Inscription dans la Constitution de l’IVG : fantasme idéologique ou témoignage symbolique de valeur ?
Par Lena Balitrand
Illustration ©Claire Boyer
Publié le 15 avril 2024
Alors que les attaques contre l’accès à l’avortement se sont multipliées à travers le monde ces dernières années, les parlementaires français se sont réuni·es en Congrès ce lundi 4 mars 2024 pour constitutionnaliser la liberté garantie des femmes à choisir une interruption volontaire de grossesse. Le projet de loi modifie l’article 34 en son alinéa unique par les termes suivants : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantit à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Quatre jours précédant la Journée internationale pour les droits des femmes, la France est donc officiellement devenue le premier pays au monde à reconnaître dans sa Constitution la liberté de recourir à l’avortement alors même que cette dernière recule dans de nombreux pays et reste interdite dans une vingtaine d’États dans le monde. On se rappelle sans mal l’annulation médiatisée de l’arrêt Roe v. Wade, le 24 juin 2022 dernier, alors que la Cour suprême des États-Unis décidait d’abroger le droit constitutionnel à l’avortement.
Bref état des lieux dans le monde
Si l’avortement demeure interdit dans de nombreuses nations d’Afrique comme l’Égypte, le Sénégal, le Gabon, Madagascar ou la Mauritanie, son accès sur le continent sud-américain reste également particulièrement difficile. On pense en particulier au président argentin, Javier Milei, qui avait proposé, mercredi 14 février 2024, de qualifier l’avortement de délit passible d’une peine carcérale pour les femmes y ayant recours, ainsi que pour les professionnel·les le pratiquant.
Mais l’Europe n’est pas en reste sur la problématique : alors qu’à Malte, les femmes avortant risquent une peine allant de dix-huit mois à trois ans d’emprisonnement, il est impossible d’outrepasser les cas de la Hongrie et de la Pologne. Rappelons à cet égard que, d’après les chiffres rapportés par Le Monde, alors qu’une grossesse sur quatre se termine par un avortement, plus de 40 % des femmes en âge de concevoir dans le monde vivent dans des États aux lois restrictives.
Une protection symbolique
Ces derniers jours, une multitude de voix se sont élevées avec plus au moins de véhémence pour dénoncer un malentendu : à ce jour, aucun courant politique français n’entend remettre en cause, dans son principe, la loi défendue en 1974 par Simone Veil. D’autre part, nombreux·euse sont ceux·lles qui avancent que l’IVG se trouve déjà relativement protégé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
À leurs yeux, cette constitutionnalisation apparaît donc très logiquement comme superflue, dépassée : relevant davantage d’une posture idéologique caricaturale, agitant le spectre fantomatique d’un retour en arrière. À cet égard, le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a voté contre cette inscription, a souligné que la Constitution ne devait pas être le « réceptacle des droits sociaux et des droits et libertés ». Or, s’il n’appartient pas au constituant de transcrire dans le marbre de la Constitution une liberté – et non un droit, là encore les mots ont leur terminologie propre – à qui revient donc la responsabilité suprême de protéger nos avancées sociétales ?
Outre-Atlantique, il aura suffi d’un revirement de jurisprudence pour revenir sur des acquis. La France n’est pas les États-Unis : elle n’a pas la même histoire, elle ne subit pas les mêmes pressions religieuses et lobbyistes, et elle n’est pas soumise aux mêmes enjeux. Pourtant, un enseignement peut être tiré de l’histoire américaine : au contraire, on peut affirmer que pour nombre de celles et de ceux qui se sont exprimé·es en défaveur de ce projet, l’avortement n’est pas seulement remis en question publiquement par des responsables politiques de premier plan. Non, l’avortement est aussi et surtout un combat sociétal de la sphère intime : sa lutte est souterraine et n’est pas fantasmée.
Partout, les mots attribués à Simone de Beauvoir résonnent dans nos mémoires : « Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. ». Dans chaque (H)histoire, les ombres de la régression se profilent : les droits ne sont pas gravés dans le marbre, ils sont conquis et protégés. Le droit lui-même se construit et se déconstruit tel une toile fragile tissée par les mains et le ressac du temps. À cet égard, ne soyons pas dupes, s’il s’agit d’interdire pour l’avenir toute remise en cause par la loi de l’IVG, cette inscription apparaît sûrement comme une simple barrière de papier.
Cependant, un mérite persiste : le pouvoir du symbolique.
Imaginez la Constitution comme un vieux coffre-fort qui n’est peut-être pas le plus robuste, mais qui est aujourd’hui l’ancrage français le plus précieux pour sanctuariser cette liberté de choix. Si la Constitution est bien ce texte sacré qui fait foi et qui fixe l’histoire de notre peuple, de ses combats, de ses engagements : la liberté garantit à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse y a toute sa place. Une véritable reconnaissance, n’est-ce pas déjà une victoire auréolée d’une lutte menée de longue date qui prouve notre respect pour nos citoyennes, toutes ces Françaises ? Celles et ceux qui y ont été indifférent·es n’ont pas perçu le pouvoir du symbole. Pourtant, le symbolique est porté par un souffle de liberté : voilà la recette de notre attachement à l’affirmation d’une société qui a toujours poussé entre les interstices de l’ingérence comme le terreau fertile où s’épanouissent l’égalité, la dignité et le respect des droits humains. Les mêmes, alors, n’ont peut-être pas davantage saisi le sens de la panthéonisation de Simone et d’Antoine Veil qui a amené, suite au dimanche 1er juillet 2018, plus de 30 000 personnes à se rendre au Panthéon.
Certain.e.s diront que les symboles n’ont pas d’importance : je ne le crois pas.
Cette entrée dans la Constitution, c’est contribuer à réaffirmer nos valeurs pour toutes celles et ceux qui les partagent dans le monde, et c’est surtout laisser une trace pour les générations futures. Chaque action compte, et c’est l’accumulation de ces actions, agissant comme une déferlante, qui parvient à opérer une transformation définitive des mentalités.
Alors, si la Constitution, bienheureuse gardienne, raconte vraiment l’histoire de notre peuple : je suis fière de dire, plus que jamais, après ce lundi 4 mars 2024, que je suis fière d’être Française.