Césure dans le Pacifique
Propos recueillis par Léonie
Publié le 16 mai 2021
Clarisse nous partage son expérience d’année de césure, qu’elle a choisi d’effectuer en Nouvelle-Zélande et en Australie, entre ses troisième et quatrième années de médecine.
L’ouvreuse : Qui es-tu ?
Clarisse : J’ai 24 ans, je suis née à Besançon en Franche-Comté, et j’ai grandi dans une ville frontalière de la Suisse qui s’appelle Pontarlier. J’ai fait mes trois premières années de médecine à Besançon, mais j’ai jamais aimé ma région et j’ai toujours voulu partir.
L’O : As-tu un évènement marquant de ta vie à nous raconter ?
C : J’ai fait une année de césure dans le Pacifique.
Au début, j’ai cru qu’avec les études de médecine, je ne pourrais pas partir en voyage dans le cadre de mon cursus. Mais partir en césure était de plus en plus valorisé, et une loi est passée autorisant tout·e étudiant·e à une année de césure. J’ai fait les démarches auprès du secrétariat de ma fac et je suis partie fin août 2018. J’ai choisi la Nouvelle-Zélande et l’Australie parce que je voulais améliorer mon anglais, et que j’ai toujours été attirée par le Pacifique ; ma mère est née en Nouvelle-Calédonie. J’avais vraiment envie d’y retourner et de voir deux pays au moins. C’est facile de voyager dans ces deux pays car il existe un visa vacances-travail pour les moins de 35 ans en Australie, et les moins de 30 ans en Nouvelle-Zélande. Il n’y a pas de nombre maximum de bénéficiaires français, tout le monde peut en faire la demande. Mais tu peux le faire qu’une fois dans ta vie. C’est un visa qui dure un an. En Australie pour étendre ton visa tu dois travailler dans une ferme agréée par le gouvernement où t’es un peu exploité·e. C’est pas donné, ça coûte environ 200 dollars néo-zélandais et 500 dollars australiens (au total pour les deux pays, un peu moins de 500 euros). J’avais besoin de travailler et de vivre une expérience complète. C’est parfait comme visa, ça permet de rester longtemps dans le pays.
Le moins cher c’était d’arriver à Auckland, capitale économique et industrielle dans le Nord, c’est pas magnifique mais c’était l’aventure, j’avais aucune idée de ce que j’allais faire, j’avais juste pris trois nuits dans une auberge de jeunesse. Je suis arrivée fin août, ce qui correspond à l’hiver là-bas. L’auberge était sympa, avec pas mal de français·es, c’était pratique. Les premiers jours j’ai fait les trucs administratifs. J’ai ouvert un compte grâce à mon visa et j’ai souscrit un abonnement de téléphone après avoir comparé les opérateurs. J’ai vite pris la décision de pas rester à Oakland, on me disait que c’était pas la ville la plus attractive de Nouvelle-Zélande, c’était pas ce que j’étais venue chercher. Je me suis inscrite sur le site de woofing, j’en ai trouvé un chez une famille dans la péninsule de Coromandel. C’était très beau, ça correspondait à ce que je voulais : belle plage, végétation luxuriante. Premiers vrais contacts avec des Néo-zélandais. Ils me faisaient travailler dans leur boutique bio, je gardais les enfants et je faisais le ménage. Je restais en général une semaine dans les woofings. Puis je suis allée dans une autre région des lacs : Rotorua. C’est une région très volcanique, imprégnée de la culture Maori. J’étais chez une vieille dame, Juliane, qui commençait à avoir alzheimer. Je jardinais, elle m’a appris à désherber. On allait voir des matchs de rugby dans des bars avec ses potes, elle était très drôle. Après je suis allée à Hamilton, pour des missions de jardinage et de travaux domestiques, il y avait d’autres woofers jeunes donc je me suis trouvée moins seule. Y’avait un Japonais et deux Français. J’avais pas l’impression de travailler avec les jeunes. En journée off, on partait avec le van qui appartenait au couple de Français. On est allés sur la côte faire du surf et j’y ai découvert les frites de patates douces. J’ai fait beaucoup de désherbage dans les différents woofings.
Wellington c’est la ville de rêve, très riche culturellement ; y’a le Parlement, des musées d’histoire naturelle, d’art, de photos et des plages
Je suis allée à Wellington. J’avais envie de me poser. Je suis allée chez une vieille dame qui a pris des woofers pour récurer à fond sa maison avant de la vendre, j’ai récuré une baignoire horrible.
C’est la ville de rêve, très riche culturellement, y’a le Parlement. Y’a des musées d’histoire naturelle mais aussi d’art, de photos… Les plages… J’ai trouvé un autre woofing, chez Frank qui m’a acceptée pour trois semaines. On s’est rencontrés avec lui et une couchsurfeuse américaine, Jena, au resto, et je me suis tout de suite sentie bien. Il voulait rencontrer des gens, partager sa culture… Il nous conseillait des balades, j’ai fait plein de sorties avec Jena. J’ai pas trop fait de jardinage au final.
Je voulais aller en Nouvelle-Calédonie rejoindre ma maman, dix jours. C’était génial et hyper émouvant, ça faisait douze ans qui j’y étais pas retournée. Tout était encore mieux que dans mes souvenirs. J’ai beaucoup de famille là-bas et c’était bien de les revoir. Je suis allée à la petite Île des pins avec eau turquoise… Je suis revenue à Wellington. J’étais trop bien là-bas, j’avais un peu trouvé une famille. J’ai cherché du travail ce qui m’a permis de gagner un peu d’argent par-ci par-là pour me financer un road-trip dans l’Île du Sud. J’ai passé Noël à Whangarei dans le Nord (là où il fait le plus chaud), en plein été. J’ai rejoint un ami de Wellington, Julian, pour aller dans l’Île du Sud : on a passé trois semaines à se marrer à faire des randos dans la nature sauvage. On a sauté en parachute ensemble, on a fait une croisière dans les fjords, on a claqué tout ce qu’on avait gagné en bossant là-bas. On a vu des albatros, des pingouins en liberté. Pour voir les pingouins il faut connaître les spots, on les voit à la nuit tombée quand ils rentrent de la pêche. Tu entends le papa pingouin qui appelle sa famille, puis les pingouins marchent dans la ville c’est à mourir de rire. Tu marches dans la ville, t’entends des bruits et d’un coup tu vois plein de pingouins surgir, ils rentrent dans la ville pour la nuit. Ce sont des petits pingouins bleus, les plus petits du monde. Je suis rentrée dix jours à Wellington avant de partir pour Melbourne en Australie. Il fallait tout recommencer, faire un nouveau compte en banque et tout. J’ai distribué plein de CV, y’avait plein de backpackers qui en distribuaient aussi c’était la compet’. J’ai été prise dans un restaurant israëlien, Miznon. C’était très central, j’avais des collègues cosmopolites. J’ai trouvé une colloc’ avec des jeunes dont une Française, Caroline, qui est devenue une super amie. J’adorais mon travail donc je suis restée trois mois là-bas. J’ai fait la Great Ocean Road, une route qui longe l’océan. Tu longes la côte pendant 2-3 jours. Là je me suis vraiment sentie en Australie avec les kangourous (il y en a partout) et les koalas. J’ai aussi fait un petit périple toute seule en voiture entre Melbourne et Sydney en cinq jours. J’ai souvent été surclassée en auberge de jeunesse, les Australiens sont hyper sympas. J’ai eu le coup de cœur pour Sydney, cette ville allie nature, plages et culture… J’y ai retrouvé un petit cousin de Nouvelle-Calédonie et on s’est pris des cuites ensemble. Caroline m’a rejoint pour aller à Ayer’s Rock au centre, qui est LA terre aborigène de l’Australie, c’est au milieu du désert. Y’a des chiens sauvages et de l’art aborigène mais c’est très touristique.
Avec ma sœur qui m’a rejoint, et Hamish et Pierre (deux potes d’auberge), on est parti·es trois semaines en road trip. On a loué un quatre-quatre avec une tente sur le toit et on dormait toustes les quatre dans la tente. Y’avait plein de koalas.
Sur le chemin du retour pour la France, on a fait une escale avec ma sœur à Tokyo. C’était hyper intense, on a découvert tous les quartiers et on dormait dans un « hôtel-capsule ». On est allées voir le mont Fuji mais y’avait trop de brouillard, puis on est allées dans les onsen (bains de sources chaudes) à Hakone. Puis retour à Paris. J’étais très triste de rentrer, mais c’était très émouvant de voir mes parents qui m’attendaient. Faut se dire que si on a envie de quelque chose faut y aller et c’est toi qui traces ta vie. Ça m’a vraiment changé la vie de faire cette année de césure, ça m’a énormément apporté. Ça m’a permis de prendre du recul sur tellement de choses. Avant j’étais hyper studieuse, j’avais du mal à prendre du temps pour moi, c’est comme si j’avais mon cerveau verrouillé ; mais la césure m’a fait relativiser mes études et ça m’a vraiment enlevé un poids. J’ai eu un déclic et maintenant je prends du temps pour moi sans problème, je profite de la vie, sans culpabiliser.