La table de Noël
Par Isabel Salter
Publié le 28 janvier 2024
Photo DR (Istock)
Il y a pas mal de choses qui peuvent te faire douter ta vie, comme de rentrer chez ta famille pour Noël.
Après l’année où tu es censée avoir tout compris sur toi-même et ton entourage, il n’y a pas de meilleur endroit pour te mettre à l’épreuve que chez toi. Devant ton oncle qui aime raconter de longues anecdotes, coincée entre tes cousins épuisés, qui te regarde avec leur habituel ennui, et à côté de ta mère qui t’observe avec son inquiétude intense, tu réalises peu à peu, qu’en réalité, tu ne sais rien.
Celui-ci ne doit pas être confondu avec que tu n’es rien. Parce que derrière la façade de ton oncle, se cache un malaise aussi. En revanche avec toi, il a bien compris comment la cacher. Peut-être que c’est ça de vieillir en tant qu’homme : comprendre comment cacher son insécurité.
Parce que oui, c’est un débat qui date. Oui on en a marre, mais après Noël, je me demande encore une fois, qu’est-ce que cette histoire avec tous ces hommes qui semblent incapables de poser des questions, de demander comment ça va et d’écouter avec une curiosité aussi grande que la tienne ? Qui leur a appris à agir ainsi ?
Parce que c’est une longue histoire, mais c’est une histoire qui cause de la souffrance à tout le monde, y compris à ceux·lles qui perpétuent ces comportements. Imagine que ce soient tes sœurs qui prennent la parole à table. Lentement, après avoir fini les histoires sur l’origine de leur nouvelle robe (parce que oui, c’est la réalité des normes genrées aussi), nous verrions apparaître une nouvelle forme de discussion beaucoup plus fluide. La parole pourrait alors passer de l’un à l’autre sans jamais rester trop longtemps sur celui·celle qui ne souhaite pas la prendre, et où chacun·e pourrait s’exprimer librement sans le jugement catégorique de celui·celle qui prétend savoir comment les choses fonctionnent vraiment. Le lancement d’un nouveau sujet serait ainsi suivi de questions pour mieux comprendre, plutôt que de chercher à se mettre en avant.
Noël ne se définit pas comme le fait de se réunir autour d’un sujet qui fait que tout le monde se tient la main et chante ensemble. Peut être que Noël est le moment où tu comprends avec qui tu aimerais passer moins de temps, si tu avais le choix. Ou alors au moins, laissons chacun s’exprimer. La table de Noël est un endroit qui n’est pas influencée par les études, le travail ou les algorithmes. Elle rassemble des chemins différents, des opinions variées et des âges divers, créant ainsi une diversité différente que ton entourage habituel. Rentrer chez soi pour Noël n’est pas la même chose que de trouver un endroit où l’on se sent bien, mais ça peut être l’endroit où chacun peut parler ouvertement.
Néanmoins peut-on vraiment les blâmer ? Tout comme leur père et leur grand-père leur ont parlé, ils parlent maintenant aux autres. Je regarde autour de ces hommes et je trouve des écrivains qui partagent leur genre, une télévision qui les conforte dans leur vision du monde et un téléphone qui affiche les mêmes idées. C’est un cercle dangereux où chacun·e se sent de plus en plus désespéré·e.
Par curiosité (et peut-être une envie d’autodestruction), je demande à mon oncle ce qu’il pense de mon livre qui montre des histoires de femmes qui n’ont jamais été exposées au public, cachées derrière des hommes plus connus. Et il répond que oui, c’est un beau concept, mais qu’il y a aussi une raison derrière et il se lance encore une fois sur la trajectoire axée sur la nature des choses. Cette trajectoire que j’ai entendue mille fois auparavant…
Je respire et regarde les livres dans son dos : Djingis Khan, Elon Musk, et de nombreux autres livres sur différentes guerres. J’essaie donc de m’adapter à sa manière de voir le monde. J’écoute et je pense aux jours qui me restent dans la maison. Je lui fais un signe de tête pour montrer que j’écoute et je lui laisse finir ses phrases. Quinze minutes plus tard, je lui envoie une nouvelle étude qui met en lumière les chasseresses. Au moins, j’ai essayé.