Un mois après, où en est la crise de l’agriculture ?
Par Clémence Blin
Illustration @valartyn
Publié le 8 mai 2024
La crise de l’agriculture qui a traversé l’Europe ces dernières semaines ne vous aura sans doute pas échappé. Après plusieurs semaines de mobilisation, les agriculteur·ices ont bien dû quitter leurs barricades pour se remettre au travail. Mais alors, où en est la situation au niveau politique ?
Initiée par les agriculteur·ices allemand·es, la vague de révolte qui a plané sur l’Europe pendant ce début d’année 2024 ne s’est pas arrêtée aux frontières germaniques. Elle a très vite gagné la France, l’Italie, la Roumanie, la Pologne ou encore l’Espagne, où des manifestations et des actions de protestation ont eu lieu pendant plusieurs semaines.
Retour sur la situation
Las de conditions de travail et de vie qu’iels jugent insupportables, des milliers de travailleur·euses du secteur primaire ont fait route vers les capitales et grandes villes européennes pour exprimer leur mécontentement. La 60e édition du Salon de l’Agriculture a été cette année le théâtre d’échanges pour le moins chaotiques entre le Président de la République et les agriculteur·ices présent·es[1], qui ont d’ailleurs mené à deux interpellations.
Depuis quelques jours pourtant, le calme semble être de retour dans les pays de l’Union. Mais si les agriculteur·ices sont pour la plupart d’entre eux rentré·es sur leurs exploitations, iels ont tous·tes ramenés dans leur valise les problèmes liés à la crise.
En réalité, il n’est pas si simple d’adopter rapidement des réformes de si grande ampleur, et le gouvernement, pris entre ses responsabilités nationale et européenne, patauge.
Mesures adoptées ou attendues
Dès les premiers jours de mobilisation cependant, l’abandon de la hausse du GNR (gazole non-routier) avait été décidé. Mais pour la loi Egalim par exemple, les choses ne sont pas si simples. Cristallisant la colère des agriculteur·ices, cette loi, qui a déjà été revue trois fois depuis son adoption en 2018, n’est toujours pas appliquée comme il le faudrait, et participe donc à la mise en péril des métiers agricoles[2]. Censée assurer une juste rémunération aux agriculteur·ices travaillant avec des grands distributeurs, la loi Egalim n’est dans les faits pas toujours respectée, et ne s’applique par ailleurs pas aux autres pays européens, ce qui pose de réels problèmes aux exploitant·es travaillant à l’international. Par ailleurs, les député·es ont récemment voté en faveur de l’instauration de prix planchers, censés garantir un revenu minimum aux agriculteur·ices.
Outre cette loi Egalim, les deux principales préoccupations des agriculteur·ices concernent les lois environnementales et internationales.
En ce qui concerne les lois environnementales, le gouvernement ne craint visiblement pas de s’engager. Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée à l’Agriculture et à la souveraineté alimentaire, a ainsi promis vouloir « faciliter […] les procédures pour faire des ouvrages de stockage d’eau ». Concrètement, cette facilitation, qui va passer par la reconnaissance de l’agriculture et de l’alimentation comme ressources « d’intérêt général majeur », permettra à certains gros exploitants d’accéder plus facilement à des infrastructures hydrauliques normalement très encadrées[3], comme les méga-bassines, qui ne sont pas sans rappeler de mauvais souvenirs.
Au niveau international en revanche, les directives sont moins claires. Si l’Union Européenne est plus lente dans ses décisions, celles-ci ne manquent pas pour autant à l’appel : proposition de modifier la PAC (Politique agricole commune) pour s’aligner avec les revendications des agriculteur·ices, recul sur la loi contre l’utilisation de pesticides ou encore récent rejet par la France du CETA (traité de libre-échange entre l’UE et le Canada). Ces mesures, revendiquées par les agriculteur·ices, riment malheureusement avec désastre écologique pour beaucoup d’ONG environnementales. Alain Bougrain-Dubourg, président de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux), a par exemple déclaré qu’« on a[vait] rarement assisté depuis 15-20 ans à un tel manque de considération des ONG environnementales ».
Loin d’être simple, la crise agricole n’est donc visiblement pas sur le point d’être réglée. Aux croisements de considérations sociales, internationales et environnementales, la question agricole a fait sa place dans les dossiers urgents du gouvernement, et n’en sortira pas tout de suite.
Sources
[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/24/le-salon-de-l-agriculture-s-ouvre-sur-treize-heures-d-explications-entre-emmanuel-macron-et-les-representants-du-secteur_6218396_3234.html
[2] https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/on-vous-explique-les-lois-egalim-qui-cristallisent-la-ranc-ur-des-agriculteurs_6332368.html
[3] https://reporterre.net/Agriculture-5-mesures-du-gouvernement-passees-au-crible