Histoire et fiction : où l’une commence et l’autre s’arrête

Par Zoé Le Maux
Photo ©Le Pays Briard (tournage de la saison 6 d’Un village français)
Publié le 22 avril 2025
Depuis les débuts du cinéma, les films historiques fascinent le public et remplissent les salles. Ce mois-ci, c’est au tour de The Brutalist de crever l’écran et, comme toujours, le·a spectateur·rice se demande où s’arrête la fiction et où commence l’Histoire.
Une vie, La Zone d’intérêt, The Brutalist…, les films historiques ne cessent d’être des têtes d’affiche et se passionnent toujours plus pour la Seconde Guerre mondiale. Avec une recherche de focale toujours plus originale, d’une histoire oubliée, comme pour Une vie, qui fait sortir de l’ombre l’histoire de Nicholas Winton, surnommé le Schindler britannique. À la recherche d’un un nouveau point de vue aussi, avec La Zone d’intérêt, qui présente le quotidien de Hedwig Höss dans sa maison adjacente au mur du camp d’Auschwitz, ou encore à une nouvelle focale temporelle et géographique avec The Brutalist, qui propose d’étudier les années d’après-guerre hors de l’Europe. Mais quelle partie de ces histoires est-elle romancée pour être adaptée au cinéma ? Dans The Brutalist, le personnage principal, l’architecte du Bauhaus Lázló Toth, n’a jamais existé. Pour autant, sa personne est utilisée pour raconter les multiples parcours des exilé·es hongrois·es durant l’après-guerre aux États-Unis. Sans être réel, Lázló Toth devient la figure de ces exilé·es et raconte leurs histoires en rassemblant des parcours existants dans l’histoire de ce personnage de fiction. La fiction est alors utilisée comme un moyen de raconter l’Histoire et se met à son service, bien que toujours romancée.
L’avantage de l’usage de la fiction
Romans, films, séries, bandes dessinées… Les fictions historiques se multiplient et se proposent bien souvent au grand public comme des alternatives aux travaux des historien·nes. Tout en conservant une analyse critique et une conscience de la part romancée de la fiction, celle-ci pourrait en effet prouver son utilité dans l’apprentissage de contextes historiques précis.
Prenons l’exemple de la série française Un village français, sortie en 2009, qui retrace l’histoire d’un village proche de Besançon face à l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Racontant le quotidien de nombreux·ses personnages fictif·ves, cette série propose pourtant un contexte historique très détaillé et riche tout au long de ses sept saisons. Cette forme de fiction historique offre aux spectateur·rices de nombreuses connaissances qu’iels ne serait peut-être pas allé·es chercher ailleurs. La fiction historique offre un spectre de diffusion plus grand que les travaux d’historien·nes vers lesquels on peut se tourner au quotidien. Les fictions historiques, s’imposant comme les films sur le devant de l’affiche ou les livres qui occupent nos tables de chevet, ouvrent l’accès à l’Histoire, particulièrement à la microhistoire, comme pour Un village français, qui propose de suivre le village de Villeneuve dès 1940 et présente par ce biais une histoire des villages français sous l’Occupation.
Mais comment être sûr·e de conserver son analyse critique ? En réalité, il en revient à celleux qui écrivent la fiction de choisir la part à jouer par l’historicité et celle jouée par leur imaginaire. Il est donc important de conscientiser les choix de l’auteur·rice afin de décrypter où se trouve ce curseur.
L’importance de bien placer le curseur
Il revient à l’auteur·rice de la fiction historique de choisir la place qu’iel confère à l’historicité de son récit. Il est donc important, pour appréhender ce type d’œuvre, d’être conscient·e de ce facteur avant de saisir où la fiction commence et où l’Histoire s’arrête.
Pour revenir à notre exemple, Un village français propose un curseur entre fiction et historicité qui semble se prêter à une fiction historique réussie. En effet, les historien·nes agréé·es sont consulté·es pour l’écriture de la série, et Jean-Pierre Azéma, historien spécialisé de la Seconde Guerre mondiale et de l’histoire du régime de l’État français et de la Résistance, sert de conseiller historique référent. Ici, l’Histoire et la fiction se servent l’une l’autre pour proposer un résultat entraînant, mais aussi instructif. Lorsqu’elle répond à un certain curseur d’historicité, la fiction historique vient en fait servir l’historien·ne et non pas s’imposer en opposition pour proposer sa version. En fonction du placement de ce curseur, l’auteur·rice se permet des libertés qui servent son récit, mais peuvent desservir l’Histoire. C’est notamment le cas de films comme Pearl Harbor, qui, bien que d’apparence, use du même principe—celui d’ancrer des personnages fictif·ves dans un contexte historique très présent—vient finalement déformer la réalité des faits historiques pour servir un récit spectaculaire et dramatique.
Ce curseur entre historicité et fiction est donc majeur dans l’écriture de fictions historiques et peut faire basculer l’œuvre d’un support intéressant pour la diffusion de l’Histoire à un récit fictionnel qui emprunte à l’Histoire un contexte au service de la fiction.
Démocratiser le savoir
En somme, la fiction est une arme de conviction et est donc un média de diffusion des savoirs historiques, particulièrement de la microhistoire. Lorsque celle-ci est maîtrisée, les parts de fiction permettent de donner une compréhension des faits historiques en leur apportant une mise en situation dans un contexte travaillé et historicisé. Avec un curseur entre historicité et fiction réfléchi et équilibré, la fiction historique, regardée avec un œil critique, peut donc être un bon outil d’apprentissage de l’Histoire.