Le revers de la naissance

Par Marion-Eva Zatchi-Bi
Publié le 3 février 2022

Perpétrées volontairement ou involontairement par une minorité de praticien·nes, les violences gynécologiques et obstétricales impactent à la fois physiquement et psychologiquement les patientes qui en sont victimes.

Suite au lancement du hashtag « balance ton utérus » en 2014, la parole s’est libérée, et de nombreuses femmes ont commencé à parler des violences qu’elles ont subies, durant leurs consultations avec des gynécologues, des obstétricien·nes ou des sages-femmes. Tandis qu’elles dénoncent, au travers de témoignages, le manque de considération et des mauvais traitements, les représentant·es des professionnel·les de santé, sans nier la possibilité de ces violences, mettent en avant le manque de moyen et un acharnement contre leurs professions. En parallèle, plusieurs acteur·ices publient et mettent en place des alternatives, visant à améliorer l’accueil et le suivi des femmes, durant leur grossesse.

Quelles violences ?

Le Haut Conseil à l’égalité définit les violences gynécologiques et obstétricales comme « l’ensemble des actes ou comportements, commis par le personnel de santé, qui ne sont pas justifiés médicalement, ou effectués sans le consentement de la patiente ». Ce sujet est abordé dans un reportage intitulé Tu enfanteras dans la douleur. Dans celui-ci, la réalisatrice Ovidie met en avant, notamment grâce à des témoignages, le traitement subi par les femmes lors de leurs accouchements, ainsi que les traumatismes que cela peut engendrer. Césariennes, épisiotomies (incision du périnée), sutures sans anesthésie ou avec une anesthésie défaillante, gestes brutaux, d’humiliation ou encore expression abdominale (pression sur le fond de l’utérus) ; tant d’actes  effectués sans le consentement de la patiente. Ces derniers nous questionnent, dans un premier temps, sur l’objectification des femmes lors des accouchements ; un point abordé dans ce reportage. Cela nous interroge aussi sur la nécessité de prendre en compte, aussi bien le bien-être psychologique et physique de la mère après l’accouchement, que celui du nouveau-né.

En effet, on visualise souvent l’accouchement comme étant un acte violent par nature, et que, par conséquent, le bon état du bébé suffit à compenser les douleurs liées à celui-ci ; ce qui n’est pas nécessairement le cas. Aux actes médicaux traumatisants, s’ajoute un sexisme internalisé, qui explique, en partie, les comportements qui ont lieu durant les accouchements et les actes gynécologiques répréhensibles. Certaines femmes évoquent notamment une minimisation constante de leur douleur durant l’accouchement, ou les actes qui y sont reliés. Cette sous-estimation de la douleur, qui mène parfois à une non prise en compte de celle-ci, peut, dans le cadre d’un accouchement, durablement impacter la patiente.

La douleur est considérée comme l’état naturel des femmes. Cela a conduit les médecins à ne pas prendre en compte les douleurs des femmes, que ce soit lors des menstruations ou de l’accouchement

Rapport HCE 2018

Ce sexisme au sein de la profession provient du fait que, historiquement, la douleur est considérée comme faisant  partie du quotidien de la femme, et que celle-ci serait à même de la contrôler en toutes circonstances, notamment lors d’un accouchement. Cette confusion empêche une bonne prise en charge, lorsque surviennent des problèmes graves. Catherine Vidal, neurobiologiste et Muriel Salle, historienne nous parlent, dans leur ouvrage Femmes et santé, encore une affaire d’homme ?, d’une « confusion entre le normal et le pathologique » en ce qui concerne la santé des femmes dans l’histoire de la science médicale, en particulier celle du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle . Cette confusion conduirait certain·es médecins à ne pas prendre en compte la douleur des femmes correctement, et ce, jusqu’à aujourd’hui.

Un manque de moyens qui empêche le bon fonctionnement des maternités

Face à ces accusations, les gynécologues et obstétricien·nes pointent un manque de moyens et un acharnement envers leur profession. En effet, iels ne nient pas la possibilité de violences dans le milieu, mais cela ne concerne qu’une minorité d’entre elleux. L’ancien président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF), Israël Nisand (2017-2020), faisait état d’un manque de moyens, qui ne permettait pas aux professionnel·les de santé d’effectuer correctement leur travail. Selon lui, les différents témoignages sur des cas de violences, lors du processus d’accouchement, ou encore, lors du suivi, désignent les faits d’une minorité non représentative de la profession toute entière.

Le surmenage du personnel sur place, qui travaille en moyenne douze heures par jour, peut également être la cause de violences ; la fatigue pouvant amener le personnel à être involontairement maltraitant. De plus, selon le CNGOF, la réforme des procédures dans les maternités, relève uniquement du ministère de la santé, qui lui, ne cesse de diminuer les moyens dans les maternités, empêchant de possibles améliorations. C’est pour cela que le président du CNGOF dénonce un « gynéco bashing » qui porterait préjudice à toute la profession.

Une partielle protection légale

Le consentement des patientes lors des accouchements est, en théorie, protégé par la « loi Kouchner » de 2002, disposant que « toute personne prend, avec le professionnel de santé, et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Les médecins, et toutes les personnes travaillant dans le corps médical, doivent donc respecter les décisions prises par le·a patient·e, et n’effectuer aucun acte médical sans le consentement de ce·tte dernièr·e. Cependant, dans le cadre de l’accouchement, il arrive souvent que le personnel de santé déroge à cette loi, en raison du caractère urgent de la situation, ou par habitude, ce qui n’en reste pas moins illégal. Face à ces manquements, de nombreuses femmes entament des procédures disciplinaires, à l’encontre des médecins, notamment avec l’aide d’associations de victimes comme le Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE). Elles font face à de nombreuses difficultés lors des différentes étapes de la procédure.

Ces difficultés s’expliquent, dans un premier temps, par la procédure elle-même. En effet, le fonctionnement et la composition de la juridiction disciplinaire de l’Ordre de médecins et des sages-femmes interrogent sur l’impartialité des jugements rendus. Premièrement, les victimes font face à des difficultés pour récupérer leur dossier médical et certains sont trafiqués. De plus, les conciliations, obligatoires dans le cadre d’une plainte auprès de ces juridictions, accentuent le rapport de domination déjà présent entre le·a professionnel·le de santé et la patiente. S’ajoute à cela l’absence de convocation des médecins lors des procédures, le manque d’égalité entre les plaignantes, la culpabilisation de la victime, ou encore, la non transmission du dossier aux juridictions disciplinaires régionales, pour poursuivre la procédure. La coprésidente du CIANE déclare, dans un article pour Médiapart, que la prise de conscience, bien qu’essentielle, ne suffit pas à régler tous les problèmes. Il faut faire en sorte que les professionnel·les tiennent compte des plaintes émises par les patientes. La mise en place d’un jugement interne, entre pairs, ne semble donc pas idéal pour dénoncer des violences dans le corps médical.

Aujourd’hui, même s’il y a un médiateur dans chaque maternité, on n’a pas la garantie que la situation va être étudiée par l’équipe médicale. Et la plainte peut passer à la trappe 

La coprésidente du CIANE dans un article pour Médiapart

Pour la première fois en 2017, une réponse politique a été apportée aux questions des violences gynécologiques et obstétricales. Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, commande un rapport au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Celui-ci porte sur « les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical », et fait notamment état des nombreuses violences, que pourraient subir certaines femmes durant leur grossesse et lors leur accouchement. Il propose également différentes mesures, qui pourraient être mises en place, pour lutter contre ces violences.

Cette première réponse politique, malgré un fort impact médiatique et sociétal, n’a pas eu de conséquences juridiques, à proprement parler. Malgré l’adoption, par le Conseil National de l’Ordre des Médecins, de certains points du rapport, ainsi que l’ouverture d’une commission de promotion de la bientraitance en gynécologie par ce dernier, aucune loi n’a été votée. Le CNGOF a, par ailleurs, annoncé ne rien changer dans son système de procédure disciplinaire. Néanmoins, cela a permis le développement de nouvelles techniques d’accouchement et la promotion d’une médecine réaffirmant la nécessité de limiter « les interventions techniques et médicamenteuses au minimum nécessaire » (rapport de la Haute Autorité de Santé en 2016).

Des alternatives pour limiter les violences obstétricales 

Au fil des années, plusieurs alternatives ont émergé, afin d’améliorer les pratiques médicales, et empêcher les possibles traumatismes lors de la naissance. Cela concerne, par exemple, la pratique de l’épisiotomie. Selon une enquête du CIANE, trois femmes sur quatre déclarent l’avoir mal vécue. Sachant qu’une femme sur cinq subit encore cette opération en France (INSERM 2016), cela comprend un grand nombre d’accouchements. La réponse apportée par la maternité du CHU de Besançon est la suivante : privilégier les techniques naturelles, comme la relaxation ou encore l’acupuncture, pour faciliter l’accouchement. Entre 2016 et 2020 l’hôpital affirme avoir baissé son taux d’épisiotomie de 26 à 13 %. D’autres hôpitaux développent aussi des mesures, pour mieux accompagner les femmes dans le processus d’accouchement, en préparant des visites des locaux (salle d’accouchement, salle de réveil, etc). Certains mettent en place des consultations avec les gynécologues, afin de faire un retour sur l’accouchement, et orienter la patiente vers des psychologues, en cas de stress post-traumatique.

En dépit de toutes les mesures mises en place, pour dénoncer et limiter les violences faites aux femmes durant leur cycle de grossesse, les mauvais traitements persistent. Une enquête réalisée par le collectif « Tous.tes Contre les Violences Obstétricales et Gynécologiques » sur la grossesse, l’accouchement et le postpartum pendant l’épidémie de COVID-19, fait état d’une nette aggravation des violences faites aux femmes dans les maternités. Cela concerne notamment l’interdiction d’accompagnant·es, l’obligation du port du masque, ou encore, l’augmentation des déclenchements.

Huit ans après la libération de la parole sur les violences obstétricales et gynécologiques, de nombreux changements ont été opérés par les professionnel·les de santé, pour améliorer les conditions d’accueil des femmes lors de leur accouchement. Les différents témoignages ont eu pour conséquence la publication de rapports, qui font état de la situation à l’échelle nationale. Toutefois, les différents changements sont lents et aucune loi n’a été promulguée pour améliorer, de manière officielle, la situation des femmes dans les maternités. Là où l’État et les institutions rechignent à changer, c’est grâce aux initiatives d’hôpitaux ou d’associations que certaines évolutions voient le jour.

Sources :
Delphine Tayac et Marine Mugnier (Collectif Antidotes pour Médiacités), Comment en finir avec les violences obstétricales, Médiapart, (24/10/2021)
Marie-Hélène Lahaye, Conjoint interdit, masque, déclenchement : l’explosion des violences obstétricales, Le Club de Médiapart, (03/08/2020)
Laura Motet et Anne-Aël Durand, Césarienne, épisiotomie…enquête sur la médicalisation de l’accouchement en France, Le Monde, (Mise à jour du 07/05/2018)
Maitre Gauthier LECOCQ, La plainte devant le Conseil de l’Ordre des Médecins, LegaVox.fr (version du 29/09/2021)
HCE, Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical, France, Rapport n°2018-06-26-SAN-034, voté le 26 juin 2018
Rapport INSERM 2016 : Enquête nationale périnatale
Ovidie, Tu enfanteras dans la douleur (2019), Arte 

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