Patrimoine Africain : le temps de la restitution

Par Marion-Eva Zatchi-Bi  
Illustration: Nolwenn Polge
Publié le 9 décembre 2021

À l’occasion du transfert de vingt-six objets au Bénin par le musée français du Quai Branly, la question de la restitution des œuvres d’art africaines, à leur pays d’origine, revient dans l’actualité. Cela nous donne l’occasion d’effectuer un rapide retour sur les objectifs et les enjeux d’une question qui fait débat depuis des décennies.

On estime aujourd’hui que près de 90 % des œuvres d’art africaines sont conservées dans différents pays étrangers dont la majorité se trouve en Europe occidentale. En France, cette question divise la classe politique, les experts et la population depuis longtemps. En 2017, le président Emmanuel Macron, lors de son discours à Ouagadougou, déclare vouloir réunir les conditions nécessaires à la restitution de ces œuvres d’art à leur pays d’origine. Cette déclaration, qui se veut historique, répond à d’anciennes réclamations jusqu’alors ignorées. Les œuvres récemment rendues par le Quai Branly, font en effet,  partie des 90 000 œuvres répertoriées dans les collections françaises.

Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France […] le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. »

Emmanuel Macron

En tant qu’ancienne puissance coloniale, la France, comme de nombreux pays européens, récoltait des œuvres d’art par le biais de guerres, de missions scientifiques ou lors d’achats à des prix bien en dessous du marché de l’art de l’époque. Les collections principalement composées de masques, sculptures ou encore du mobilier précieux, s’inscrivent à l’époque dans une démarche colonialiste, qui voulait montrer au monde des biens d’Afrique, qui seraient jusque-là ignorés.

Cette démarche s’accompagne de lois censées permettre la conservation de ces œuvres en France, en cas de demande des pays propriétaires. Le principe d’inaliénabilité du domaine public empêche depuis l’Ancien Régime tout transfert de propriété d’un bien présent dans les collections publiques. Aujourd’hui, l’article L.451-5 du Code du patrimoine dispose que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. »

Toutefois, ce principe semble remis en question par la déclaration du Président de la République et le rapport commandé par celui-ci qui souligne cette volonté de changement. Écrit par Felwine Sarr, professeur à l’Université de Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal et Bénédicte Savoy professeure à la Technische Universität de Berlin en Allemagne, ce rapport préconise de rapides restitutions. Celles-ci sont jugées primordiales pour les populations africaines, en particulier la jeunesse.

Des oppositions toujours persistantes

La volonté présidentielle ne fait pas l’unanimité dans la société française, nombreux·ses sont celleux qui estiment que les retours ne devraient pas avoir lieu. Les arguments évoqués ont, comme point commun, la volonté de démontrer une prétendue incapacité des pays africains à conserver et à apprécier leur art. 

En effet, dès les premières demandes de restitutions dans les années 1950, les pays européens ont systématiquement refusé, invoquant le fait que, s’ils n’avaient pas récupéré ces œuvres lors de leurs expéditions, elles n’existeraient plus aujourd’hui. Ce point de vue est d’ailleurs partagé par certains acteurs du milieu comme le collectionneur Réginald Groux, qui estime que, sans l’action des puissances coloniales, de nombreux objets auraient disparu.

Sans les collectionneurs, les 99 % d’objets qui se trouvent en Europe auraient presque tous disparu, victimes de l’ignorance, des termites, des autodafés des religieux de tous bords

Réginal Groux

À cet argument, il convient de rappeler que dans les anciens royaumes, les cours des rois étaient composées d’artistes et d’intellectuel·les qui célébraient la puissance, notamment avec des œuvres d’art. La sculpture de « l’Homme-requin » créée par le courtisan Sossa Dede pour célébrer la puissance du roi du Dahomey au XIXe siècle en témoigne. De plus, avant leur pillage, les œuvres  contribuaient à l’entretien des coutumes dans chaque tribu. Silvie Memel Kassi,  directrice du musée des Civilisations d’Abidjan, évoque dans un reportage pour Arte, la dimension sacrée et politique de ces objets dans l’organisation des sociétés locales. Les tabourets royaux, par exemple, permettaient au chef de village ou au roi d’assurer leur autorité. D’autres arguments contre les restitutions accompagnent ce point de vue, notamment l’absence de moyens financiers et d’experts capables d’entretenir, de conserver  et de protéger les œuvres contre les pillages. Il ne servirait également à rien, d’après les détracteurs, de rendre des œuvres d’art au détriment des collections françaises qui seraient vidées.

Ces arguments, très stéréotypés, ne reflètent pas la réalité de l’art en Afrique. Dès les premières indépendances, les pays africains revendiquaient la nécessite de récupérer les œuvres d’art qui avaient été pillées. Cette volonté a d’ailleurs donné lieu à de nombreux congrès, expositions et festivals comme celui des « arts nègres » en 1966 à Dakar, qui réunit tous les représentants des pays africains et d’autres personnalités du monde entier. La construction de nombreuses écoles et institutions formant aux métiers de l’art et du patrimoine témoigne également de l’intérêt de la population.  Concernant la protection de ces œuvres, Felwine Sarr souligne qu’il y a, en effet, des cas de pillages et de vols, dus au manque de moyens des musées, mais qu’il est important de ne pas généraliser ces pratiques à tout un continent. Des musées occidentaux ont, eux aussi, dû faire face à des cas de vols ou de pertes d’objets, comme l’illustre le vol du cœur d’Anne de Bretagne en 2019. De même, les collections françaises sont composées de centaines de milliers d’œuvres, dont une grande partie, présente en réserve, n’est pas exploitée. Il semble alors très peu probable que les musées français se vident à la suite des restitutions. Ces dernières ne signifient d’ailleurs pas une conservation exclusive par les pays africains. Le vice-président du comité chargé de la coopération muséale et patrimoniale entre le France et le Bénin assure dans un article du Monde Diplomatique qu’« une fois revenus officiellement dans le patrimoine du Bénin, qu’ils [les objets] se trouvent à Paris, à Abomey ou à Dakar, ils continueront à voyager et à être présentés dans des expositions ».

L’art comme outil politique

La restitution des œuvres d’art a, en théorie, des avantages pour toutes les parties. Elle permet, dans un premier temps, aux pays africains de développer une politique touristique autour de ces objets du patrimoine. Le directeur de programme à l’Agence Nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) au Bénin, déclarait dans un article du Monde Diplomatique, qu’au-delà de l’aspect symbolique des restitutions, celles-ci devraient également « contribuer à l’économie de notre pays par le biais d’un développement d’un tourisme ambitieux ». Ces profits, dans un second temps, pourraient ensuite être réinvestis dans l’entretien des lieux culturels. Enfin, le retour de ces œuvres devrait également permettre le financement de recherches scientifiques et archéologiques dans les pays ainsi que la diffusion du patrimoine auprès de l’ensemble de la population.

Les pays occidentaux quant à eux, instrumentalisent les restitutions à des fins politiques et géopolitiques. Celles-ci s’accompagnent généralement d’accords financiers, industriels ou militaires. Dans le cas de la France, la restitution du sabre dit d’El Hadj Oumar Tall au Sénégal, s’accompagne de plusieurs contrats d’armements, ainsi que d’un contrat d’externalisation des mesures contre la migration subsaharienne. En faisant ceci, le gouvernement cherche à améliorer ses rapports avec les pays africains et leurs diasporas, tout en bénéficiant d’accords politiques et militaires, qui renforcent la présence française sur le continent. D’autres pays adoptent également cette démarche, en finançant la construction ou la réhabilitation des nouveaux musées, c’est notamment le cas de la Chine qui a financé la construction du nouveau Musée des Civilisations noires à Dakar.

Cet aspect politique suscite la méfiance de certain·es acteur·ices du milieu de l’art et du patrimoine en Afrique. Celleux-ci soulignent le fait que quatre ans après le discours d’Emmanuel Macron aucune révision du Code du patrimoine concernant l’inaliénabilité des œuvres d’art présentes dans les collections publiques françaises n’a été envisagée. De plus, les restitutions s’apparentent plus à des démarches symboliques du Gouvernement et du Parlement qu’à une réelle politique publique. Le choix des objets, ainsi que les modalités de retours, restent encore majoritairement à l’appréciation du pays actuellement détenteur de ces œuvres.  

Ainsi, il semblerait que les restitutions d’œuvres d’art n’aient pas fini de faire parler d’elles. L’évolution des mentalités en matière de patrimoine amène les pays occidentaux à envisager ces démarches nécessaires. Cependant, ce processus soulève de nombreuses problématiques, qui ne sont pas toutes abordées dans l’article, c’est pourquoi en dépit des différentes avancées, il reste encore un long chemin à parcourir pour que les œuvres d’art africaines retournent chez elles.  

Sources :
Banqué Philippe, « Polémique sur la restitution des objets d’art africains », Le Monde diplomatique, août 2020, pages 14 et 15, disponible à l’adresse : https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/BAQUE/62067
Arte, « Restituer, l’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre » : https://www.arte.tv/fr/videos/097591-000-A/restituer/
Le  Monde Afrique : https://www.youtube.com/watch?v=18wFECHruKM&list=WL&index=168&t=20s (interview de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy au sujet du rapport « restituer le patrimoine africain)
France culture : https://www.youtube.com/watch?v=L6itNo3Vmnk&list=WL&index=158&t=319s (interview de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy au sujet du rapport « restituer le patrimoine africain)
MAILLARD Matteo, « Au Sénégal, une visite d’Edouard Philippe sous le signe des armes », Le Monde Afrique, mise à jour du 21 novembre 2019, disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/18/au-senegal-edouard-philippe-rend-un-sabre-et-vend-des-missiles_6019648_3212.html
Laurence Caramel : « Patrimoine africain : « Les musées occidentaux sont entrés dans l’âge de l’intranquillité »,Le Monde Afrique, mise à jour du 14 novembre 2020, disponible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/13/patrimoine-africain-les-musees-occidentaux-sont-entres-dans-l-age-de-l-intranquillite_6055885_3212.html

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