Les nouvelles routes de la soie
Par Amandine Ashta
Illustration : Lorie Flaubert, @lorieandart (Instagram)
Publié le 24 février 2022
Le Président chinois Xi Jinping a mis au cœur de sa politique la diplomatie, en introduisant en 2013 le projet « One Belt, One Road », soit les nouvelles routes de la soie. La construction et le rachat d’infrastructures portuaires, ferroviaires et terrestres permettraient pour la Chine, à terme, de s’inscrire comme acteur diplomatique et économique dominant de la scène internationale, concurrençant à l’échelle régionale l’Inde, et à l’échelle mondiale les États-Unis.
En 2021, le Guardian reprenait une étude de chercheur·euses de Boston s’intéressant au poids de la dette des routes de la soie pour les pays bénéficiaires. La découverte est renversante : 165 pays endettés et 385 milliards d’euros qui n’ont pas encore été remboursés. Christine Lagarde, Présidente du FMI (Fond Monétaire International) condamne le projet chinois qu’elle qualifie de « politique de la dette », et révèle les dangers des nouvelles routes de la soie comme emprisonnant dans la dépendance les pays bénéficiaires plutôt que les enrichissant.
Renforcer son poids en Asie
La Chine tente en effet, pour construire sa présence et son influence partout dans le monde, de l’ancrer tout d’abord en Asie auprès de ses pays voisins. Depuis 2018, l’entreprise publique China Communications Construction Compagny construit le « Colombo International Financial District », soit une immense cité financière internationale semée de gigantesques bâtiments de verre et de rangs de palmiers aux larges de l’Océan Indien. L’objectif ? En faire un complexe immobilier et portuaire afin d’attirer les touristes fortuné·es du monde entier, tout en étant un port de transit stratégique entre les producteur·ices asiatiques et les consommateur·ices africain·es. 1 200 ouvrier·es s’y activent, ce qui permet au gouvernement Sri Lankais de mobiliser sa propre main d’œuvre, créant ainsi de l’emploi et stimulant l’économie. En contrepartie, les Chinois·es s’assurent l’emploi de 300 de leurs citoyen·nes, profitant alors aussi de ce projet.
La Chine construit peu à peu un immense réseau de dépendance et de redevances des pays d’Afrique, d’Asie, et d’Europe
Mais cette cité à l’impact environnemental colossal répond-elle réellement aux besoins des locaux·ales ? Les grandes firmes internationales vont-elles être attirées par le Sri Lanka qui est un acteur peu intégré aux flux économiques internationaux ? L’investissement à plus de 15 milliards de dollars laisse alors entrevoir à terme un manque de rendements pour les Sri Lankais·es, et une dette potentielle.
Car n’oublions pas que le Sri Lanka s’est déjà fait piéger par la dette, et ce pas plus tard qu’en 2016. La Chine y avait en effet financé de nombreuses infrastructures, mais, dans l’incapacité de rembourser leurs coûts, le Sri Lanka s’est vu devoir céder le port Hambantota pour une durée de 99 ans au gouvernement chinois, et ce en l’échange de l’annulation de la dette culminant à 360 millions de dollars. L’acquisition de ce port permet aux Chinois·es de s’imposer face aux voisin·es indien·nes en tant que nouvelle·aux acteur·ices et nouveau poids de l’Océan Indien.
Mais les routes de la soie ne se limitent pas à l’Asie…
Les routes de la soie chinoises franchissent l’Oural. C’est en effet en 2016 que le Port de Pirée, port grec donnant sur la Méditerranée, est racheté par l’entreprise chinoise Cosco, en espérant de grandes retombées économiques dans une Grèce toujours affaiblie par la crise financière de 2008. L’entreprise chinoise avait promis la mise en place de grands chantiers navals afin de redynamiser la région d’Attique se situant autour du Port de Pirée. Cosco a en effet rendu le port grec 4e port européen et 1er port méditerranéen, mais qu’en est-il des chantiers navals promis cinq ans auparavant et l’emploi massif des habitant·es de la région ? Rien. Au contraire, Cosco souhaite agrandir le port, projet qui ne figure pas dans les accords de 2016 et qui suscitent la colère des habitant·es de l’Attique. Cette certaine forme de « colonisation » de l’espace permet de maintenir l’espoir continu pour l’entreprise chinoise de créer des bénéfices, et pour le gouvernement une présence très forte en Europe, voire à terme dominante.
…Ni aux infrastructures maritimes
La Chine ne rachète pas uniquement des ports : son influence est désormais aussi immatérielle. En effet, la « diplomatie des stades » en Afrique consiste pour la Chine à construire un complexe sportif en Afrique en l’échange du soutien de ce pays à l’ONU. Les présidents africains raffolent de ces stades flambants neufs faisant partie intégrante de leur soft power sur un continent où la culture sportive est très présente. Mais ces investissements sont-ils rentables ? En 2017, le Président du Gabon Ali Bongo s’est vu offrir un superbe complexe pour accueillir la CAN (Coupe d’Afrique des Nations), stade aujourd’hui à l’état d’abandon, faute de moyens d’entretien. Le président gabonais est aujourd’hui couvert de dettes d’un stade qui n’a pas été réutilisé et qui ne constitue sans doute pas la priorité d’un pays où 15,3 % de la population est encore analphabète.
La Chine construit alors peu à peu un immense réseau de dépendance et de redevances des pays d’Afrique, d’Asie, et d’Europe, ce qui permet de se demander dans quelle mesure elle sera présente dans le monde au fil des 50 prochaines années.
La conquête d’« hégémonie » chinoise en Afrique tente d’être contrée
Le Premier Ministre indien Narendra Modi et son homologue le président japonais Shinzo Abe ont révélé, en 2017, le « Asia Africa Growth Corridor », ou les « routes de la liberté » reliant Asie et Afrique. Fondées sur la redynamisation d’anciennes routes maritimes, la construction d’infrastructures durables et la coopération asiatique et africaine en matière d’agriculture et de santé, le projet indo-japonais a pour objectif de contrer la prédominance chinoise en devenant partenaires des économies africaines. Mais quatre ans après le lancement de projet, les « routes de la liberté » sont au point mort, tandis que les nouvelles routes de la soie se multiplient, permettant à la Chine de s’inscrire peu à peu comme prétendante à l’hégémonie mondiale.
Sources :
https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/04/26/comment-la-chine-etend-son-influence-en-afrique-grace-a-la-diplomatie-des-stades_6078112_3242.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2017/08/09/la-route-de-la-liberte-contre-projet-de-l-inde-face-a-la-route-de-la-soie_5170391_3210.html
https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/le-sri-lanka-pris-au-piege-des-nouvelles-routes-de-la-soie-chinoises-1148337
https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Le-Sri-Lanka-piege-credits-chinois-2019-12-03-1201064175
Analphabétisme au Gabon : https://knoema.fr/atlas/Gabon/topics/%C3%89ducation/Alphab%C3%A9tisation/Taux-dalphab%C3%A9tisation-des-adultes