À quand la retraite ?

Par Claire Boyer
Photo ©Pixabay/ Michael Schwarzenberger
Publié le 7 février 2023

Avec près de 400 000 personnes dans les rues parisiennes le 19 janvier 2023 et 500 000 manifestant·es à Paris le mardi 31, selon les chiffres communiqués par la CGT,  la réforme des retraites suscite une opposition massive : près de 72% des Français·es désapprouvent le projet gouvernemental[1]. Une réforme d’autant plus mal perçue qu’elle s’insère dans un contexte de fortes tensions économiques, l’inflation galopante mettant en exergue les sujets délicats des salaires et de l’accès à l’emploi.

Le spectre de la réforme des retraites n’est pas nouveau dans le paysage politique français. Notre système par répartition, basé sur la solidarité intergénérationnelle et mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à l’initiative du Conseil National de la Résistance, dans le cadre de la constitution de la Sécurité Sociale, a déjà fait l’objet de nombreuses modulations, jusqu’ici toujours paramétriques.

Ces réformes ont dans un premier temps été conduites pour élargir les garanties du système à une plus grande part de la population. Puis, elles ont connu leur propre « tournant de la rigueur » dans les années 1990, quand la question de la pérennité financière est venue s’ajouter, voire concurrencer, celle de la protection des travailleurs et travailleuses. Pour rappel, le nombre de retraité·es en France avoisine les 17 millions, et la branche vieillesse/survie est le premier poste de dépense de la Protection Sociale (environ 45%), soit l’équivalent en termes de prestations versées de 14% du PIB.

Le projet de réforme actuel, axe majeur de la campagne menée par Emmanuel Macron lors des présidentielles de 2022, est l’héritier d’un premier plan proposé dès 2017 et abandonné deux ans plus tard, envisageant cette fois une réforme structurelle via la création d’un système de retraite par points. Si le nouveau texte, ayant fait peau neuve, a laissé tomber ce dernier point, les tensions se cristallisent autour du dilemme du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.

Quelques repérages historiques

En 1982, François Mitterrand met en place une ordonnance accordant la retraite à 60 ans (contre 65 ans à la création du système) pour 37,5 annuités de cotisation. Treize ans plus tard, la Grande Grève de 1995, avec plus de deux millions de personnes et des transports bloqués pendant trois semaines, s’opposent au plan Juppé proposant un allongement de la durée de cotisations à 40 annuités pour les salarié·es de la fonction publique, afin de s’aligner sur le secteur privé passé à ce régime depuis la réforme Balladur (1993).

L’uniformisation se fera finalement en 2003, sous Fillon, qui instaure également le fameux mécanisme de la « décote-surcote » selon le nombre de trimestres cotisés. En 2010 puis 2014, les réformes Woerth puis Touraine dessinent notre modèle actuel de retraite : l’âge légal de départ à la retraite est fixé à 62 ans, 67 ans pour le départ à taux plein, avec un allongement de la durée de cotisations à 43 ans. Ainsi, de 1945 à aujourd’hui, c’est plus d’une dizaine de grandes réformes qui ont été mises en place.

En quoi consiste la réforme actuelle ?

Censé être mis en application dès septembre 2023, le projet de loi a été présenté la semaine dernière devant le Conseil des ministres par Bruno Le Maire et Olivier Dussopt[2]. Les différentes dispositions comprennent d’abord le recul de l’âge légal de départ à la retraite de deux ans (de 62 ans actuellement à 64 ans), avec parallèlement une accélération de la loi Touraine : les 43 ans de durée de cotisation pour la retraite à taux plein seront la norme à partir de 2027 (contre 2035 à l’origine).

Néanmoins, le recul ne concerne pas les personnes déclarées inaptes ou en invalidité, de même que les travailleurs et travailleuses handicapé·es dont le départ à la retraite est maintenu à 55 ans. Le départ à 62 ans à taux plein sera également possible sous conditions pour les salarié·es victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, de même que pour les métiers associés à des risques particuliers (postures pénibles, port de charge lourde…). Un fonds d’investissements dans la prévention de l’usure professionnelle, sera d’ailleurs mis en place pour prévenir ces risques.

Autres mesures phares : un objectif de minimum de pension à 85% du SMIC (soit 1200 euros nets) pour une carrière complète, et la fin de nombreux régimes spéciaux pour les nouveaux·lles embauché·es à partir de septembre 2023[3]. A l’origine, l’uniformisation prévoyait également l’unification d’Agirc-Arcco, mais ce point a finalement été retiré suite à la mobilisation des partenaires sociaux.

Que faut-il en penser ?

L’objectif affiché de la réforme est d’équilibrer les comptes du système de retraite : en effet, depuis 1975, le nombre de retraité·es augmente plus vite que le nombre de cotisant·es, (avec seulement 1,4 cotisant·es pour 1 retraité en 2014). Au total, le bénéfice de la réforme est estimé à 18 milliards d’euros d’économies pour 2030, dont une part serait affectée à de nouvelles dépenses, dont la revalorisation des pensions minimales.

Pourtant, le COR (Conseil d’Orientation des Retraites), outil d’aide à la décision réalisant le calcul de l’équilibre financier du système de retraites sous hypothèses, considère la réforme comme financièrement non indispensable : dans les différentes simulations exécutées, allant parfois jusqu’à 2070, les dépenses pourraient certes augmenter dans les années à venir, mais se stabiliseraient sur le long terme, voire pourraient diminuer.

Par ailleurs, de nombreux débats tournent autour du recul de l’âge légal : si les différentes interviews des membres du gouvernement (Emmanuel Macron, Elizabeth Borne) invoquent souvent la nécessité de travailler plus comme liée à l’augmentation de l’espérance de vie[4], cet argument peut être discuté. D’abord, l’espérance de vie en bonne santé ou sans incapacité n’évolue que peu. À partir d’un certain âge, la santé des individus, la résistance à la fatigue ainsi que la capacité de travail s’amoindrissent, et la plupart des postes en entreprise cessent d’être adaptés. Certes, la réforme prévoit des critères de pénibilité, ainsi que des dispositifs pour favoriser l’insertion professionnelle des travailleurs et travailleuses âgé·es (plus fragilisé·es sur le marché du travail, de même que les jeunes), avec notamment la mise en place d’un « index seniors », mais il demeure de fortes disparités sociales face à la fin de vie. D’après l’INSEE, ¼ des 5% des hommes les plus pauvres de France meurent avant l’âge de 62 ans.

Parmi d’autres éléments de critique, on peut aussi citer le fait que le minimum de 85% du SMIC ne concerne que les carrières complètes, ce qui peut désavantager les femmes, ces dernières ayant le plus souvent eu des carrières hachées, avec des temps partiels ou des arrêts (comme des congés maternités). Elles partaient déjà plus tardivement à la retraite que les hommes, pour tenter de compenser leurs trimestres manquants, et avec un montant de pension plus faible. Cependant, d’après Le Monde, les femmes devraient, sur un très long terme, gagner à la réforme[5].

Mobilisation et calendrier de la réforme

L’Assemblée nationale a discuté du projet de loi dès le 30 janvier et une séance publique sera tenue la deuxième semaine de février. Le 6 février, également, a étéexaminée la motion déposée par des députés de la NUPES (Nouvelle Union Populaire, Ecologique et Sociale) demandant au président d’organiser un référendum au sujet de la réforme envisagée.

Mais les parlementaires de l’opposition craignent surtout l’utilisation par le gouvernement de l’article 47.1 de la Constitution, applicable uniquement à des Projets de Loi de Finances Rectificatif de la Sécurité Sociale (PLRSS). Cela permettrait en effet de limiter à 20 jours les débats de l’Assemblée nationale, et seulement 15 jours les discussions au Sénat. Originellement pensé pour éviter le gel du budget de la Sécurité Sociale en cas de non-vote au 1er janvier, cet article pourrait permettre au gouvernement de faire adopter la loi plus rapidement. Des doutes ont cependant été émis par le Président du Conseil Constitutionnel quant à la possibilité d’appliquer le 47.1 à la réforme des retraites.

Et les jeunes, dans tout ça ?

A Tolbiac, les étudiant·es se sont mobilisé·es contre la réforme, avec l’organisation d’assemblées générales mixtes étudiant·es et personnels (les 19, 24 et 31 janvier). Mais les jeunes sont globalement moins descendu·es dans la rue, et le sentiment dominant semble plutôt être celui, attentiste, d’une jeunesse résignée (« d’ici à l’heure de prendre notre retraite, de nouvelles mesures auront déjà tout transformé »), ou en proie à l’angoisse de l’avenir.

Et pour cause, si la question de la retraite peut paraître lointaine à 18 ans, elle semble immédiatement plus proche lorsque l’on songe qu’avec des études de plus en plus longues, l’accès à des emplois stables se fait le plus souvent après 25 ans, soit une retraite non pas à 64 ans, mais plutôt 67 ans…

[1] Sondage de l’Institut Elabe, publié le mercredi 25 janvier.
[2] Respectivement Ministres de l’économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
[3] Cela concerne notamment les industries électriques et gazière, la RATP, la Banque de France… Mais les marins, l’Opéra de Paris, la Comédie de Françaises et les régimes particuliers (professions libérales et régimes agricoles) restent à l’identique.
[4] Environ +1,5 ans pour les femmes, 3 ans pour les hommes, en 15 ans.
[5] https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/24/retraites-pour-les-femmes-une-reforme-a-double-tranchant_6159133_823448.html.

Sources :
https://www.vie-publique.fr/loi/287916-reforme-des-retraites-2023-projet-de-loi-plfss-rectificatif
https://www.ladepeche.fr/2023/01/21/reforme-des-retraites-le-president-du-cor-etrille-les-arguments-du-gouvernement-10940630.php
https://www.liberation.fr/societe/a-lage-de-la-retraite-25-des-plus-pauvres-sont-deja-morts-20211201_ZPDCTHANSFAV5L26524QHTQR2E/
https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/reforme-des-retraites-la-jeunesse-point-de-bascule-de-la-mobilisation-949421.html
https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/mobilisation/reforme-des-retraites-le-vrai-du-faux

A lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *