Pédocriminalité : affronter la réalité

Par Gwenn Le Cam
Publié le 27 janvier 2022

Depuis 1950, plus de 200 000 enfants ont été abusés sexuellement par des membres de l’Église catholique, selon le rapport Sauvé. C’est dans un contexte de dénonciation des violences sexuelles que nous assistons à la défense des droits des enfants, au sein de notre société. 

‟Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-li-ta : le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo. Li. Ta”, tels sont les mots commençant l’une des œuvres ayant causé l’un des plus grands scandales littéraires : Lolita de Vladimir Nabokov. Publié en 1955, ce livre, contrairement aux apparences, dénonce la pédocriminalité et l’inceste. Ce sujet de société est toujours d’actualité dans le monde entier. Mais, il existe toujours des enfants victimes de la pédocriminalité et d’inceste, malgré la Convention internationale des droits de l’enfant de New York (1989). Une étude menée par le Parlement européen en 2016 pose le constat suivant : un enfant sur cinq serait menacé de pédocriminalité. Ce chiffre montre la réalité d’un phénomène très, et trop souvent minimisé. 

Un combat lexical

Dans le langage courant, nous entendons régulièrement parler de pédophilie, pour finalement décrire des actes pédocriminels. Il est alors primordial de différencier les termes de pédophilie, et de pédocriminalité. Au cours des dernières années, les associations de protection des enfants et de soutien aux victimes mènent un véritable combat, pour qu’enfin, la société adopte le terme adapté : pédocriminalité. Le mot pédophilie est le mot couramment utilisé pour parler des actes sexuels entre enfant et adulte. La notion de pédophilie désigne, en réalité, un diagnostic psychiatrique. Ce terme renvoie à l’attirance sexuelle que peut éprouver un·e adulte envers les enfants, tandis que l’éphébophilie s’entend comme l’attirance envers les adolescent·es. La psychiatre Caroline Depuydt énonce notamment la chose suivante : « Dans le champ psychiatrique, un pédophile n’est pas quelqu’un qui viole tous les enfants qui passent à sa portée. C’est un trouble qui fait partie des maladies de la paraphilie. En général, c’est de l’ordre du fantasme, avec des fantasmes assez forts, puissants. Et souvent, il y a une souffrance – la personne est débordée par ses fantasmes, qui s’imposent à elle et essaie de lutter contre ça ».

Nous comprenons alors qu’une personne pédophile ne passe pas forcément à l’acte ce qui est d’ailleurs le cas de la majorité des personnes souffrant de pédophilie. Les personnes savent que ces fantasmes sont contraires à la morale. Il est primordial d’aider les personnes atteintes de pédophilie, car comme le dit la psychiatre Caroline Depuydt, ces personnes souffrent notamment du regard de la société. Par exemple, en Belgique, un numéro d’appel a été mis en place afin d’aider les personnes atteintes et créer une prévention efficace. Le regard de la société engendre un sentiment de honte, ce qui aboutit à un repli sur soi. Il est important de bien réaliser la souffrance que peuvent vivre les personnes pédophiles.

Ainsi, si la pédophilie désigne une notion psychiatrique, pourquoi utiliser la notion de pédocriminalité ? Tout d’abord, comme le mot l’indique, la pédocriminalité renvoie à une transgression de la loi et de la morale avec l’utilisation du terme de criminalité. Le terme « pédocriminel·les » désigne alors les personnes ayant des relations sexuelles avec des enfants, mais également ceux qui consultent des images pédopornographiques. Pour faire simple, il s’agit des personnes passant à l’acte. Il faut cependant souligner une chose ; la majorité des pédocriminel·les ne sont pas pédophiles. Seule une minorité est diagnostiquée pédophile. Distinguer les termes est ainsi primordial, pour bien comprendre la réalité des choses, et pour aider les personnes atteintes de pédophilie, à être mieux prises en charge par les psychiatres. 

Inceste : la loi du silence 

« J’ai mis longtemps à comprendre que même si mon frère a été la victime directe, j’ai été moi aussi agressée d’une autre façon. Mon beau-père a fait de moi sa prisonnière. La prisonnière de sa perversité. Il n’y a qu’un seul coupable, lui. Mes frères et sœurs, mes cousins, ma mère, ma tante, on est tous victimes. L’inceste, c’est une famille qui s’écroule». Ces mots sont ceux de Camille Kouchner, dénonçant les viols de son frère jumeau par le conjoint de sa mère, Olivier Duhamel. L’inceste désigne le fait d’avoir des rapports sexuels avec un membre de sa famille. Certaines définitions ajoutent qu’un autre élément à prendre en compte, est l’interdiction de se marier avec le membre de sa famille. En France, l’inceste ne constitue pas un crime en soit, mais peut être une circonstance aggravante, en cas de viol ou d’agression sexuelle. 

L’inceste, c’est une famille qui s’écroule

Camille Kouchner

À la suite des révélations faites par Camille Kouchner dans son livre, La Familia grande publié le 7 janvier 2021, Olivier Duhamel a annoncé sa démission de la Fondation nationale des sciences politiques. Le directeur de Science Po Paris, Frédéric Mion, au courant, depuis 2018, des nombreuses accusations allant à l’encontre d’Olivier Duhamel, a annoncé le 9 février 2021 sa démission. Il a pris la décision de quitter ses fonctions, en tant que directeur de l’IEP, à la suite d’une vague de pression, venant d’étudiant·es de Science Po d’une part, mais également de la part de politiques, comme Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris et ancienne élève de l’IEP. Dans son œuvre, l’avocate et universitaire Camille Kouchner, raconte que les proches de son beau-père étaient au courant des actes pédocriminelles d’Olivier Duhamel depuis 2008. Le 13 avril 2021, Olivier Duhamel finit par reconnaître ses abus sexuels sur son beau-fils. Mais, étant donné que les faits remontent aux années 1980, ils sont prescrits. 

L’affaire Duhamel a été le fer de lance du mouvement #MeTooInceste, faisant suite aux mouvements #MeToo et Balance ton porc. Le collectif féministe Nous Toutes a décidé de lancer ce hashtag en réaction à la réception de plusieurs témoignages, relatant des faits d’inceste. Madeline Da Silva, maire adjointe des Lilas et membre du collectif, a déclaré que la « volonté de témoigner de l’inceste a été massive de la part de ceux·lles que nous avons interrogé·es. Ce qui ressortait c’était le besoin de se donner de la force, en commun ». Le mouvement a ainsi démarré sur Twitter le 16 janvier 2021, soit une dizaine de jours après la publication du livre de Camille Kouchner. Au départ, les différents témoignages provenaient des membres du collectif, mais rapidement, d’autres personnes ont également raconté leur agression, leur viol. En lisant les témoignages, nous voyons qu’il s’agit d’un père, d’un frère, d’un oncle, d’un ami proche de la famille. En l’espace de deux jours, il y eu plus de 80 000 témoignages. 

Selon l’association Face à l’inceste, 10 % de la population française a été victime d’inceste, soit environ 6,7 millions de personnes. Cette même association déclare que, dans une classe de trente élèves, trois sont potentiellement victimes d’inceste. Ce chiffre, déjà énorme, concerne uniquement l’inceste et ne prend pas en compte les autres victimes de pédocriminalité. Une enquête Ipsos de novembre 2020 révèle que 96 % des auteur·ices d’inceste sont des hommes et dans 80 % des cas, la victime est une fille. Dans la même enquête, nous découvrons que 32 % des personnes interrogées connaissent une victime d’inceste. Pour mieux se rendre compte de la situation, prenez dix personnes que vous connaissez, et dites-vous qu’en suivant les statistiques, il est fortement probable qu’au moins l’une d’entre elles ait été victime d’inceste. 

Les survivant·es déclarent que la famille est souvent au courant des faits, mais qu’elle refuse de témoigner, en incitant la victime à oublier, ou encore à se taire. Quand j’ai annoncé à mon père que, durant une période de trois ans, j’ai été violé par mon frère, et que je lui ai dit que j’hésitais à porter plainte, sa seule réaction a été de me demander l’intérêt de ma possible plainte et de parler du fait que j’allais certainement détruire la famille. Les survivant·es ont également du mal à se reconstruire : la plupart créent une carapace de défense, certain·es souffrant d’amnésie traumatique. 

Le milieu littéraire et intellectuel parisien : ode à la pédocriminalité 

Dans son roman que nous pouvons qualifier d’autobiographique, Le Consentement, Vanessa Springora écrit « Aujourd’hui, alors que je suis moi-même devenue éditrice, j’ai beaucoup de mal à comprendre que de prestigieux·euses professionnel·les du monde littéraire, aient pu publier les volumes du journal de G., comportant les prénoms, les lieux, les dates et tous les détails permettant, du moins pour leur entourage proche, d’identifier ses victimes ». Publié en 2020, le roman de l’éditrice Vanessa Springora dénonce l’emprise qu’a eu l’écrivain Gabriel Matzneff sur elle, durant son adolescence. En lisant son œuvre, nous réalisons qu’il y avait une réelle acceptation de cette relation par la société de l’époque, et que personne n’a essayé de protéger Vanessa Springora de cette relation. La majorité des œuvres de Matzneff décrit les relations et rapports sexuels qu’il entretient avec des enfants et des adolescent·es.

À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter

Vanessa Springora

Vanessa Springora explique qu’elle était consentante, mais il est important de rappeler qu’à l’âge de quatorze ans, personne ne peut réellement consentir à avoir une relation sexuelle avec un homme de cinquante ans. Elle dit notamment : « À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter ». Pourquoi personne n’a réagi ? Gabriel Matzneff était l’un des auteurs les plus en vogue dans le milieu littéraire parisien, au cours des années 1970 et 1980. Cette célébrité a continué jusqu’à la parution du livre de Vanessa Springora, même si moins mentionné dans les médias.

Il y a à l’époque une véritable complaisance vis-à-vis de cet homme, récompensé par de nombreux prix et soutenu par de nombreuses personnes. Parmi ses soutiens ; Fréderic Beigbeder ou encore Bernard-Henri Lévy qui, à travers ses romans, faisait l’éloge de la pédocriminalité et partait en Asie pour faire du tourisme sexuel avec des enfants. Pour mieux comprendre, je vous recommande de regarder son interview avec Bernard Pivot, dans laquelle l’auteure canadienne, Denise Bombardier, est la seule personne présente sur le plateau à s’offusquer, qu’on puisse publier les œuvres de Matzneff. Dans cette interview, Bernard Pivot présente Matzneff en « véritable professeur d’éducation sexuelle » et Denise Bombardier se retrouve seule, en dénonçant le fait que Matzneff use de sa notoriété, pour séduire des adolescentes. Nous retrouvons encore l’idée qu’il faille séparer l’Homme de l’artiste or ici, l’Homme, l’artiste et ses œuvres poursuivent le même but ; la glorification de la pédocriminalité. 

En parlant de Gabriel Matzneff, il faut aussi rappeler la pétition de l’affaire de Versailles. La pétition, signée en janvier 1977, défendant les relations sexuelles pédocriminelles avait été rédigée par Matzneff, mais aussi signée par une grande partie des intellectuel·les parisien·nes comme Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et l’un des emblèmes de mai 68 : Daniel Cohn-Bendit. Alors qu’elle était enseignante, Simone de Beauvoir a entretenu des relations avec certaines de ses élèves, qu’elle présentait également à Jean Paul Sartre. L’une de ces jeunes filles était Bianca Bienenfeld, qui a écrit le livre Mémoires d’une jeune fille dérangée. Elle déclare : « J’ai découvert que Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles une chair fraîche à laquelle elle goûtait, avant de la refiler, ou faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre ». Dans son œuvre, elle revient sur la relation abusive qu’elle a vécue avec les deux philosophes, alors qu’elle n’était âgée que de seize ans. 

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