L’homme et la chasse : un ancien débat moderne
Par Marion-Eva Zatchi-Bi
Illustration : Madeleine Gerber
Publié le 18 novembre 2022
La chasse est un sujet qui divise la société française depuis des années, et qui implique plusieurs acteur·ices influençant la politique gouvernementale de diverses manières. Entre loisir et protection de la nature et des espèces qui la composent, la chasse questionne l’éthique et la moralité des sociétés modernes.
La Fédération Nationale des chasseurs compte aujourd’hui plus d’un million de pratiquant·es à travers la France quand la majeure partie de la population considère que la chasse est dépassée et qu’elle ne revêt aucun aspect écologique. La position de l’État vis-à-vis de ces débats varie au gré des quinquennats. Dernièrement, les décisions gouvernementales tendent à maintenir la chasse.
Selon un sondage d’Ipsos sur l’opinion des Français à l’égard de la chasse, plus de 50 % des personnes interrogées seraient contre. La dimension barbare est une des premières raisons invoquées, de même que l’aspect sécuritaire. En effet selon l’Office français de la biodiversité, quatre-vingt-dix accidents de chasse dont huit mortels ont été recensés entre 2021 et 2022. Ces chiffres annoncés comme étant en baisse ne mettent pourtant pas fin aux critiques. Durant la saison de chasse qui s’étend de septembre à février, nombreux·ses sont les riverain·es qui se plaignent de l’impossibilité de pouvoir se promener en forêt sans risquer un accident. À côté des citoyen·ns, des organismes de protection de la nature comme l’Association pour la protection des animaux Sauvages (ASPAS) militent sur d’autres aspects comme la protection des espèces animales ouvertes à la chasse ou encore l’habilité des chasseurs à pratiquer.
Des conflits internes émergent également à propos de la manière de chasser. La figure de Raymond Louis en est un bon exemple. Ce chasseur milite contre les pratiques de chasse en enclos. Celles-ci s’effectuent dans des espaces naturels clos où du gibier est élevé. La principale critique faite par M. Louis réside dans la manière de pratiquer. En effet, lors de ces parties de chasse, des traqueurs rabattent les animaux pour que les adhérents puissent tirer et éventuellement toucher une cible. À la fin de la partie, les chasseurs ne dépècent et ne mangent pas leur gibier qui est vendu sur place au kilo ou envoyé pour la vente dans des boucheries partenaires. Contrairement aux chasseurs ruraux qui habitent dans les espaces naturels, les pratiquants de la chasse en enclos ne font pas de la chasse un mode de vie mais une pratique occasionnelle.
En plus des conflits entre les membres de la société et les adhérents du mouvement, la chasse divise aussi la classe politique.
L’État et la chasse
La démission de Nicolas Hulot du poste de ministre de la transition écologique et solidaire en 2018 a remis en lumière l’action du lobby de la chasse au sein du gouvernement. Même si l’ancien ministre affirme que la réunion du président de la République Emmanuel Macron à propos de la réforme de la chasse n’a pas précipité sa décision, elle a tout de même joué un rôle. La présence d’un lobby de la chasse au moment de sa réforme aurait décidé l’ancien ministre.
Outre les rumeurs, la présence des chasseurs sur la scène politique n’est pas nouvelle. En effet, à chaque fois que les chasseurs voient leurs prérogatives menacées, ils n’hésitent pas à descendre dans la rue car la chasse est une affaire de politique. Cette activité nécessite de nombreuses autorisations notamment pour la mise en place d’espaces autorisés, l’allocation de permis pour détenir une arme à feu ou encore simplement pouvoir chasser. Tout cela explique la présence du lobby de la chasse dans les couloirs de l’Élysée, représenté par le conseiller politique Thierry Coste. Ce dernier proche du pouvoir agit en faveur de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) depuis des années.
Rien que dans l’année 2020, le lobby des chasseurs a enregistré plusieurs victoires. Premièrement, la baisse du coût du permis de chasse qui passe de 400 à 200 euros. La mise en place d’une « police rurale » rattachée à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage qui protège les espaces naturels est aussi mis en place. Cette dernière fait office de régulateur. Le soutien du président de la République à l’égard des chasseurs se manifeste aussi d’autres manières. En effet, en 2017, Emmanuel Macron émet le souhait de rouvrir les chasses présidentielles. Héritée de l’Ancien Régime, cette tradition est rarement pratiquée de manière officielle par le président au pouvoir.
Les premiers écologistes
Historiquement, l’art cynégétique constitue un symbole important pour le pouvoir seigneurial, royal et impérial. La pratique de la chasse a longtemps été considérée comme un élément fondamental du pouvoir souverain.
C’est au nom de la conservation de celle-ci que les premières actions en faveur de la protection de la nature ont été développées. La mise en place de grands domaines forestiers ainsi que la privatisation de certaines forêts s’inscrivent dans un premier temps dans la volonté de conserver un loisir devenu obligatoire. Cette idée considérée comme contradictoire par les opposant·es à la chasse est présente dans les valeurs défendues par la FNC. De plus, les chasseurs soulignent qu’ils régulent les espèces sauvages qui prolifèrent dans les campagnes.
Protéger et exploiter
Dans son livre intitulé L’Animal et la Mort , l’anthropologue Charles Stépanoff propose une vision différente de la chasse en établissant une ethnographie des chasseurs ruraux dans certaines régions françaises. Long sont les débats sur la légitimité ou non de la pratique de la chasse mais la définition du terme reste assez rare dans les médias. L’auteur définit la chasse comme un « acte volontaire de confrontation de l’humain avec l’animal sauvage capable de lui résister ». Cette définition établit intrinsèquement un rapport dominant-dominé entre les hommes et les animaux tués dans le cadre d’une chasse. Si la pratique indigne autant qu’elle fascine c’est parce qu’elle souligne une certaine hypocrisie des Hommes. Le processus de « socialisation des mœurs » théorisé par le philosophe Norbert Elias est aussi évoqué. Il implique un processus d’invisibilisation des pratiques violentes en particulier envers les animaux qui illustre bien le problème. L’auteur utilise l’exemple de la délocalisation des abattoirs, présents dans la ville de Paris jusqu’au XIXe siècle.
Si la violence envers les animaux n’est pas visible dans la société, elle indigne lorsqu’elle est effectuée de manière volontaire. Cette violence renvoie à une réalité qui n’est plus d’actualité. La déclaration de Brigitte Bardot à propos des chasseurs souligne bien cet aspect :
Cependant cette violence n’implique pas tous les êtres vivants : on s’indigne moins face à la mise à mort d’une araignée que d’un veau. De même, on s’indigne de la mise à mort d’un animal dans le cadre d’une chasse alors que les milliers d’animaux meurent dans des élevages intensifs destinés à l’industrie agro-alimentaire. Ce paradoxe décrit par l’auteur Charles Stépanoff nous amène à réfléchir. Peut-on vraiment parler de progrès lorsque de telles contradictions subsistent ? Il convient à chacun d’en juger. Quoi qu’il en soit, l’étude des divisions liées à la pratique de la chasse fait l’objet d’une analyse en surface qui explique une incompréhension des arguments de chacune des parties.
Ainsi, la question de la chasse divise, entre politique et question éthique, la pratique questionne la volonté de l’homme à exploiter tout en préservant les espèces et leurs milieux. Les débats politiques et sociaux trouvent leur explication dans des analyses anthropologiques qui permettent de mieux comprendre le maintien de cette pratique peu appréciée par la majorité. Son évolution sociale et politique est permise par des actions gouvernementales favorables à cette pratique.
Sources :
Arte (25 mai 2022). Pourquoi déteste-t-on la chasse ? |Les idées Larges [vidéo].Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=oqmaYwK-Xto&t=691s
Charles Stépanoff, L’animal et la mort, Chasses, modernité et crise du sauvage, La Découverte, 2021
« L’opinion des Français à l’égard de la chasse » Ipsos (étude statistique)
Ecologie.gouv, Chasse en France, disponible à l’adresse : Chasse en France | Ministères Écologie Énergie Territoires (ecologie.gouv.fr)
« Démission de Nicolas Hulot : trois questions pour comprendre la réforme de la chasse qui a précipité le départ du ministre », Franceinfo et l’AFP, mis à jour le 28/08/2018, consulté le 27/10/22, disponible à l’adresse : Démission de Nicolas Hulot : trois questions pour comprendre la réforme de la chasse qui a précipité le départ du ministre (francetvinfo.fr)