Le discours du président mexicain López-Obrador sur la diversité sexuelle
Par Bernardo Alonso Aguilar-López
Montage photo ©Madeleine Gerber
Publié le 2 janvier 2024
Lors des élections mexicaines de 2018, le parti Movimiento de Regeneración Nacional (MORENA) est entré dans l’Histoire comme le premier parti de gauche à remporter la Présidence de la République mexicaine. Le candidat de MORENA, Andrés Manuel López-Obrador[1] (AMLO), a remporté 53,1% des votes. Quoique le candidat a été soutenu par une partie de la diversité sexuelle, le discours d’AMLO sur la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transexuelle (LGBT+) est resté ambigu pendant sa campagne présidentielle. Cet article restitue l’évolution du discours du président López-Obrador sur la diversité sexuelle avant et pendant son mandat.
AMLO a commencé sa carrière politique au Partido Revolucionario Institucional (PRI). Ce parti a été au pouvoir pendant 70 ans (1929-2000). Le but du PRI était d’assurer la transition du pouvoir de manière pacifique après la Révolution (1910-1917).[2] C’est la raison pour laquelle il y avait différents courants idéologiques à l’intérieur du parti, y compris un groupe de gauche. En 1988, avec d’autres figures politiques du PRI, AMLO a quitté le parti pour fonder le Partido de la Revolución Democrática (PRD), un parti de gauche. Depuis cette époque, le discours combattant des inégalités économiques était présent.
1er acte : maire de la ville de México
Carlos Illades-Aguiar décrit le discours de López-Obrador comme centré sur le rôle que joue le peuple dans la société et l’histoire. Son discours prend des éléments de l’histoire et de la morale du XIXème siècle mexicain. Il a une vision du conflit social caractérisé par l’affrontement entre les riches et les pauvres. De plus, il cherche à purifier la morale de la vie publique et à renouveler la nation en raison de sa méfiance envers les institutions publiques parce qu’elles ont été dirigées par des personnalités immorales. Son projet envisage ce renouvellement grâce au peuple, puisque pour lui, le peuple est homogène. Celui-ci est donc la réserve morale contre les élites corrompues, ou comme il aime les appeler “la mafia au pouvoir” [mafia del poder].[3] Depuis longtemps, AMLO juge la réalité sociale à partir des critères moraux.
Malgré ce discours moral, ses démarches sont dirigées par un sens politique plutôt qu’idéologique. Le premier poste populaire qu’AMLO a remporté a été la mairie[4] de la ville de México (2000-2006). Le PRD avait proposé un agenda progressiste sur le droit de l’avortement et le droit aux «sociedades de convivencia» – l’équivalent du pacte civil de solidarité (PACS) français, qui permet l’union entre deux personnes du même sexe –. AMLO s’est opposé à la loi des PACS parce qu’il visait le soutien de l’Église catholique lors des présidentielles en 2006.[5] Le successeur d’AMLO –Marcelo Ebrard-Casaubon, issu aussi du PRD – a permis l’avancement des droits de l’avortement et du mariage pour tous·tes dans la législature suivante.[6] Malgré son calcul politique, López-Obrador a été vaincu par le parti de la droite conservatrice, le Partido Acción Nacional (PAN).
2ème acte: la longue candidature (2006-2018)
AMLO a continué sa quête du pouvoir. Dans ce deuxième stage, le candidat a continué son approche pragmatique en faisant des déclarations floues à propos des droits de la communauté LGBT+. En 2012, des journalistes lui demandaient son avis sur le mariage homosexuel en tant que famille. Il déclare alors qu’ “ils sont des familles dans la conception moderne, je suis respectueux et je ne veux pas me mêler au débat”. Après cela, lorsqu’on lui demanda s’il soutiendrait le mariage homosexuel, il affirma : “je demanderai au peuple!”.[7] C’est tout à fait une réponse politique parce qu’il ne prend pas position ni en faveur ni en contradiction ; il pose ainsi le poids de la décision du statut des droits sur le peuple.
Pourtant, pendant cette période López-Obrador a fait des déclarations polémiques qu’on peut qualifier d’homophobes : “Pendant ce temps-là, le partisan du PRD Cuauhtémoc Cárdenas est allé à une fête du PRD au Veracruz,[8] le pervers Yunes [partisan du PAN] a fait dresser des homosexuels comme des femmes pour qu’ils fassent des câlins et embrassent Cárdenas, des photographes payés par le gouvernement ont exposé le partisan du PRD, ce qui a permis au partisan du PAN [Yunes] de devenir candidat [de la coalition PAN-PRD] au gouvernement de l’état [de Veracruz]”.[9]
Il faut contextualiser que le candidat a eu ces propos homophobes dans un meeting politique à Oteapan, un petit village dans le Veracruz. La culture politique mexicaine est très homophobe et transphobe depuis longtemps. AMLO n’est pas isolé, il fait partie de cette culture. Il a donc utilisé l’homophobie afin de pouvoir atteindre une audience populaire. La modulation du discours peut se retrouver quand il se dirigeait vers la société civile urbaine.[10]
Le parti MORENA a été fondé en 2015 afin de permettre à AMLO de participer à l’élection de 2018. Il faut noter que depuis sa fondation, il existe un bureau de diversité sexuelle dans le parti. Ce fait est la base du discours progressiste du parti,[11] mais des propos soutenant la communauté LGBT+ n’ont jamais été prononcés par Andrés Manuel López-Obrador pendant cette période.
AMLO était un candidat calculateur. En 2018, il fit une coalition avec le PES. Le fait que MORENA, un parti de gauche, ait établi une alliance avec un parti évangélique, opposé aux droits des minorités sexuelles, est controversé. Cependant, Ariel Rodríguez-Kuri explique que dans l’histoire de la gauche mexicaine, il est commun que les partis de gauche essaient d’établir des liens avec l’Église catholique. Dans ce cas, l’importance de cette alliance, selon Rodríguez-Kuri, a été efficace pour remporter l’élection en 2018.[12]
3ème acte : la Présidence de la République (2018-2024) :
Le président a adopté la lutte contre l’homophobie dans son discours. Mais cette incorporation a des limites. Au début de son mandat, la conférence matinale du président du 17 mai 2019 a été consacrée à la lutte contre l’homophobie. López-Obrador a rappelé l’engagement de son gouvernement avec le respect des droits de tous les secteurs de la population, y compris les droits des minorités sexuelles. Mais quand un journaliste lui a demandé s’il envisageait de promouvoir le mariage pour tous·tes, il a répondu par la négative.[13]
La position du parti sur l’homophobie est ambigüe. En effet, il y a bien des sanctions contre l’homophobie, mais elles ne sont pas forcément appliquées au sein du parti. Par exemple, le député local de l’état de Nuevo León, Juan Carlos Leal-Segovia, a été expulsé de MORENA en 2019, suite aux propos homophobes qu’il a publiés sur Twitter.[14] Cependant, en 2016, la députée locale de l’état du Tabasco, Candelaria Pérez-Jiménez, a fait polémique quand elle a affirmé qu’elle souhaiterait que les homosexuel·les n’existent pas.[15] Alors que plusieurs voix se sont levées pour exiger l’expulsion de la députée, Pérez-Jiménez est restée dans MORENA.[16]
Un autre exemple des incohérences sur le discours de la diversité sexuelle au sein du parti peut se trouver dans l’affaire Armenta vs. García. Alejandro Armenta-Mier, sénateur de MORENA et président du Sénat à cette période, a eu des propos transphobes. María Clemente García-Moreno et Salma Luévano-Luna, les deux députées fédérales trans issues du même parti, ont répondu au sénateur que les enfances trans ne sont pas un sujet à la mode, sinon une identité qui mérite du respect.[17] Néanmoins, il n’y a pas eu de conséquences suite aux propos du sénateur. Quand AMLO parlait de ces affaires, il se limitait seulement à condamner l’homophobie.
Très récemment, la lutte contre les discriminations a été introduite explicitement dans le discours présidentiel. Mais une fois encore, cette adhésion a des limites. Quand il a été interpellé sur son opinion au sujet de la diversité sexuelle, AMLO a traité d’intolérant·es ses adversaires politiques. Il a déclaré : “Dans le gouvernement que je représente sont interdits la discrimination de classe, le racisme, et la discrimination en général, nous ne sommes pas comme les conservateurs, nous sommes pour les libertés”.[18] Pourtant, lors de la conférence matinale du 14 août 2021, il a surpris tout le pays en affirmant que les droits des minorités sexuelles, le féminisme et la lutte contre le réchauffement climatique étaient des inventions néolibérales : “Être écologiste ne me permet pas de tout oublier ; ‘si je suis en faveur de la diversité sexuelle, alors, voilà ma cause, je m’en fous de tout, je ne m’intéresse qu’à ça ; si je prône les droits des animaux, c’est ma cause et tout le monde s’en fout’. Non, nous devons penser à toutes les causes et placer toujours en première place la cause de la justice, de l’égalité : voici la cause des causes”.[19]
Ainsi, le président défend l’égalité mais il hiérarchise les causes. Par exemple, les causes individuelles, pour lui néolibérales, sont des causes secondaires qu’il faut régler après. Ces causes ne sont donc pas des priorités pour le gouvernement.
Cette hiérarchie de causes peut être à l’origine de l’incorporation du combat contre les discriminations dans le discours présidentiel. Une conséquence de cette hiérarchie est la neutralisation du débat autour des besoins de la communauté LGBT+. De plus, celui-ci est plutôt centré sur la narrative politique autour des intérêts présidentiels dans la lutte contre le néolibéralisme et le conservatisme. Lors de la conférence matinale du 22 novembre 2022, le président a été interpellé sur les crimes de haine et sur les disparitions forcées subies par la communauté LGBT+. Le président a répondu que le gouvernement protégeait tout le monde et que ceux·lles qui commettait des crimes de haine étaient des “autoritaires”. Ensuite, il a commencé à parler du conservatisme: “Les conservateurs, je m’excuse, mais je dois insister, ils sont très autoritaires dans cette affaire [la tolérance à la diversité sexuelle] et sur d’autres. Ils sont pour les razzias, ils ne respectent pas la diversité sexuelle, voilà une caractéristique du conservatisme. Il leur faut beaucoup d’informations et d’éducation. Il y a des dirigeants mondiaux de droite qui ont osé déclarer qu’ils n’accepteraient pas un enfant homosexuel. Imaginez vous le niveau de retour en arrière de cette pensée!”.[20]
Mais au-delà du discours, l’engagement n’existe pas. Il n’a pas de programmes, de politiques publiques fédérales pour la diversité sexuelle.
Conclusion
Pour conclure, le discours de Lopez Obrador sur la diversité sexuelle a évolué tout au long de sa carrière politique. À l’heure actuelle, l’ambiguïté du discours du président lui permet de neutraliser la discussion sur les droits de la communauté LGBT+ à l’intérieur du parti MORENA. Cette ambiguïté rend possible de mettre tous les partisan·nes et opposant·es des droits de la diversité sexuelle au pas dans le parti. L’évolution du discours d’AMLO sur la question queer est marquée par trois étapes. Dans un premier temps, il a été contre, notamment lors de son mandat en tant que maire de la ville de México. La deuxième étape s’est déroulée durant sa longue candidature (2006-2018), où il a pris une position ambigüe parce qu’il cherchait le vote conservateur pour arriver à la Présidence. Actuellement au pouvoir, son discours change une fois encore. Il y introduit en effet la lutte contre les discriminations, toujours au-dessous de la lutte contre l’inégalité économique et sociale.
Sources
[1] Au Mexique on suit la tradition hispanique de porter deux noms famille, d’abord celui du père et après celui de la mère. L’utilisation des deux noms famille est importante afin de distinguer les homonymes, très communs au Mexique. Tout au long du texte, j’ai ajouté des tirets-courts entre les deux noms afin de faciliter la lecture.
[2] Rogelio Hernández-Rodríguez, Historia mínima del PRI, México, El Colegio de México, 2016, p. 19.
[3] Carlos Illades-Aguiar, De lo social a MORENA, México, Editorial Jus, 2014, pp. 152-4. Mafia del poder est l’original en espagnol.
[4] Il n’existe pas le poste de maire de la ville de México comme tel parce que la ville est un état de la fédération mexicaine, le nom officiel du poste c’est jefe de gobierno de la Ciudad de México [chef du gouvernement de la ville de México].
[5] Alejandro Natal, “El movimiento LGBT en México y su incidencia en la aprobación del matrimonio igualitario”, en Carlos Martínez y Alejandro Natal (coords.) Acción colectiva e incidencia LGBT en México, Zinacantepec, El Colegio Mexiquense, 2021, p. 223.
[6] José Ángel Álvarez-Reyes y Rodrigo Castro-Cornejo, “¿Quién aprueba el matrimonio igualitario en México? Brecha generacional, educación y la ausencia de diferencias partidarias”, Revista Mexicana de Opinión Pública, XVIII, 2023, p. 24.
[7] Luis Prados-Platas y Salvador Camarena-Rodríguez, “He perdonado a Felipe Calderón”, AMLO, 25 de marzo 2012, https://acortar.link/8NOHKM.
[8] Veracruz est un état de la fédération mexicaine.
[9] Traduction de l’auteur. “Una aberrante alianza PRD-PAN en Veracruz, califica López Obrador”, AMLO, 26 enero 2016, https://acortar.link/y9cJb7.
[10] “Rinde AMLO protesta como candidato de MORENA a la presidencia de México”, AMLO, 18 de febrero 2018, https://n9.cl/jbna2.
[11] Jaime López-Vela, “La diversidad sexual tiene hoy un espacio en Morena”, Regeneración, 23 de junio de 2017.
[12] Ariel Rodríguez-Kuri, Historia mínima de las izquierdas en México, México, El Colegio de México, 2021, pp. 208-9.
[13] “Versión estenográfica de la conferencia de prensa matutina del presidente Andrés Manuel López Obrador”, AMLO, 17 de mayo 2021, https://acortar.link/si1clr.
[14] Brenda Yáñez, “Morena expulsa de sus filas a diputado de NL por comentarios homofóbicos”, Expansión, 20 marzo 2019, https://acortar.link/j8GQ4J.
[15] “Lamenta AMLO dichos ofensivos contra la comunidad LGBTTT de diputada de MORENA”, Boletín 016-048, MORENA, 22 febrero 2016, https://acortar.link/IKy6fQ.
[16] “Una diputada mexicana convirtió a una empleada del Congreso en mucama y cocinera de su casa”, Infobae, 31 agosto 2018, https://acortar.link/1jFTwC. [1] Eduardo Dina, “Diputadas trans de Morena condenan dichos de senador Armenta contra infancias trans, el se disculpa”, El Universal, 31 de mayo 2023, https://acortar.link/54ukQU
[17] “Versión estenográfica de la conferencia de prensa matutina del presidente Andrés Manuel López Obrador”, AMLO, 28 de junio 2021, https://n9.cl/sbof2.
[18] “Versión estenográfica. Visita a la región de la Presa El Zapotillo, en Cañadas de Obregón, Jalisco”, AMLO, 14 agosto 2021, https://n9.cl/vr3mk.
[19] “Versión estenográfica de la conferencia de prensa matutina del presidente Andrés Manuel López Obrador”, AMLO, 22 novembre 2022, https://lc.cx/GjZm8Z.