Être autiste dans une société hypernormée
Par Capucine Houssin
Illustration : Elisa Rose Marie
Publié le 19 avril 2021
Je suis une autiste de 16 ans et je subis fréquemment le validisme intériorisé des personnes de mon entourage. Le validisme, ou capacitisme, est le fait de considérer la personne valide, non handicapée, comme la norme sociale ; ce qui induit des comportements discriminatoires envers les personnes non valides. Quels sont ces comportements et comment est-ce que moi, personne autiste, je les ressens au quotidien ?
J’apprends régulièrement grâce au milieu militant, que des actes, paroles, sont en réalité validistes. Comme l’on pourrait se rendre compte de comportements sexistes ou racistes intériorisés. Car le validisme est une oppression systémique à même échelle que le sexisme, le racisme, la queerphobie etc., dont on parle peu, y compris dans les milieux militants puisque les handicaps sont souvent invisibilisés en société, et l’on a tendance à avoir certains préjugés. Comme pour le reste, nous pouvons déconstruire tout cela.
Ce n’est pas courant d’entendre quelqu’un dire « je suis autiste », ces mots interloquent. Cette réaction découle d’un système plein de préjugés. Eh oui ! Les personnes autistes peuvent écrire des articles, « autiste » n’est pas une insulte. Quand je dis que je suis autiste on me dit souvent « t’as pas l’air autiste », parce que c’est quoi « avoir l’air autiste » ? Tu veux que je me mette à baver ? Et quand bien même je me mettrais à baver, où est le problème ?
Le validisme
Le validisme, c’est lorsque la société nous fait comprendre qu’il vaut mieux souffrir et paraître normal·e plutôt que d’être bien dans sa peau, et de paraître handicapé·e. J’entends souvent des personnes de mon entourage dire « il·elle s’est amélioré·e», car iel a fait quelque chose que son autisme rend difficile en temps normal, ou encore « ton autisme est évolutif, c’est positif », pourquoi est-ce que ce serait positif que je paraisse valide ? On nous inculque cette pensée-là depuis petit·es ; le résultat étant que nous nous sentons obligé·es de nous adapter à la norme valide pour être socialement accepté·es. On nous dira « fais un effort », pour regarder dans les yeux, pour « surmonter » notre anxiété sociale, pour comprendre l’ironie et les sous-entendus, pour ne pas stimmer (mouvement régulier pour se rassurer ou exprimer notre joie, tel que le balancement ou des mouvements de mains, doigts etc.), ne pas faire de crises autistiques en public (crises de colère durant lesquelles nous pouvons être violent·es envers nous-mêmes, nous taper contre les murs, nous rouler contre le sol, etc.), nous tenir droit·es, ne pas faire de tri alimentaire, etc. On apprend à ne pas exprimer notre autisme pour paraître normaux·ales. On doit redoubler d’efforts pour s’adapter à la norme et à la société, tandis que c’est elle qui devrait s’adapter à nous, et c’est épuisant. Par rapport au langage également, c’est éreintant pour un·e autiste de parler, et il existe des autistes non verbaux ; mais la plupart des autistes ont intégré le validisme qui dit qu’il vaut mieux parler et être épuisé·e plutôt que de communiquer autrement. Même si la société s’améliore sur ces questions, c’est encore en grande partie aux handicapé·es de s’adapter à la société et non l’inverse.
Je ne vais pas prétendre m’être totalement déconstruite, moi-même je m’empêche au quotidien de faire des actions qui font « handicapée » pour paraître normale. Des fois, j’en prends conscience et j’essaye de me forcer à faire ce que j’ai envie/ besoin de faire, mais la pression sociale reste très forte et c’est difficile de s’en détacher. Je sais néanmoins que je parais plus handicapée qu’avant pour cette raison-là, et ce n’est pas négatif.
L’handicophobie et le validisme au sein de la communauté asperger
Le syndrome d’Asperger, c’est celui que j’ai et qui est un type d’autisme se caractérisant par des difficultés dans les interactions sociales, associées à des intérêts spécifiques ou des comportements répétitifs. Il se différencie des autres types d’autisme par l’absence de déficit intellectuel et souvent, de précocité intellectuelle.
Nous pouvons être autiste et validiste comme nous pouvons être homosexuel·le et homophobe ou noir·e et raciste. Car nous avons intériorisé tant de normes que nous pouvons nous-même avoir des comportements et paroles en notre défaveur.
Suite à mon diagnostic d’autiste asperger, ma mère m’avait dit de ne surtout pas dire que je l’étais pour « éviter les discriminations ». Comme elle m’avait dit de ne surtout pas révéler que j’étais lesbienne ou trichotillomane (c’est un trouble obsessionnel compulsif à cause duquel l’on s’arrache des poils. On aurait préféré que ce soit ceux des jambes mais c’étaient les cils). Il faut donc se faire discret·e pour éviter les discriminations. Mais tel est le comportement qui ne fera justement pas évoluer les mentalités et la société.
Il faut s’approprier les termes qui nous définissent pour montrer qu’ils ne sont pas des insultes, et que ce sont de personnes dont on parle
J’avais moi-même intégré cela, et les rares fois où je disais que j’étais autiste, je ne disais pas « autiste » mais « asperger ». Je ressentais toujours le besoin de préciser que j’étais autiste asperger, oui c’est logique, c’est ce que je suis. Eh bien pas tant que ça. Pourquoi avais-je si honte de dire le mot « autiste » ? Celui-ci a une connotation négative, on allait me prendre pour une débile. Je ne voulais pas qu’on me prenne pour une autiste qui bave mais pour une personne intelligente, rendre ma tare positive en quelque sorte. Et ça marchait ! Les gens se disaient « ah moi aussi je connais un asperger, il est super, il est passionné d’informatique (évidemment) » ; mais personne n’aurait dit « moi aussi je connais une asperger ! Elle est actuellement en dépression et au chômage ! » : car l’on ne parle que de ce qui nourrit la société élitiste et capitaliste. Mais c’est problématique de ne pas vouloir être prise pour une handicapée autiste qui bave, pourquoi ? Pour les personnes concernées. Moi-même, j’étais discriminante envers certaines personnes handicapées car je ne voulais pas être associée à elleux. Comme certain·es LGBT qui ne veulent pas être associé·es à ce groupe, car « il faut pas se mettre dans des cases » ou « ça décrédibilise », « je vais pas le crier sur tous les toits », ces personnes fermées d’esprit qui n’acceptent pas les autres minorités. Il y a trop de LGBT et de féministes transphobes et/ou racistes.
Si tu luttes contre des discriminations, tu dois lutter contre toutes. Si tu luttes contre les discriminations que subissent les autistes asperger, tu dois lutter contre les discriminations de toutes les personnes handicapées. De la même façon que si tu es féministe, si tu luttes pour la cause des femmes, tu te dois de lutter pour toutes les causes, y compris la cause des femmes trans.
Il y a quelques temps le mot autiste était pour moi trop connoté négativement pour que je me l’approprie. Mais il faut s’approprier les termes qui nous définissent pour montrer qu’ils ne sont pas des insultes, et que ce sont de personnes dont on parle ! Il faut oser dire qu’on est lesbienne et pas « j’aime les filles », il faut oser dire qu’on est autiste et pas « asperger donc je suis intelligente hein, moi je suis pas comme les autres autistes qui bavent haha » ! Peu importe quel type d’autiste je suis, je fais partie du spectre, autant qu’une personne autiste déficiente mentalement. Autiste, schizophrène, trisomique, handicapé·e, ne sont pas des insultes. Donc oui je suis autiste et handicapée et lesbienne. Dis donc, ça commence à faire beaucoup de tares là…
L’autisme dans les représentations populaires
Si l’on vous dit « asperger », soit vous ne savez pas ce que c’est, soit vous avez vaguement entendu parler d’un mec cis blanc hétéro génie passionné d’informatiques ou de maths. Vous pensez peut-être au film Rain Man, à la série Atypical, ou encore à la série Good Doctor. La représentation des personnes autistes se limite à des hommes cisgenres, blancs, hétéros, génies. Mais pourquoi donc ? N’y a-t-il pas de femmes autistes ? La société n’aime pas trop ça, déjà que l’on est autiste, si en plus on est une femme… ça fait un peu beaucoup quand même, manquerait plus qu’on soit LGBT, dépressive et végane.
Les personnes autistes, et handicapées en général, sont désexualisées
Tout d’abord l’autisme chez les personnes assignées femmes est très mal détecté, car la société nous pousse à nous adapter, contrairement aux hommes cisgenres qui vont plus facilement exprimer leur autisme. L’on va aussi avoir tendance à faire l’éloge de l’autiste génie cis blancs hétéro qui est utile à la société capitaliste, comme on le retrouve dans les quelques films abordant l’autisme : des autistes génies, passionnés d’informatiques, de maths, hyper stéréotypés. À quoi ça sert de représenter une autiste non binaire lesbienne dépressive? Ça n’intéressera personne.
Les personnes autistes, et handicapées en général, sont également désexualisées, dans un monde où chacun·e est placé·e sur l’échelle de la sexualisation. Celle-ci part des lesbiennes sursexualisées aux handicapé·es désexualisé·es. On ne concentre jamais l’attention dans une série ou un film dont le personnage principal est autiste, sur ses attirances, ses amours, sa vie sexuelle, car l’on a tendance à penser que les handicapé·es, les autistes etc. ne ressentent pas de désir sexuel, on ne les représente pas en tant que séducteur·ices ; ce qui va avec l’infantilisation des personnes handicapées. C’est encore une fois un préjugé totalement faux.
Bien sûr, il existe des personnes asexuelles, et la société met également une pression hétéronormative sur le fait que nous devons avoir des rapports sexuels, mais c’est encore un autre sujet.
Handicapée
Un débat occupe l’esprit des neurotypiques (personnes non autistes) ces derniers temps. L’autisme est-il un handicap ? Évidemment, la plupart des personnes opposées au fait que l’on considère l’autisme comme un handicap sont valides et neurotypiques. C’est marrant, ces personnes qui expriment leur avis sur des choses qui ne les concernent pas. Elles croient pouvoir avoir un jugement objectif. Si tu demandes à un·e LGBT de parler de ses droits, bof, pas intéressant, c’est sûr qu’iel va dire des choses en sa faveur c’est pas objectif, il vaut mieux demander à un homme cis blanc hétéro pour avoir un point de vue bien objectif.
Les arguments qu’on retrouve contre la classification de l’autisme comme un handicap sont, par exemple, « si on commence à considérer l’autisme comme un handicap, on s’arrête où ? Dans ce cas, tout est un handicap », ou encore « il y a des personnes trisomiques qui souffrent tous les jours de leur handicap donc toi à côté de ça t’es pas handicapée hein » ahh, la fameuse comparaison. Est-ce que parce qu’il y a pire, notre souffrance, ce qu’on vit ou ressent, n’est pas légitime ? On essaye de faire une hiérarchie des handicaps du genre « toi encore t’es QUE autiste, estime-toi heureuse, regarde le fils de la voisine qui bave, t’aimerais pas être à sa place hein ». C’est l’argument-type absurde utilisé contre toutes les causes : il y a pire alors on ne va rien dire. « Euh les LGBT chut parce que dans certains pays vous êtes mort·es, les femmes aussi chut parce qu’il y a des femmes qui se font violer en Afghanistan actuellement, et les vegans chut aussi parce que les petit·es Africain·es ils·elles pourraient pas être vegans elle·eux ». Moi j’ai envie de poser la question du rapport. Le fait qu’il y ait « pire » ne rend pas ma souffrance moins légitime, ne la rend pas inexistante.
Oui je suis handicapée, et oui je souffre au quotidien, ce n’est pas parce que mon handicap est presque invisible, que je ne le ressens pas. Ma vie en société est altérée par le fait que je sois autiste, dans mes relations sociales, par le fait d’avoir toujours été rejetée par mes camarades car j’étais différente, que je n’arrivais pas à m’adapter aux codes sociaux, que je sois épuisée par tous les stimuli sensoriels vécus en une journée et que le système scolaire élitiste et capacitiste ne soit pas adapté à ma manière de fonctionner, me plongeant ainsi dans des burn-outs régulièrement et me rendant dépressive. Pourquoi n’admet-on pas que je sois handicapée ? Je parais valide car je suis adaptée, et j’ai appris à m’adapter car la société validiste m’a dit que le mieux, c’était que mon autisme ne se voie pas.
Notre espèce étant en train de disparaître pour les raisons climatiques que nous connaissons, j’ai imaginé qu’une fraction de cette espèce survivrait et qu’elle serait composée pour la plus grande partie d’autistes asperger qui, comme Greta Thunberg, refuserait ce jeu hypocrite qui est le nôtre et qui consiste à dire une chose à ne pas la faire. La nature s’évertue à faire des êtres très différents au sein d’une même espèce. Que Capucine Houssin se rassure donc : il se peut qu’un jour elle et ses semblables aient un rôle fort important à jouer. Et surtout que Capucine ne laisse pas retomber sa colère afin qu’elle la fasse rejoindre et consolider celle de Greta.
Vive Greta et Caps!
Article très intéressant et très instructif. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de produire un contenu si important pour notre société actuelle.