Le revenu universel, une idée d’avenir
Par Elina Thanassekos
Illustration : Lorie Flaubert, @lorieandart (Instagram)
Publié le 16 décembre 2021
L’idée d’un revenu universel d’existence (RUE) fait son entrée dans le débat public lors des élections présidentielle de 2017, portée par le candidat socialiste Benoît Hamon. Défendu à gauche et critiqué à droite, le revenu universel divise la sphère politique, en faisant un véritable enjeu social, qui questionne l’avenir de nos sociétés.
Le revenu universel, à la différence des multiples aides sociales déjà existantes, est une somme d’argent versée à tous, sans contrepartie. De nombreuses versions du revenu universel existent, qui diffèrent selon le montant versé ou encore l’origine du financement. Mais quelle que soit la somme versée, les détracteur·ices du revenu universel affirment que celui-ci coûterait trop cher à l’État, et qu’il encouragerait ses bénéficiaires à ne plus travailler, ou à ne pas chercher de travail.
Un coût trop important ?
En effet, lorsque Benoît Hamon a exposé son projet lors de la campagne, une grande partie de la scène politique a combattu cette idée, Manuel Valls en tête. Il voyait le revenu universel comme un danger sans précédent pour le budget de l’État, et estimait son coût « exorbitant ». L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a évalué le coût de la mesure à 480 milliards d’euros, soit un quart du PIB français. Dans cette simulation, le revenu universel serait de 780 euros par mois et par adulte. Le revenu universel représente donc un budget conséquent, mais les données de l’OFCE sont celles d’un revenu universel abouti. Bien sûr, Benoît Hamon portait ce projet sur plusieurs années, avec une mise en place par paliers progressifs. Le candidat socialiste voulait d’abord orienter le revenu universel vers les jeunes entre 18 et 25 ans, avant de l’étendre à une plus grande partie de la population. Cette première étape se chiffrait entre 40 et 50 milliards d’euros. Un budget moins conséquent donc, mais qu’il faut tout de même financer.
C’est la grande question qui alimente le débat : comment le financer ? Si l’on prend le budget accordé aux 18-25 ans, il correspond à l’équivalent du pacte de responsabilité et du CICE, qui correspondent respectivement à une baisse des cotisations patronales ainsi qu’à des exonérations d’impôts consenties aux entreprises, sous la présidence de François Hollande. Si l’on augmente les charges des entreprises, qu’une réforme fiscale est engagée et que la taxe sur les robots, promise par le candidat, est appliquée, alors cette première étape du revenu universel est facilement finançable. Pour les économistes partisan·es du revenu universel, dont Thomas Piketty, ce projet est également faisable financièrement, si l’on supprime certaines aides sociales (tels que le revenu de solidarité active (RSA) ou l’allocation de solidarité spécifique (ASS)) pour les remplacer par ce revenu. Le revenu universel est donc un projet économique important, mais pas impossible.
Une aide à la paresse ?
Mais le revenu universel est avant tout une proposition qui ouvre de nombreuses questions philosophiques et sociologiques. Aujourd’hui, 10 % de la population française vit en dessous du seuil de pauvreté, et la crise du Covid-19 a révélé la précarité dans laquelle vit une grande partie d’entre elle. La file des étudiant·es devant les structures d’aide alimentaire a démontré l’urgence d’une réforme sociale, qui viendrait en aide aux plus précaires. Historiquement, la population la plus pauvre (dont les chômeur·euses) est considérée comme un « boulet », qu’il suffit simplement de bousculer pour qu’il trouve du travail. Il faut contrôler les chômeur·euses pour s’assurer qu’iels cherchent bien un emploi et qu’iels ne restent pas à profiter des aides de l’État, les bras ballants, alors qu’il « suffit de traverser la rue pour trouver du travail ». Plutôt que de dénoncer l’assistanat, le revenu universel permettrait d’offrir à ces populations précaires de nouvelles perspectives d’avenir.
Si l’on vous pose la question : cesseriez-vous de travailler ou de chercher un emploi si vous touchiez un revenu de 560 euros par mois ? le nombre de réponses positives ne représente
jamais plus de 2 % à 3 % .
L’un des principaux arguments des adversaires du revenu universel est qu’il encouragerait la paresse. Or, de nombreuses simulations réalisées à travers le monde montrent le contraire et soulignent les bénéfices du revenu universel. La Finlande, par exemple, a lancé sa propre expérimentation du revenu universel en 2016. Deux mille finlandais·es âgé·es de 25 à 58 ans à la recherche de travail ont été tiré·es au sort pour percevoir, pendant deux ans, une indemnité de 560 euros non imposable. Les résultats de l’expérimentation, qui nous sont parvenus en 2020, démontrent que, bien que le revenu universel n’entraîne pas une reprise importante de travail de la part de ses bénéficiaires, il n’incite pas pour autant à l’oisiveté. Plus encore, ces Finlandais·es se disent moins angoissé·es, mieux intégré·es à la société, et se sentent maître·sses de leur vie. Cela leur permet d’être plus libres et d’avoir plus de temps pour trouver un emploi qui leur convient. Il semble donc erroné de prétendre que le revenu universel encouragerait l’assistanat. De fait, si l’on vous pose la question : cesseriez-vous de travailler ou de chercher un emploi si vous touchiez un revenu de 560 euros par mois ? Lorsque cette question est posée à un large auditoire, le nombre de mains levées ne représente jamais plus de 2 % à 3 % de l’auditoire.
Pour plus d’égalité
Le revenu universel est ainsi un instrument de liberté et d’égalité sociale. Il permettrait à ses bénéficiaires d’être plus serein·es quant à leur avenir, et de vivre dans des conditions acceptables, dans des logements moins modestes et avec une meilleure alimentation. Iels auraient plus de temps pour se concentrer sur leurs projets, et seraient plus aptes à trouver un emploi qui leur correspondrait mieux. Iels se sentiraient rassuré·es, mieux intégré·es dans la société, d’un point de vue économique, social, mais aussi politique. En effet, la méfiance d’une partie de la population envers la classe politique est grandissante. La hausse du coût de la vie alimente les mécontentements, la réduction du service public inquiète et les citoyen·nes se sentent oublié·es par leur gouvernement, notamment lorsque ce dernier préfère supprimer l’impôt sur la fortune (ISF) plutôt que de venir en aide aux populations les plus pauvres. Si un revenu universel est mis en place, les citoyen·nes se sentiraient écouté·es, soutenu·es et auraient donc plus confiance en la classe politique.
Lors des élections présidentielle de 2017, Benoît Hamon n’avait récolté que 6,35 % des voix. Son projet, trop en avance sur son temps, revient au cœur du débat public, notamment face à la crise économique et sociale causée par l’épidémie de Covid-19. La volonté d’un changement se ressent au sein de la population, en particulier à l’aube des nouvelles élections présidentielles. La montée en popularité de la droite et de personnages politiques, comme Éric Zemmour, divise la population et la scène politique. Les élections de 2022 représentent un enjeu sans précédent, quant à la direction que va prendre la France pour les cinq années à venir. Le quinquennat d’Emmanuel Macron a révélé de nouvelles revendications et de nouveaux besoins. La crise économique, sociale et écologique à laquelle nous faisons face, montre l’urgence de redéfinir notre société et de construire un projet commun, dans lequel chaque citoyen·ne est acteur·ice. Plutôt que de diviser la société par des discours extrémistes, racistes et communautaristes, le revenu universel permettrait de rassembler la population autour de valeurs communes telles que l’égalité et la liberté, ainsi que d’offrir de nouvelles perspectives à notre société, qui fait face à des lendemains encore incertains.
Sources
Ce qu’il faut de courage, plaidoyer pour le revenu universel, Benoît Hamon, Equateurs, 2020.
https://laviedesidees.fr/Comment-financer-le-revenu-universel.html
https://www.francetvinfo.fr/politique/ps/primaire-a-gauche/les-critiques-a-l-egard-du-revenu-universel-sont-elles-fondees_2033575.html