FTX : la chute d’un baron voleur

Par Claire Boyer
Photo DR
Publié le 23 janvier 2023

Vendredi 11 novembre 2022, FTX, une des plus grandes plateformes centralisées d’échange de cryptomonnaies, réputée pour sa fiabilité, a annoncé avec grand fracas son dépôt de bilan et la démission de son fondateur, Sam Bankman Fried. En quelques jours, ce dernier a perdu 94% de sa fortune.

Depuis le communiqué de FTX, les médias ne cessent de relayer un message particulièrement alarmiste pour tous⸱tes ceux⸱lles qui croient en l’avenir de l’industrie des cryptoactifs : scandale autour des malversations financières du groupe, risque d’un effet de contagion impactant massivement les cours des cryptomonnaies… Force est de constater que la crise semble durable : trois mois après, le Bitcoin est toujours en dessous de la barre des 20 000 euros. Ainsi, la chute de FTX signe-t-elle définitivement l’effondrement du rêve crypto ? Pour mieux saisir comment tout cela a commencé, voici un petit décryptage non exhaustif pour mieux s’y repérer.   

Le monde crypto : de la monnaie numérique à la finance décentralisée

Les cryptomonnaies ? De la monnaie numérique, certes, mais pas seulement. Les cryptomonnaies, dont la plus connue est le Bitcoin, sont un ensemble de jetons soutenant des écosystèmes informatiques. Elles ont pour but de faciliter les échanges sans devoir passer par un intermédiaire (bancaire ou financier) et in fine, de démocratiser l’accès à la monnaie. L’intégrité des échanges est dès lors garantie par un algorithme jouant le rôle de tiers de confiance, lui-même alimenté par la puissance de calculs, fournie par ce que l’on appelle les mineurs, c’est-à-dire des entités, individus ou entreprises mettant à disposition de la puissance informatique pour sécuriser le réseau.

En parallèle, s’est développé le concept de la finance décentralisée. Cela repose sur un protocole informatique permettant d’assurer des services financiers en mettant en relation des client⸱es (assuré⸱es, emprunteur⸱euses…) et des investisseur⸱euses (épargnant⸱es), sans faire appel à des institutions centralisées (assureur⸱euses, banques…). L’objectif est triple : mutualiser les risques, permettre à tous⸱tes d’accéder à de tels services (en évitant notamment les phénomènes de refus d’assurance) et baisser les coûts.

FTX, késako ?

Revenons à la source. Qui est Sam Bankman Fried, le désormais tristement célèbre fondateur de l’ ex-deuxième plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies au monde ? Né en 1992 à Stanford (Californie), et après des études de physique et mathématiques à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), l’homme d’affaires travaille un temps dans l’entreprise de trading Jane Street. En 2017, il participe à la fondation d’Alameda Research, une importante société de trading, et fait alors fortune par des procédés d’arbitrage sur le cours de différentes cryptomonnaies entre différentes places de marché. Par ailleurs, il se distingue par sa politique philanthropique, inspiré par la thèse de l’altruisme efficace qui se développe à la fin des années 2000[1], et finance en partie la campagne du président démocrate Joe Biden.

En 2019, suite à ses premières réussites dans le trading de cryptomonnaie, Sam Bankman Fried lance sa propre plateforme, FTX (abréviation de « Futures Exchange »), ayant deux principales activités. La première, à l’instar de Coinbase ou Binance, est d’accueillir les dépôts de client⸱es venant déposer leurs cryptomonnaies sur des comptes. La seconde, moins innocente, est l’offre de services d’investissements ayant pour particularité d’autoriser les comptes sur marge, soit l’emprunt pour augmenter l’effet de levier d’une position. Ne partez pas ! On vous explique : le trading sur marge consiste à acheter un actif financier avec de l’argent emprunté. Le mécanisme de l’effet de levier qui s’ensuit permet de multiplier les gains et d’augmenter la rentabilité d’un investissement (le revers est bien entendu de multiplier également les pertes potentielles).

Les signes avant-coureurs de la crise

Si FTX et sa chute peuvent s’interpréter comme le déclencheur de la crise crypto actuelle, il ne faut pas oublier ses causes. En effet, le problème de l’activité de service d’investissement du groupe, mais aussi plus généralement du prêt aux trader⸱euses ou du trading lui-même, est l’importance du risque, d’autant plus fort sur les marchés cryptos, caractérisés par une très grande volatilité. Ainsi, si le prêt de cryptoactifs peut être une activité très lucrative avec de gros gains possibles, en cas de hausse du marché, tout peut aussi s’écrouler en cas de retournement de la conjoncture ou de faillite des trader⸱euses. Ce risque est par ailleurs augmenté par le fait que les entreprises de l’écosystème crypto sont fortement interdépendantes, connectées pour offrir leur service : la chute d’un acteur important peut donc impacter l’ensemble du réseau. 

Or, depuis fin 2021, le Bitcoin n’a cessé de chuter, et a perdu 70% de sa valeur. L’effondrement redouté s’est produit le 27 juin 2022 pour 3ArrowCapital, un hedge-fund (type de fonds pariant sur l’évolution d’une variable, en s’assurant contre la variation des autres variables) spécialisé dans les cryptomonnaies. La vente de l’ensemble des actifs du fond, pour rembourser les créancier⸱ères entraîne une forte baisse du cours des cryptomonnaies, et constitue le premier tremblement de l’industrie crypto.

Le deuxième choc survient en août 2022, lorsque des rumeurs de malversations financières entraînent la chute de la cryptomonnaie Terra Luna, sur laquelle se fonde le stable coin UST. Parmi les premiers impactés, Alameda Research, une propriété de FTX déjà évoquée, qui perd aux alentours de 8,5 milliards de dollars. C’est alors qu’au mépris de toute obligation de transparence, Sam Bankman Fried utilise, sous couvert, l’argent des dépôts de ses client⸱es pour renflouer Alameda et empêcher sa faillite.

En septembre 2022, la tragédie continue. La plateforme de finance décentralisée Celsius, qui promettait aux petit⸱es épargnant⸱es l’équivalent d’un livret d’épargne basé sur des cryptoactifs, avec des perspectives de rendements très intéressantes, bloque les retraits de ses client⸱es. En effet, l’activité de la plateforme consistait à prêter de l’argent à des investisseur⸱euses ou spéculateur⸱euses, afin de percevoir des intérêts à même de financer les forts rendements des livrets cryptos. Or, la faillite de 3ArrowCapital et l’explosion du Terra ont fortement fragilisé Celsius, notamment par des défauts de remboursements. Auparavant fortement plébiscitée par les investisseur⸱euses plus modestes, la faillite de Celsius a suscité une vague de méfiance généralisée vis-à-vis des acteur⸱ices de l’industrie crypto.

L’étau se resserre

Début novembre 2022, le site d’information spécialisé dans les actualités cryptos Coindesk révèle les circonstances du sauvetage d’Alameda Research, c’est-à-dire l’utilisation par FTX des fonds des client⸱es pour combler un manque de plusieurs millions. Contrairement à ce qu’affirmait FTX jusqu’alors, les actif⸱ves du groupe sont en situation dite de « sous-collatéralisation » (le terme anglophone aussi utilisé est celui d’under-peg). Cela signifie en gros que pour 1 bitcoin détenu par ses client⸱es, FTX n’en possède en réalité moins que 1 : les créances client⸱es ne sont pas à 100% détenues en propre par l’entreprise.

Mais, est-ce si grave ? Dans l’absolu, pas forcément : l’ensemble des banques sont ainsi sous-collatéralisées en permanence, car une banque n’a jamais assez de pièces et de billets pour faire face au retrait simultané de l’ensemble de ses client⸱es (pensez à la fameuse scène de bank run de Mary Poppins…). Cependant, dans le cadre de l’industrie crypto, composée d’entreprises moins mûres et moins développées que les banques traditionnelles, la collatéralisation devrait être de vigueur.

La chute (enfin !)

Alarmé par les révélations de Coindesk, Changpeng Zhao, le PDG de Binance (principal concurrent de FTX) fait le choix de vendre la part de l’entreprise (environ 2,5%), qu’il détenait suite à un investissement initial au moment de la création de FTX. Il reçoit ainsi 22,5 millions de « FTT », token de FTX. Les FTT sont en effet une cryptomonnaie utilisée pour supporter le système de FTX et améliorer la liquidité de la plateforme[2].

Pour éviter une trop forte baisse du FTT, qui nuirait aux actifs de la société, Sam Banckman Fried propose alors à Changpeng Zhao de racheter ses FTT de gré-à-gré, c’est-à-dire directement, sans passer par le marché, mais le PDG de Binance refuse. En conséquence, les client⸱es de FTX, qui voient alors un crash de la valeur du token associé à FTX, retirent leur argent en masse, entraînant du fait de la sous-collatéralisation précédemment évoquée, un assèchement des ressources de la plateforme. Le 11 novembre 2022, FTX bloque les retraits, avant de déclarer faillite.

Que pouvons-nous en conclure ?

Dans une économie de marché concurrentielle, il arrive souvent que des start-up meurent, c’est même la norme : près de 90% des start-up meurent dans leur première année, et 90% des 10% restants dans le courant des cinq années qui suivent. Ainsi, la faillite d’une ou de plusieurs entreprises dans un système aussi jeune que celui des cryptoactifs ne prévaut pas de l’avenir de ce même système, tout comme les nombreuses faillites liées à l’éclatement de la bulle technologique dans les années 2000, qui n’ont pas mis fin au phénomène Internet.

Finalement, l’effondrement d’un acteur financier n’est pas une chose rare. Néanmoins, les effets de la crise, liée à la chute de FTX, risquent de se faire ressentir encore longtemps. Quant à savoir si le système crypto en sortira renforcé ou irrémédiablement fragilisé, seul l’avenir (à commencer par 2023), nous le dira.

[1] Courant semi-philosophique, rassemblant des bienfaiteur⸱ices à échelle internationale, dans le but de rechercher de manière rationnelle la meilleure manière d’agir positivement sur le monde (https://www.courrierinternational.com/article/tendance-altruistes-efficaces-ces-riches-qui-cherchent-la-formule-de-la-charite-parfaite)
[2] On dit d’un actif qu’il est « liquide » s’il est facilement échangeable (comprenez revendable) sur un marché

Sources
https://www.capital.fr/crypto/bitcoin-ether-quel-impact-aura-la-faillite-de-ftx-sur-le-marche-crypto-lavis-de-4-analystes-1452239
https://www.cnetfrance.fr/news/tout-savoir-sur-la-chute-de-ftx-et-son-fondateur-sam-bankman-fried-39950232.htm
https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-la-chute-de-ftx-relance-la-question-de-la-reglementation-des-cryptoactifs-88618.html

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *