UN REGARD SUR LA COVID-19 ET LE MONKEYPOX [Partie II]

La Covid-19, une pandémie évitable ?

Par Lucas Fernandez
Illustration Madeleine Gerber
Publié le 1er avril 2023

Dire que la pandémie du coronavirus aurait pu être évitée est évidement un choix polémique et il n’est pas question de réécrire les faits. Mais elle mérite d’être posée, car on aurait pu bien mieux la prévenir, et notamment en retenant les leçons données par l’épidémie de VIH/Sida, encore inachevée [voir I].

Si nous vivions dans une société qui fonctionnait normalement, il aurait été logique qu’après le drame qu’est l’épidémie du VIH/sida, la France prenne des mesures structurelles pour prévenir les prochaines pandémies. Pourtant, cela a été tout l’inverse, car ces dernières années, l’Hôpital a été la cible continue de politiques ultra-libérales, qui ont comme objectif de rendre la médecine rentable et compétitive.

Les conséquences désastreuses de la pressurisation de notre système de santé

La fermeture des lits d’hôpitaux montre bien la crise à laquelle est confronté l’Hôpital Public. Selon le Journal Du Dimanche qui a consulté une note du ministère de la santé, « depuis fin 2013, la baisse cumulée atteint 30 000 lits d’hospitalisation complète, soit -7,3% en huit ans » (baisse qui continuait au plus haut de la pandémie1). Moins de lits équivaut à moins de patient·es pris·es en charge, ce qui oblige les soignant·es à fermer certains services et à trier les malades, pour faire passer en priorité les plus vulnérables. Si une partie de ce phénomène est due au « virage ambulatoire2 », il est surtout le fait d’une pression de plus en plus grande sur les médecins, qui a empiré pendant la Covid, rendant la profession presque invivable — beaucoup de démissions ont été déposées et les postes vacants trouvent peu de preneurs — et d’une « logique comptable » comme la nomme Libération3.

Ce n’est pas nouveau, les hôpitaux publics français sont financés en grande partie par la Sécurité Sociale, qui dépend de la redistribution sociale générée par les impôts. Ce système est à perte, car les actes médicaux coutent très chers et sont remboursés en grande partie. Cela permet à ce que chacun·e, quel que soit ses revenus, puisse avoir accès aux mêmes services qu’un·e autre. Et, il faut le dire, notre système fonctionne très bien pour cela. Mais vouloir rendre les hôpitaux rentables va à l’encontre de ce système : la santé ne peut se calquer sur des logiques de marché, car cela voudrait dire que, pour pallier les déficits, on imputerait les dépenses aux patient·es (devenu·es alors « consommateur·ices de soins4 ») au lieu de les faire porter par notre système de redistribution. Inexorablement, celleux ne pouvant pas payer les soins, ne pourraient plus se soigner ou ne bénéficieraient que de soins minimes. Selon cette logique, ce serait la concurrence qui permettrait de faire bénéficier à tous·tes d’une médecine abordable. Or, mettre en concurrence le soin serait un désastre pour son libre et égal accès.

Si notre système de santé n’est pas encore soumis à la concurrence des marchés, il s’y dirige malheureusement de plus en plus. La politique des hôpitaux a changé en ce sens pour devenir « hôpital entreprise ». Prenons comme exemple la tarification à l’activité, dit T2A, qui est la « rémunération liée au volume et à la nature des actes réalisés5 » s’appuyant sur des groupes homogènes de maladies. Les « groupes homogènes » sont des regroupements de différentes « pathologies correspondant à des durées optimales d’hospitalisation et à des actes techniques déterminées ». En somme, la durée de traitement des pathologies est préalablement déterminée par les politiques de santé obligeant les hôpitaux à offrir des forfaits de soin aux patient·es, alors même que ces regroupements sont trop englobants et qu’une même pathologie peut ne pas requérir les mêmes soins pour tel·le ou tel·le patient·e.

On comprend alors que pour des maladies rares ou chroniques, comme le VIH/sida, on ne peut pas penser en termes de forfait, d’efficacité et de compétitivité. Ces maladies, qui durent toute une vie ou qui requièrent des traitements peu communs, doivent être traitées de manière particulière, et sur le long terme. Mais prendre le temps coûte très cher et ce n’est pas dans les promesses du gouvernement que de trouver cet argent, bien au contraire.

Défauts de communication et de prévention, ou comment accumuler les erreurs

La pandémie Covid-19 n’a pas été aggravée seulement par la crise que l’Hôpital connait. Les gouvernements ont très mal géré leur politique de prévention épidémiologique, notamment dans les stocks de masques.
Au début de la pandémie, le gouvernement ne recommandait pas le port du masque. La première raison était que les stocks de masques étaient au plus bas : « Alors qu’il s’établissait à 754 millions d’unités fin 2017, le stock stratégique de masques chirurgicaux n’en contenait plus que 100 millions fin 2019″, rapporte FranceInfo6. La deuxième était une mauvaise communication des mesures sanitaires, due surtout à cause d’une méconnaissance du virus (alors souvent comparé à une « grippette »).
Ainsi, le gouvernement ne recommandait le masque que pour les contaminé·es et cas-contact. Mesure qui ne permettait ni de limiter les contaminations, ni de combler le manque de stocks, pour fournir les personnes les plus touchées (personnes vulnérables, professions de santé etc).

Pour résumer, si notre système de santé n’avait pas été démantelé par les gouvernements précédents et actuels ; si nous avions pris plus rapidement au sérieux les premiers cas de la COVID-19 ; si le « savoir-sida » avait été mobilisé ; si nous avions disposé de suffisamment de masques, dès le début de la pandémie, alors l’impact de la pandémie aurait pu être totalement différent.
Une grande partie du problème réside dans les choix politiques du Gouvernement d’Emmanuel Macron et de son rapport problématique à la communication.

Une communication unilatérale…

Mal comprendre une pandémie c’est prendre le risque de ne pas avoir les outils nécessaires pour limiter sa propagation. Le gouvernement a tenu, tout au long de la pandémie, un discours vertical et fermé, empêchant la création d’un dialogue démocratique qui aurait pu permettre l’avènement de nouvelles pratiques plus pragmatiques, plus fiables et partagées, mais aussi moins coercitives. Comprendre les modes de transmission et le protocole à suivre lorsque l’on était cas-contact ou contaminé, pouvait s’avérer compliqué, car les recommandations gouvernementales n’étaient pas stables et peu claires.
De plus, le corps médical, qui devait être le premier vulgarisateur du virus et de son protocole, connaissait lui-même des difficultés de communications avec le gouvernement : le protocole changeait trop souvent, du jour au lendemain et n’était parfois explicité que dans les journaux, ne facilitant pas le partage des informations nécessaires.

Il est pourtant essentiel de bien communiquer pendant ce genre de crise car il s’agit d’un levier très important pour lutter. Une communication claire et démocratique – résultant d’une synthèse des savoirs des différentes sphères (étatique, communautaire, scientifique, médicale, …) – aurait permis de mieux faire comprendre le virus et mieux lutter contre. Il aurait été alors plus facile de construire une vraie confiance en la science et de donner les moyens de comprendre les données scientifiques.

… qui aboutit à la minimisation de solutions pourtant efficaces

L’une des stratégies du gouvernement a été de parier sur la création rapide d’un vaccin pour éradiquer la Covid-19. Malgré la nécessité de donner de la visibilité à une solution, qui se veut efficace et rassurante, cela a engendré une minorisation des autres solutions. Tout d’abord, le masque a immédiatement été considéré comme une contrainte, alors qu’il était, et est toujours, la meilleure protection contre le virus. Par ailleurs, aérer a été un geste publicité trop tardivement, car le gouvernement n’a pas assez communiqué sur le mode de diffusion du virus. Une grande partie des contaminations a eu lieu dans des espaces clos, car le virus se propage par microparticules expulsées par la toux et l’éternuement, pouvant rester en suspension dans l’air et être ensuite respirées.
Porter le masque et aérer n’ont pas été suffisamment pris au sérieux après les déconfinements. On peut prendre comme exemple les universités, qui n’ont pas hésité à obliger les étudiant·es à revenir dans les centres pour des épreuves écrites, sans mettre en place le strict minimum de protection.

À Paris 1 Panthéon-Sorbonne, les masques fournis n’étaient qu’en tissus, alors qu’il aurait été nécessaire de donner des FFP2 ; aucun appareil de détection de CO2 n’a été utilisé7, et les amphis n’ont pas été mis aux normes d’aération ; les étudiant·es devaient, à leur charge, revenir de leur lieu de confinement provoquant beaucoup de déplacement et pouvant mettre en danger leurs proches ; avoir la Covid-19 pendant les examens obligeaient les étudiant·es à passer en session 2 causant de nombreuses inégalités et depuis la rentrée septembre 2021, avoir la Covid-19 peut rendre défaillant·e un·e étudiant·e ayant déjà 3 absences (ou moins selon les UFR).
Une solution aurait été que Frédérique Vidal, alors ministre de l’Enseignement Supérieur, prenne ses responsabilités et interdise ces dérives, sources de violence institutionnelle contre les étudiant·es8. Mais encore une fois, il y avait de gros problèmes de communication : la ministre a été très peu à l’écoute des étudiant·es ; elle a annoncé le maintien des partiels que quelques jours avant leurs débuts ; elle a maintenu la rentrée 2020 en 100%, puis a mis du temps avant de faire basculer les universités en système hybride.

Ainsi, avoir parié uniquement sur le vaccin a eu des conséquences non négligeables. De plus, les campagnes de vaccination ont rencontré des difficultés à cause de la méfiance toujours plus grandissante vis-à-vis des vaccins. L’attitude verticale du gouvernement, ses mesures liberticides comme les couvre-feux, le fiasco du pass sanitaire, une mauvaise éducation sur le fonctionnement des vaccins, faire du vaccin la solution miracle, ont fait que le vaccin a cristallisé les tensions et ralenti la lutte contre la Covid-19. La communication du gouvernement aurait dû être la plus irréprochable et horizontale possible, car elle était la clef pour comprendre et lutter contre le virus. Or, la mécompréhension d’une maladie est inévitablement source de stigmatisations.

NOTES DE BAS DE PAGE

1 Le Journal Du Dimanche, « Hôpital : les fermetures de lits ont continué en 2021 pendant l’épidémie de Covid-19 », publié le 28 septembre 2022, consulté le 21 décembre 2022, URL : https://www.lejdd.fr/Economie/hopital-les-fermetures-de-lits-ont-continue-en-2021-pendant-lepidemie-de- covid-19-4137205.
2 Ibib.
3 Libération, « CheckNews : Emmanuel Macron a-t-il fermé 17 600 lits d’hopital en quatre ans, comme l’affirme Francois Ruffins ? », Elsa de La Roche Saint-André, publié le 24 décembre 2021, consulté le 21 décembre 2022, URL : https://www.liberation.fr/checknews/emmanuel-macron-a-t-il-ferme-17-600-lits-dhopital-en- quatre-ans-comme-laffirme-francois-ruffin-20211224_ZDEGBEMS4BHW3CGKLAOKL275ME/.
4 GRIMALDI André, « Les hôpitaux en quête de rentabilité : à quel prix ? », Revue du MAUSS, n° 41, 2013, pp. 25-33, URL : https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-25.htm.
5 Ibid.
6 France Info, « Covid-19 : mauvaise gestion du stock de masques, pression pour modifier un rapport… Ce que l’on sait des accusations visant Jérôme Salomon », publié le 10 décembre 2020, consulté le 21 décembre 2022, URL : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-mauvaise-gestion-du-stock-de- masques-pression-pour-modifier-un-rapport-ce-que-l-on-sait-des-accusations-visant-jerome- salomon_4214495.html.
7 Un taux de CO2 critique est le signe que l’air de la pièce n’a pas été renouvelé depuis longtemps, ce qui augmente le risque de contamination par microgouttelettes.
8 Contrairement à ce que beaucoup de personnes pense (universités comprises), la période de confinements et de couvre-feux a été extrêmement traumatiques pour les jeunes (une enquête de l’institut Ipsos de 2021 chiffrait à 40% des jeunes entre 18-25 ans montrant des niveaux « alarmants » de troubles anxieux et dépressifs).

BIBLIOGRAPHIE

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