Journées du patrimoine et identité nationale

Par Lou Abadie
Photographie : Mina Miedema
Publié le 4 octobre 2021

Durant le week-end des 18 et 19 septembre 2021 se sont tenues les Journées européennes du patrimoine, sur le thème : « Patrimoine pour tous ». Peut-être en avez-vous profité pour accéder à des lieux prestigieux d’ordinaire clos ; ou tout simplement vous êtes-vous baladé·es aux alentours de ce petit château, situé à quelques kilomètres de votre commune, dont vous ignoriez jusqu’alors l’existence. Mais que sont vraiment les Journées européennes du patrimoine, et dans quelle mesure contribuent-elles à définir ce qu’est le patrimoine national ?

En 1984, Jack Lang, alors ministre de la culture, institue la « journée portes ouvertes dans les monuments historiques ». Il s’agit d’une journée durant laquelle l’accès à certains lieux d’ordinaire fermés au public est rendu possible. Le 3 octobre 1985, à l’occasion de la Deuxième conférence des ministres responsables du patrimoine architectural, organisée par le Conseil de l’Europe à Grenade, en Espagne, Jack Lang propose à ses homologues d’étendre l’événement mis en place l’année passée. La Journée portes ouvertes atteint donc une dimension européenne dès sa seconde année d’existence. L’Union européenne se joint au projet en 1999, et cette manifestation culturelle annuelle est renommée “Journées européennes du patrimoine” (JEP) en 2000. Ces journées sont actuellement organisées par les cinquante États signataires de la Convention culturelle européenne. Désormais, durant deux jours, en septembre, on peut accéder à des institutions étatiques, à des châteaux, jardins, édifices religieux, sites industriels, et à bien d’autres lieux encore, et cela gratuitement ou à prix très réduit. Les JEP connaissent un succès certain ; c’est ainsi douze millions de français qui ont participé à l’édition 2019.

Qu’est-ce que le patrimoine ?

Les Journées européennes du patrimoine ont pour objectif de permettre à la population d’un État d’entrer en contact avec le patrimoine national. Cela suppose néanmoins de déterminer ce qui fait partie du patrimoine d’un pays, et ce qui en est exclu. Cette notion connaît effectivement des limites changeantes. Ainsi, dans la forme originelle des JEP, il était question d’ouvrir au public les « monuments historiques ».

Le patrimoine est une construction historique,
politique et sociale

Il s’agit là d’une vision assez restrictive du patrimoine, qui se limite non seulement aux édifices matériels mais plus particulièrement à ceux ayant le statut de « monuments historiques », qui est un statut légal. De nos jours, le patrimoine recouvre une réalité bien plus large. Tout d’abord, les monuments classés se sont diversifiés ; durant les années 80, 40 % d’entre eux étaient des édifices religieux et funéraires, alors que cette catégorie ne représente plus que 35 % de ceux-ci actuellement. Les monuments à activité économique, ceux à activité militaire, les jardins, les bâtiments publics, les ouvrages relevant de l’architecture domestique ou encore du génie civil représentent donc une part croissante des monuments classés. Plus important encore, le patrimoine comporte aussi désormais une dimension immatérielle. Ainsi, il est par exemple possible d’assister lors des JEP à des démonstrations d’activités traditionnelles. Néanmoins, cet aspect reste actuellement minoritaire. Dans un Rapport d’information du Sénat déposé le 19 mai 2021 au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, il est proposé de faire de l’année 2023 l’année du patrimoine culturel immatériel en France, et d’organiser annuellement des journées dédiées à ce dernier, afin qu’il connaisse une réelle valorisation. Le patrimoine est donc une construction historique,
politique, et sociale. Fait partie du patrimoine ce que la nation, au travers de ses représentants, considère comme valant la peine d’être conservé et transmis. La notion de patrimoine est donc une notion vivante, mouvante, à la dynamique expansive, comme le souligne Jean-Michel Léniaud qui affirme que ce terme finit par désigner aujourd’hui « l’ensemble des objets qui ont perdu leur valeur d’usage ». Les JEP participent pleinement de la définition du patrimoine national, dans la mesure où il est procédé à un inventaire des monuments, structures et traditions pouvant être mobilisés à l’occasion de cette manifestation culturelle.

Les JEP, une intrication d’échelles reflet d’une identité culturelle nationale plurielle

Le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) définit le patrimoine comme étant « un ensemble de biens hérités des ascendants ou réunis et conservés pour être transmis aux descendants ». Lorsque l’on se réfère au patrimoine national, il est donc question de conserver et préserver un capital culturel, mais également de le transmettre. L’enjeu n’est pas des moindres ; il s’agit de construire l’identité culturelle d’un État. Si l’aspect conservatif peut encourager une tendance à « muséifier » les bâtiments, à les maintenir loin de toute source potentielle d’altération, l’aspect transmissif suppose quant à lui un contact entre population et patrimoine. Le patrimoine ne peut donc pas être uniquement un conglomérat de trésors du passé, que l’on érige en institutions intouchables et symboles de la nation, mais doit être à l’inverse pénétré par la population, il doit évoluer, se réinventer, et s’inscrire dans la société. L’objectif des JEP est justement de permettre ce rapprochement entre patrimoine et héritièr·es de ce dernier.

L’enjeu est de construire l’identité
culturelle d’un État


Pourtant, il est légitime de se demander si le patrimoine national est véritablement accessible à tous·tes dans le cadre de l’État centralisé qu’est l’État français, dans lequel les institutions où sont prises les décisions concernant l’ensemble du territoire se trouvent en quasi totalité à Paris. Les habitant·es de cette ville peuvent ainsi visiter l’Élysée, le Sénat, les différents ministères, le Conseil constitutionnel et bien d’autres lieux de pouvoir encore. Iels peuvent alors associer au nom un peu obscur omniprésent dans les journaux une réalité concrète, matérielle, toucher du doigt le fait qu’une institution existe au travers de personnes qui déambulent dans des couloirs de marbre et se rendent dans des sanitaires à l’architecture souvent décevante par rapport au faste du reste du bâtiment. Cela apporte une certaine vulnérabilité à ces institutions ; cela les rend vivantes. Aux yeux des Parisiens, tout du moins. Dans le reste de la France, l’expérience des JEP est bien différente. Du fait de la centralisation, il est beaucoup plus rare de pouvoir approcher le patrimoine national ; l’accès au patrimoine local est privilégié. Ce double visage des JEP s’illustre par la diversité des acteurs. Si l’État s’occupe personnellement de préparer l’ouverture des lieux de pouvoir dans la capitale, ailleurs ce sont associations, particuliers ou encore collectivités territoriales qui mettent à disposition des bâtiments, espaces ou savoir-faire traditionnels. Si les JEP ont pour vocation de « valoriser le patrimoine local en lien avec toute l’Europe », il apparaît que cela reste plutôt un désir théorique, dans la mesure où les institutions sont inégalement réparties sur le territoire, et l’État donc inégalement impliqué d’un point de vue géographique dans la préparation des JEP.

Les Journées européennes du patrimoine sont donc bien plus qu’un simple week-end portes ouvertes dans des monuments ; elles participent à la définition de la notion même de patrimoine, et à la construction de l’identité culturelle française. L’expérience vécue de ces journées est plurielle, elle varie selon le lieu où l’on se trouve, reflétant la tension existant en France entre patrimoine local et national.

Sources
https://www.europeanheritagedays.com/sites/default/files/34f1c0ce-ee1c-4362-bcd8-4069e3946635.pdf
http://www.senat.fr/rap/r20-601/r20-6017.html

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