Marie de France, poétesse effacée par l’histoire

Par Madeleine Gerber
Photo DR
Publié le 28 novembre 2022

Marie de France est une poétesse du XIIe siècle dont on ne sait, encore aujourd’hui, que peu de choses. Elle écrit des contes en vers et des fables qui font sa renommée dans les cours de France et d’Angleterre. C’est aussi une pionnière qui utilise la langue du peuple dans ses écrits. Voilà qui mériterait d’être mentionné dans les livres d’histoire. Mais qui a déjà entendu parler d’elle ?

Pour les journées du matrimoine, je m’étais inscrite un peu au hasard à une lecture de fables d’une certaine Marie de France à l’hôtel de Massa, de la Société des Gens de Lettres. Quelle ne fut pas ma surprise en entendant les premiers vers du Grillon et la fourmi.

Voici le conte du grillon
Qui apercevant la maison
D’une fourmi, un jour d’hiver,
Crut bon d’y entrer sans manières.
Il y quémanda quelques vivres,
car il n’avait plus rien pour vivre,
Rien à se mettre sous la dent.
« Qu’as-tu donc fait, l’été durant ?
Lança la fourmi au grillon,
N’as-tu pas fait de provisions ? »
« J’ai chanté tout l’été, dit-il,
A travers champs, à travers villes ;
N’ayant pas eu de récompense,
Je viens ici tenter ma chance. »
[…]

Une impression de ‘déjà-lu’

Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Mais bien sûr ; notre bien aimé Jean de la Fontaine, loué à toutes les époques, dont les fables hantent toujours les programmes scolaires et les esprits. La Cigale et la Fourmi ne paraît donc pas issue du génie de La Fontaine, mais d’un plagiat qui semble bien trop familier, rendu possible par l’invisibilisation de Marie de France – et des femmes en général, dans l’histoire.

La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
[…]

Les rimes et l’ordre des mots ne sont pas les mêmes, quelques termes diffèrent, mais il en faut plus pour nous berner. Aujourd’hui, comme au XVIIe siècle, Jean de la Fontaine est reconnu principalement pour ses fables, dont il publie trois recueils en 1668, 1678 et 1694. Elles sonnent bien, nous sont familières et ont permis d’inspirer de nombreux artistes. Evidemment, elles restent importantes dans la littérature. Mais est-il proscrit de questionner leur origine ? Toujours est-il que Marie de France ne semble pas y être étrangère quand nous mettons leurs travaux en parallèle.

Et Ésope dans tout ça ?

Les moins convaincu·es argumenteront que c’est là une énorme méprise. En effet, il a toujours été enseigné que La Fontaine avait été inspiré par les fables d’Ésope. Il est vrai que l’histoire est semblable.

« C’était en hiver ; leur grain étant mouillé, les fourmis le faisaient sécher. Une cigale qui avait faim leur demanda de quoi manger […] » (traduction d’Emile Chambry, 1927).

Il est d’ailleurs hautement probable qu’Ésope lui-même n’ait pas inventé tous ces récits, mais qu’il ait recueilli les contes de la tradition orale de son époque. Nous sommes donc dans l’impossibilité d’établir avec certitude la paternité de ces fables, et cette quête n’aurait en réalité pas de sens. Néanmoins, Ésope écrit en prose, contrairement à Marie de France. Il va sans dire que ‘s’inspirer d’un écrivain du VIIe siècle avant J-C’, sonne bien plus classe que ‘s’inspirer d’une poétesse du XIIe siècle’, dont la postérité a oublié l’existence.

L’obstacle de la condition féminine

Notons toutefois les mots de la poétesse qui s’inquiète qu’un homme ne s’attribue son travail : « Marie ai de nom et suis de France. Il se peut qu’un clerc ou deux signent de leur nom mon ouvrage ». Déjà de son temps, il y a cette conscience que la condition de femme est un frein à la reconnaissance dans la société. La preuve en est. Notons aussi que les fables de Marie de France ne sont éditées et publiées en bonne et due forme qu’en 1820, par l’écrivain Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort. Cela prouve, encore une fois, que personne ne semble intéressé par le travail d’une poétesse, aussi riche soit-il.

Reste à (re)découvrir les fables telles que Ci dit d’un lou et d’un aignel qui bevoient a un ruissel (Coucou Le loup et l’agneau) ou Uns lous et uns chiens s’encontrerent per un bois grant ou il alerent (Le loup et le chien en sueur), grâce à la maison d’édition Talents hauts. Ainsi, si jamais quelqu’un se sent l’âme d’un plagi- euh d’un poète, il pourra allégrement nous livrer sa propre version des fables, en remplaçant deux trois termes par des synonymes, cela va sans dire. Non mais c’est vrai quoi, les morales d’Ésope sont teeellement d’actualité.

L’importance de l’éducation

Que les misogynes non assumés qui tremblent de rage devant ces mots se rassurent. Il n’est pas là question de faire le procès de Jean de la Fontaine, qui ne sera, je vous l’assure, pas impacté par cet article. Il s’agit de mettre en lumière Marie de France qui a su marquer son temps et a certainement influencé, parmi d’autres, notre fabuliste vénéré. C’est une de ses personnalités que j’aurais aimé connaître plus tôt, non pas lors d’un évènement obscur, rassemblant une poignée de convaincu·es, mais bien à l’école. Parce qu’il faut bien se l’avouer, on ne peut pas construire la société féministe de demain, si les seules figures féminines historiques survolées en classe restent Jeanne d’Arc, Olympe de Gouges et Marie Curie.

Sources
« Connaissez-vous Marie de France », L’Obs n°3029 (27/10/2022), Anne Grignon
Fables de Marie de France, trad. Christian Demilly, Talents hauts, 2022
Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_de_France_(po%C3%A9tesse))

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