Un renard en tuxedo

Par Suzanne Brière
Illustration ©Catherine Hyde, The Midnight Fox
Publié le 29 avril 2025
La nuit est le théâtre d’un monde infini à la merci de l’inconscient des rêves. Et si nos rêves avaient trouvé refuge dans un mystérieux manoir ? En tombant pour quelques instants dans les bras de Morphée, les drôles d’habitant·es de ce lieu, aux murs mouvants, vous guideront dans ses entrailles capricieuses.
Derrière la vitre givrée de la diligence, Maxine devine l’ombre menaçante du manoir. Un frisson parcourt son corps remontant de ses orteils le long de sa colonne vertébrale jusque dans ses cheveux relevés en un chignon élégant. Les chevaux mirent encore une heure supplémentaire à gravir la route sinueuse. Parvenue en haut, la diligence ouvre sa porte et éjecte la jeune femme avant de se volatiliser sans s’attarder. Maxine se relève et frotte machinalement ses mains l’une contre l’autre en contemplant l’issue de sa soirée. À gauche, un cimetière. Au centre, la grille rouillée du manoir lugubre. À droite, la falaise et le bruit sourd du fracassement des vagues. L’espace d’un instant, Maxine caresse dans sa poche une petite pièce et la possibilité séduisante de s’en remettre au hasard. Mais une pièce n’a que deux faces et son estomac gronde.
Avant que Maxine n’ait le temps de se manifester, l’immense porte de bois s’ouvre et se referme dans un claquement sourd derrière elle. Une main gantée agite un masque de velours noir devant les yeux de la jeune femme avant de le nouer à l’arrière de son crâne. Le tapis persan se dérobe sous les bottines cirées de Maxine. Un nuage de poussière brouille sa vision. Derrière, une silhouette floue lui intime de s’avancer. Après un court moment d’hésitation, Maxine pénètre dans le hall majestueux du manoir éclairé par une myriade de petites lucioles. Un homme en tuxedo s’approche d’elle et lui tend un verre. La jeune femme contemple tour à tour le museau de renard du serveur et le contenu violacé du verre. La bouche asséchée, elle porte le liquide mystérieux à ses lèvres. Le renard lui tend un miroir. Dans son reflet, le masque de Maxine disparaît cédant sa place à de longues plumes noires. Quant à sa bouche et son nez, ils ont fusionné formant un petit bec recourbé d’où s’échappe un croassement de surprise. Au centre de la pièce, se déhanchent quelques animaux. Les étoffes de leurs vêtements flottent au-dessus du parquet ciré formant un nuage de taffetas coloré. Sans avertissement, les notes de musique suspendues dans les airs éclatent en une petite pluie fine. Le battement inquiétant des lourdes bottes militaires écrasent la douce mélodie de la pluie et, dans la soudaine obscurité, Maxine ne distingue plus qu’un troupeau de masques à gaz. Seul un petit halo lumineux émane d’une silhouette. Intriguée par la forme familière de cette dernière, Maxine se lance à sa poursuite. Les murs se resserrent autour de la jeune femme dans une étreinte étouffante. Suffoquement.
Maxine. L’odeur de l’embrun chatouille les narines de Maxine. Maxine. Le sel s’accroche aux cheveux de la jeune femme et souille son plumage soyeux. Maxine. Guidée par une voix familière se mêlant au grondement des vagues, Maxine avance lentement, gravissant un interminable escalier de calcaire blanc. Au sommet des marches, le vide, le tumulte des vagues. Vertige. Maxine. Sursaut. Maxine. Déséquilibre. Maxine. Chute. Maxine. Maxine. Maxine. Maxine.