Patrimoine culturel et inégalités sociales

Par Lou Trullard
Photo : Casco antiguo de Panamá, Wikimedia Commons
Publié le 17 mars 2022

“La culture, c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre”.

Cette citation de l’écrivain Milan Kundera, qui a publié de nombreux articles politico-culturels pour le journal Le Monde, durant les années 1970, semble véridique au premier abord. Mais dans notre société actuelle, le patrimoine culturel n’a-t-il pas, justement, l’effet inverse, en révélant d’avantages les inégalités sociales ?

La place de la culture dans la vie des citoyens français

Depuis quelques années, en France, l’attrait pour la culture s’est globalement généralisé et la notion de patrimoine est devenue essentielle. Celle-ci correspond à
l’ensemble des traces du passé, dont les intérêts historique, culturel et esthétique justifient qu’elles soient conservées pour le présent et l’avenir.

Cependant, d’après le sociologue Pierre Bourdieu, il existe de fortes inégalités entre les individus, concernant leur patrimoine culturel, en fonction de leur classe sociale.
Même si cette référence est un peu ancienne, des différences structurent toujours l’espace social, composé de groupes sociaux distincts, et sont particulièrement visibles à l’étude des pratiques culturelles dont le patrimoine culturel fait partie. De plus, certaines personnes sont exclues ou s’excluent elles-mêmes de ces pratiques de part leur socialisation, à savoir le processus par lequel les individus intériorisent les normes et les valeurs du groupe ou de la société auxquelles ils appartiennent. Mais, le milieu social, lié au niveau de diplôme, au revenu etc, peut aussi jouer un rôle.

Les conséquences parfois néfastes du patrimoine mondial

Au XXe siècle, la notion de patrimoine s’élargit et se diffuse à travers le monde.
Ainsi, le patrimoine mondial de l’Unesco désigne l’ensemble des biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. Une convention internationale pour sa protection et sa valorisation est alors signée le 16 novembre 1972.

Néanmoins, le classement d’un site sur cette prestigieuse liste peut entraîner des effets négatifs, pour une partie de la population, comme cela a été le cas à Panama City. En effet, le classement sur cette liste en 1997 du quartier historique, le Casco Antiguo, en tant que patrimoine culturel, a entraîné la relégation des plus pauvres vers la périphérie, parallèlement à la mise en tourisme de ce quartier central.

L’apparence actuelle du District historique est marquée par une fusion unique d’architecture du XIXe et du début du XXe siècle, inspirée par des styles de la fin de la période coloniale des Caraïbes, de la Côte du Golfe mais aussi de France. Cependant, le Casco Antiguo était délabré au moment de son classement. Il a donc fait l’objet d’une importante transformation engendrant une brutale éviction des classes populaires ; leurs portes et leurs fenêtres ont effectivement été murées pour les expulser, tandis que le quartier était restauré et se gentrifiait.

Aujourd’hui, près de 2 millions de touristes viennent chaque année découvrir Panama City et ce site est investi par de riches étrangers qui rachètent les plus belles
bâtisses. Mais, il en résulte toujours une forte polarisation des inégalités.

Le luxe, un « danger » pour l’avenir de la culture

Le patrimoine et le luxe partagent une même conception de ce qui est beau, par rapport à des critères semblables, tels que la rareté, l’excellence, le savoir-faire etc., et ont, à l’origine, tous les deux attirés une certaine élite culturelle. Ces deux domaines ont alors décidé de s’associer afin, pour les grandes maisons de luxe, d’accroître leur
prestige et pour les lieux patrimoniaux, d’obtenir des financements conséquents.
Pour cela, les marques luxueuses investissent les plus beaux châteaux et musées pour créer leurs publicités.

Par exemple, le duo Dior-Versailles est révélateur à cet égard, puisque Charlize Theron a plusieurs fois déambulé pour la promotion du célèbre parfum “J’adore”, dans la majestueuse Galerie des Glaces. De plus, Christian Dior, qui vouait un véritable culte au style néo-Louis XIV, a investi 5,5 millions d’euros pour restaurer le grand lustre du village d’opérette de Marie Antoinette, après avoir fêté ses 60 ans dans l’Orangerie du Château en 2007. Enfin, cette maison ainsi que ses consœurs, comme Chanel, Louis Vuitton, Cartier ou encore Hermès, ont contribué à hauteur de 19,38 % du mécénat du Château de Versailles entre 2012 et 2018. Ainsi, aujourd’hui, le patrimoine sert à la valorisation du luxe aboutissant à un afflux de touristes fortunés dans les espaces patrimoniaux.

Malgré les efforts menés par l’État au sujet de la démocratisation culturelle, à savoir, selon la formule du premier ministre de la Culture français André Malraux, « l’action
permettant de mettre à la disposition du plus grand nombre les œuvres majeures de l’humanité », le patrimoine reste fortement réservé à une élite culturelle détenant
également le capital financier. On constate même, depuis quelques années, que les inégalités sociales tendent à s’accroître. Le patrimoine et sa notion d’intérêt pour
l’ensemble de l’humanité a donc encore bien des limites face à la perfection exigée.

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