Les réseaux sociaux : un nouvel espace contre les féminicides
Par Jade Hanesse
Illustration Claire Boyer
Publié le 29 avril 2023
Déjà au XIXe siècle, les hommes pouvaient tuer leur femme sans grand risque de répression. Aujourd’hui encore, le féminicide ne semble pas considéré comme un crime. Mais les femmes ont peut-être enfin trouvé un allié dans les réseaux sociaux.
Le 27 mars 2023, déjà 35 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex, depuis le début de l’année en raison de leur genre, selon le décompte Féminicides France. La plupart avaient déjà porté plainte. Le gouvernement, les forces de l’ordre, ne prenant pas au sérieux les plaintes et les médias parlant peu de ces femmes décédées de violences sexistes, ce sont les femmes elles-mêmes qui décident de reprendre en main leur histoire ou l’histoire de leurs sœurs.
Des institutions juridiques qui condamnent des femmes
En moyenne, entre 100 et 120 femmes se font tuées tous les ans par leur conjoint ou ex, et ce chiffre ne va pas en en s’améliorant. En décembre 2022, une femme de 24 ans va porter plainte contre son ex-compagnon, mais est renvoyée chez elle : deux heures plus tard elle est à l’hôpital dans le coma, car ce dernier l’attendait dans le hall de son immeuble pour la rouer de coups. L’IGPN a conclu qu’il n’y avait pas eu de « mise en danger d’autrui » par le policier qui a renvoyé cette femme chez elle. Le policier en question avait déjà refusé de donner suite à un appel pour violences conjugales quelques mois auparavant. Il est donc possible d’assimiler l’agissement de ce policier à une récidive de non-assistance à personne en danger, et sa remise en fonction signifie bel et bien que la vie des femmes n’est pas la priorité des forces de l’ordre.
En effet, cette négligence n’en est qu’une parmi tant d’autres. Adélaïde a, par exemple, porté plainte plus d’une dizaine de fois contre son conjoint de l’époque : la plupart ont été classées sans suite. Pourtant, il la suit toujours, elle et ses enfants. Et c’est quand, après une poursuite en voiture par son assaillant où la police refuse de prendre sa plainte et libère l’homme au bout de deux heures de garde à vue, qu’elle décide d’abandonner le chemin classique et qu’elle se tourne vers Twitter où elle crée le compte « je suis encore vivante », en mars 2019.
Des réseaux qui sauvent des femmes
De nombreuses femmes, comme Adélaïde, se tournent vers les réseaux sociaux, et surtout Twitter, pour parler de ce qui leur arrive, partager leur peur et souvent, le manque de soutien de la part de la police. Là, elles y trouvent des oreilles attentives ainsi que d’autres femmes ayant vécu la même chose. Ce sont ces femmes qui ont frôlé la mort et qui ont été sauvées par ce qu’elles peuvent considérer comme un miracle, que les réseaux sociaux ont le plus aidé, relayant leur histoire, et forçant la justice à agir en considération.
L’histoire la plus marquante est certainement celle de Laura Rapp. En 2019, elle appelle à l’aide sur Twitter, suite à la libération sans bracelet électronique de son ex-conjoint qui est allé jusqu’à l’attendre devant la maison de ses parents. Persuadée que la juge ne ferait rien pour elle et se sentant en danger de mort, elle lance une « bouteille à la mer ». Au bout de quelques heures, cette bouteille lui permet d’être contactée par de nombreux médias tandis que son histoire atteint les oreilles de Marlène Schiappa dès le lendemain. Depuis, Laura Rapp considère avoir eu beaucoup de chance, contrairement à la femme qui lui a donné cette idée : Julie Douib, tuée par son conjoint le 3 mars 2019. L’homme a écopé en 2021 d’une peine à perpétuité, tandis que les parents de Julie s’occupent des enfants laissés orphelins, tout en faisant parler de l’histoire de leur propre fille. Le téléfilm Elle m’a sauvée, réalisé par Ionut Teianu, et projeté en avant-première à l’Assemblée Nationale le 9 février en 2022, met en parallèle l’histoire de ces deux femmes, soulignant la détresse des femmes victimes de violences sexuelles et la façon dont Laura Rapp a pu échapper aux griffes de la mort, grâce à l’intervention de milliers d’internautes.
Une nouvelle lumière sur les féminicides
Depuis 2023, l’organisation NousToutes a ouvert, en collaboration avec d’autres groupes féministes tels que Les Dévalideuses, un nouveau compte : @inter.orga.iof (Inter Organisation Féminicides), qui ne recense plus uniquement les féminicides intimes, mais tout meurtre en lien avec le genre de la personne.
Pourtant, les féminicides non-intimes ne sont pas rendus visibles par la presse puisque pour beaucoup, cet acte est considéré comme un « drame » ou un « meurtre par amour ». Alors comment est-ce possible de tuer une femme parce que c’est une femme, si on ne l’aime pas ? La prise en charge médiatique des féminicides laisse à voir de grandes lacunes, et notamment lexicales : le terme de « féminicide » n’est que très rarement utilisé tel quel dans le titre, le lien entre la victime et son agresseur, bien trop souvent mis en exergue. Finalement, le placement des articles dans la catégorie « faits divers » donne le dernier coup de couteau à la victime, à sa famille en deuil, à toutes les femmes qui se battent quotidiennement pour ne pas être un chiffre de plus au décompte.
C’est pourquoi les associations féministes prennent en main ces nouvelles plateformes, pouvant ainsi toucher davantage de personnes, de toutes les origines, directement concerné·es ou non par ces problématiques. En 2019, ONU Femmes a par exemple lancé un événement appelant les femmes à ne plus accéder à leur compte Instagram pendant 24 à 48 heures, en laissant comme dernier post un fond noir avec la date de création de leur compte, la date du jour de désactivation et le hashtag #LeFéminicideDansLaLoi. Le plus grand espoir pour les associations et organisations est de sensibiliser un maximum de personnes aux féminicides, ce qui est aujourd’hui possible par les plateformes de réseaux sociaux.
Au-delà de la personnification de la victime, lui rendant un dernier hommage, les réseaux permettent de se rendre compte de la régularité des meurtres ou encore, ils permettent aux familles des victimes de s’exprimer, d’être prises en considération. Selon NousToutes, depuis janvier 2023, au moins 31 enfants sont devenu·es orphelin·es suite à un féminicide.
Sources
AFP, « Violences conjugales: les réseaux sociaux, refuge imparfait », Le Point, 13 juillet 2019, consulté le 27 mars 2023, URL : https://www.lepoint.fr/societe/violences-conjugales-les-reseaux-sociaux-refuge-imparfait-13-07-2019-2324322_23.php.
Brisard Romane, « Féminicides : la lutte s’organise aussi sur les réseaux sociaux », WE DEMAIN, 5 septembre 2019, consulté le 27 mars 2023, URL : https://www.wedemain.fr/partager/feminicides-la-lutte-s-organise-aussi-sur-les-reseaux-sociaux_a4269-html/.
Durand Marion, « Pour être entendues, les femmes battues investissent les réseaux sociaux », Huffington Post, 2019, consulté le 27 mars 2023, URL : https://www.huffingtonpost.fr/life/article/pour-etre-entendues-les-femmes-battues-investissent-les-reseaux-sociaux_148606.html.
« Du « drame passionnel » au féminicide : de nombreux médias ont revu leur copie », France 24, 22 novembre 2019, consulté le 27 mars 2023, URL : https://www.france24.com/fr/20191122-du-drame-passionnel-au-f%C3%A9minicide-de-nombreux-m%C3%A9dias-ont-revu-leur-copie.
« Accueil », Féminicides France, consulté le 27 mars 2023, URL : https://www.feminicides.fr.