Voyage dans l’opéra-rock contemporain
Par Léonie Houssin
Publié le 27 septembre 2021
Le dernier long-métrage de Leos Carax, Annette, a ouvert le Festival de Cannes 2021 le 6 juillet dernier, dans sa sélection officielle. Il y a été récompensé par le prix de la meilleure mise en scène, attestant là aussi du bon goût du jury qui a accordé la Palme d’or à l’extravagant Titane. Expérience haute en couleurs.
La comédie musicale se déroule dans un Los Angeles contemporain, où les deux protagonistes, Henry McHenry (incarné par Adam Driver) et Ann Defrasnoux (Marion Cotillard) sont des célébrités adulées. L’un est humoriste, l’autre est chanteuse d’opéra. Tous deux tombent amoureux et décident d’avoir un·e enfant ; ainsi naît Annette, marionnette de bois et enfant prodige. Leur idylle se corse lorsque la carrière de Henry McHenry dégringole en raison de son humour de fort mauvais goût. C’est un personnage qui crée le malaise tant chez son public fictif que chez nous, spectateur·ices. Parallèlement, Ann Desfranoux reste adulée et convoitée par son accompagnateur-pianiste. Le doute s’installe peu à peu chez elle quant à la sincérité et la stabilité de son amant, désormais père d’Annette. S’ensuivent une série de drames et évènements que je ne vous divulgâche pas, mais qui soulèvent des malaises, des indignations ainsi que de réelles questions sociétales et morales.
La bande son du film, dotée d’une bonne dose de rock, est l’œuvre de Sparks. Celle-ci est très qualitative du début à la fin et crée son propre univers. Le chant est inhabituel mais pas mauvais selon moi, d’autant plus que les acteur·ices ne sont, à la base, pas chanteur·euses. Presque toute la durée du film est occupée par la musique, les dialogues se font en musique, l’on passe en fondu d’un morceau à l’autre, ce qui nous laisse en permanence suspendu·es dans l’univers de comédie musicale. Habituellement, ce genre cinématographique présente une caractéristique désagréable, mais qui peut faire son charme : l’on passe soudainement de scènes réalistes et vraisemblables, avec de vrais dialogues, à des scènes de chant et de danse au milieu de l’autoroute (La La Land) ou sur des voies de train (Dancer in the dark). L’absurdité de ces transitions n’est ici presque pas présente puisque l’entièreté du film flotte dans un univers irréaliste.
Le film est clivant chez le public. Il faut s’attendre à des longueurs (2h20) et des expériences de chant possiblement déplaisantes, selon certain·es, notamment de la part d’Adam Driver. Il est parfois soulevé qu’on ne sait pas où le film veut en venir ; plusieurs histoires se superposent. C’est à mon avis ce qui fait (aussi) la richesse de ce film : il s’agit d’un voyage dans une autre réalité, un autre monde, or la réalité offre une multitude d’histoires, de sens, de questions. Il en va de même dans le monde d’Annette.
Les images sont esthétiques, colorées, et l’on peut faire confiance au jury de Cannes quant au jugement de la mise en scène. Il n’y a rien à redire non plus sur le jeu des acteur·ices. Il s’agit, finalement, d’un film de qualité, transportant, original, qui certes interroge mais propose une belle surprise en dernière scène. À voir, à revoir, et à méditer.