vous faire peur ! » (Ladislas Chollet évoquant La Souricière). Tous les ingrédients sont là pour une excellente soirée, alors si vous avez l’occasion, n’hésitez pas ! Quand à l’identité du meurtrier, le mystère plane jusqu’à la toute fin. Et comme le recommande la dernière réplique de la pièce, pour ne pas gâcher le plaisir des prochain·es spectateur·ices, je garderai le secret.

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