Combattre la flemme

Par Madeleine Gerber
Illustration : Nathéane Le Meur, @nxthexne (Instagram)
Publié le 22 avril 2022

Elle est de toutes les parties. Collante mais plaisante par instants. La fac est son royaume. À l’approche des partiels, déclarons-lui la guerre.

L’humain est un être complexe qui aime la satisfaction instantanée. Le moindre effort paraît de trop, d’autant que la société nous encourage à la paresse et la passivité. Livraison à domicile de tout et n’importe quoi, rencontres en ligne, accès à la culture et au divertissement depuis son ordinateur, contacts et musique dans le téléphone ou travail en distanciel. Tout va et doit aller vite. C’est bien pour cela que nous avons besoin de la 5G ; les pages web qui prennent du temps à se charger ce n’est plus soutenable ! Dans cet environnement où je dois éprouver du plaisir quand je le veux ; la flemme se propage. Plus facile et plaisant de regarder une série, plutôt que de lire pour les cours. Plus rapide et sympa de faire un post ou une story plutôt que de monter cette vidéo qui attend depuis deux semaines. Assez d’exemples, vous comprenez et connaissez la mécanique.

Interview

Pour une meilleure compréhension de la bataille qui se joue dans notre tête, notre équipe a réussi à obtenir un témoignage exclusif. L’humain que nous allons étudier est en pleine discussion avec sa conscience qui l’incite à prendre les bonnes décisions. Celle-ci peut s’avérer très culpabilisante, même jusqu’à décourager l’individu, qui vient alors à manquer de confiance en soi. Ruminant des pensées sombres, il ne se mettra pas pour autant au travail.  

Conscience : Bonjour Madeleine, je suis ravie de faire cette interview pour VDM magazine. Première question, mais pas des moindres, comment allez-vous ?

Humain : Bonjour, je vous en prie, tout le plaisir est pour moi. Pour l’instant tout va bien, les partiels sont encore loin *rires*

C : Alors, vous êtes étudiante à Paris 1. Comment s’est passée votre année jusque-là ?

H : Et bien vous connaissez ce moment, début septembre, où vous vous promettez de mieux vous organiser, de travailler énormément pour bien réussir, d’être régulière ?

C : Oui je vois de quoi vous parlez, tout comme nos cher·ères lecteur·ices j’en suis sûre !

H : Et bien c’est extrêmement frustrant de ne pas réussir à tenir ces objectifs. J’ai l’impression que chaque rentrée scolaire c’est la même chose, voire que cela empire. Au bout de deux semaines ; envolées les belles promesses, la flemme reprend le dessus. Et c’est si frustrant. Le travail de dernière minute, même avec toute la bonne volonté du monde, n’est jamais gage de grande qualité.

C : Ah oui mais c’est embêtant. Comment y remédier ?

H : Bah justement je…

C : Parce que là y’a un court métrage à rendre, un exposé à préparer et les partiels. Donc t’es bien gentille d’essayer de gagner du temps en écrivant des articles pour ton asso mais faut travailler là.

H : Je sais c’est pour ça que j’essaye de travailler sur moi-même et…

C : Oui et c’est pas en faisant des grasses matinées pour rattraper des heures de sommeil passées à bosser dans le rush que ça va aller mieux. T’es lamentable.

H : C’est pas en me rabaissant que j’aurai envie de travailler. Pédagogie zéro.

C : Bah tu vois ça marche quand même, tu sors ton ordinateur

H : Tsss

C : Attends mais qu’est-ce que … Non ! ne clique pas sur ça, tu vas perdre ton temps ! Je t’assure cette vidéo YouTube ne va rien t’apporter de bon ! Oh mon Dieu mais repose ces cookies ! Démon ! Par pitié sortez-moi de ce corps !!!

Un singe dans la tête

Qu’est-ce qu’on se marre. Bref, passons ! en utilisant YouTube à bon escient, on peut retrouver nombre de vidéos traitant de la procrastination et de la flemme. Tim Urban, du blog Wait But Why est un spécialiste. En effet, je considère qu’attendre les dernières semaines pour préparer sa conférence TED relève d’une inconscience, qui frôle le génie. Selon son analyse approfondie du cerveau, il remarque la présence d’un singe de la gratification instantané, qui empêche la prise de décisions rationnelles.

Dessin tiré du blog de Tim Urban, Wait but Why, Why procrastinators procrastinate

Exemple :

– Olala il serait temps de commencer le commentaire de texte à rendre dans quatre jours…

– Allons plutôt voir un film de 3h pour éviter d’y penser ! ah et prenons des popcorn…pour soutenir les salles de cinéma.

Le singe de la gratification instantanée ne retient aucune leçon du passé et ne s’occupe pas de l’avenir. Il vit dans l’instant présent. Certes, nous sommes souvent encouragé·es à savourer l’instant présent dans notre quotidien, pour mieux apprécier ce qui nous arrive ou ce que nous avons. Mais on ne construit pas uniquement une vie sur le moment présent, après l’âge de 4 ans du moins.

On ne se rappelle guère une journée de travail… Mais oublierons-nous jamais le subtil ennui de telle soirée lasse […] ?

Roger Martin du Gard, Devenir !, 1908

L’humain qui aime tant se sentir supérieur à l’animal est bien ridicule s’il cède à toutes ses envies. La raison est censée nous aider à faire des choix avisés. Si j’ai faim, j’aurai alors très envie de commander de quoi manger dans le premier fast food venu. C’est là qu’intervient ma raison pour me rappeler que : 1) j’ai mangé 4 fois MacDo cette semaine 2) je n’ai plus d’argent 3) j’ai des légumes qui pourrissent dans le frigo en attendant d’être cuisinés. Certes cela prendra plus de temps, mais la gratification sera à la hauteur de mes efforts (si je sais à peu près cuisiner). Si au contraire, je commande une énième fois de la malbouffe je serais déçu·e de moi-même et la satisfaction gustative ne sera que de courte durée.

Flemmardise, quand tu nous tiens !

On peut parfois trouver un terrain d’entente entre la prise de décision rationnelle et le singe. Dormir quand la fatigue se fait sentir met tout le monde d’accord.

Un autre protagoniste important est le « monstre de la panique ». C’est lui qui tire la sonnette d’alarme et vous met au travail la veille des partiels, pour essayer d’apprendre un semestre en 24h. Sûrement, le travail délivré dans un état de stress intense ne sera pas exceptionnel, mais il sera fait. Alors que se passe-t-il quand il n’y a pas de deadline ? Comment un·e adepte de la procrastination peut-iel s’en sortir si iel veut créer un projet, mais qu’il n’y a aucune contrainte de temps susceptible d’invoquer la panique salvatrice ? Chèr·es artistes et entrepreneur·euses ; il en va de votre carrière !

Finissons avec ce commentaire (et ses 1,9k likes) sous la vidéo de la conférence TED : « L’ironie de m’être dit de ne plus procrastiner, mais être arrivé ici et passer 14 min à en apprendre plus sur la procrastination ». Non mais c’est vrai quoi ! Qu’est-ce que vous faites encore sur cet article ? Faites vos devoirs les ami·es ! Ah vous attendez de vrais conseils ? Tâchons d’en trouver.

Une formation à 120 euros ?

À peine le mot « procrastination » est tapé dans la barre de recherches que je me fais agresser par des centaines de vidéos plus ou moins douteuses, liées au développement personnel et à la productivité. S’il y a bien une chose qui revient c’est cette tendance à rabaisser les gens imparfaits. C’est quand même incroyable, parce qu’on est 7 milliards sur cette Terre. Alors faire culpabiliser les gens qui n’arrivent pas à tenir une routine, un régime et à se lever à 4h du matin parce que « le monde appartient à celleux qui se lèvent tôt », ne paraît pas très avisé. Non vous n’êtes pas nul·les et faibles parce que vous procrastinez ou que vous avez la flemme. Se déprécier de cette manière ne mènera à rien de bon, ce n’est que perte de temps. La clé de la motivation est d’essayer de changer son mode de fonctionnement, étape par étape. Trop d’un coup ce n’est pas tenable sur la durée et peut vite être décourageant. Alors pose cette carte bancaire, parce que point besoin de formation payante pour entendre des conseils basiques, mais utiles à la reprise des révisions.

Petit à petit, l’étudiant·e étudie

Certains conseils sont inspirés de la vidéo : Comment être aussi productif qu’Elon Musk en 7 conseils ? de Cyrus North

1. Sortir de son lit

Cela peut paraître une bonne idée de travailler bien au chaud sous sa couette, en pyjama. Mais inconsciemment on associe le lit à un espace de détente. Mélanger cet espace de réconfort et le travail n’est pas forcément une bonne idée, car on sera plus enclin·e à basculer du côté de la facilité en abandonnant le travail. Même dans le cas d’une journée de travail intense, il est plus facile de se mettre dans un état d’esprit productif en étant douché·e et habillé·e. Cela nous pousse à travailler et évite de procrastiner en se prélassant dans le lit.

2. Commencer la journée par la tâche la plus importante

La deadline la plus proche ou le travail le plus conséquent doit être une priorité même si on préfère la repousser. Une fois le plus gros du travail terminé, les autres tâches paraîtront plus faciles. Mais si vous n’arrivez pas à hiérarchiser les tâches, rien ne sert de tergiverser pendant des heures et choisissez-en une au hasard. Il ne faut pas trouver une excuse pour ne rien faire !

3. Trouver son espace de travail

Si l’on veut être productif·ve, autant se sentir bien dans son environnement. Cela dépend des goûts de chacun ; plutôt calme (bibliothèque, appartement) ou animé avec un bruit de fond (café, espace collectif). Certain·es préfèrent aussi écouter de la musique ou des sons d’ambiance pour se plonger dans un état de concentration. La question de la place disponible peut aussi être cruciale. Si vous avez besoin d’étaler feuilles, livres et ordinateur sur une surface de 3 m2 pour mieux travailler, faites-le ! Les tables de travail des bibliothèques sont souvent bien adaptées.

4. Mettre le téléphone en silencieux

Même si nous n’en avons pas toujours conscience, les notifications sur l’ordinateur ou le téléphone empêchent réellement la concentration. Si la communication s’avère nécessaire, autant prendre une pause pour le faire, au lieu de s’interrompre et de ne jamais avancer dans le travail, ce qui peut aussi se révéler décourageant.

5. Ne pas se disperser

Quand on est lancé·e dans le bon état d’esprit, mieux vaut continuer sur cette lancée et ne pas s’interrompre, par exemple, dans des recherches pour un exposé, puis commencer un commentaire de texte après. Il sera alors difficile de se replonger dans le même état d’esprit, de retrouver toutes les idées pour poursuivre le travail.

6. Organiser un planning

Les emplois du temps ont toujours un côté un peu terrifiant, car ils semblent conditionner notre journée et limitent la spontanéité. En réalité ils se révèlent utiles pour bien organiser le temps. Il faut alors prendre en compte la durée des tâches, pour éviter de sous-estimer le temps nécessaire, ou encore se réserver des temps de pause entre les tâches, pour manger, souffler et se changer les idées. Attention aux ‘to do list’ qui ne hiérarchisent pas forcément les tâches ce qui ne permet pas de bien se projeter sur une semaine ou une journée.

7. Avoir un objectif pour se motiver 

Pourquoi est-ce que je travaille ? Parce que je veux obtenir ma licence ? Mon master ou autre ? Tenter une école ? Trouver un bon stage ? Monter un projet ? Avoir un but, même éloigné dans le futur permet de se motiver à travailler pour l’atteindre. Au-delà d’une vision d’avenir, on peut se motiver avec la promesse d’une récompense, bien méritée après les efforts : une sortie, un achat, une activité… Le travail sera même associé à quelque chose de positif.

Traité de paix

Après le combat, essayons de faire la paix avec notre meilleure ennemie. Parce qu’au fond, à petite dose, elle ne peut nuire à personne. Après une semaine de travail chargée, rien de plus délicieux que de ne rien faire. Pas de quoi avoir peur, tant que nous gardons le contrôle. Sans la flemme, la fierté qui nous submerge après une journée bien remplie, des tâches accomplies, serait bien moins grande. Peut-être la flemme, tenue responsable de tous les maux, nous a-t-elle apportée des choses ? Découverte d’un compte Instagram incroyable, d’une nouvelle série haletante, d’une vidéo intéressante ou d’un site perdu dans les tréfonds d’internet. Alors terminons cet article sur les mots de Roger Martin du Gard, un écrivain français du XXe siècle dont, il y a cinq minutes, j’ignorais encore l’existence. Parce que la flemme de faire ses devoirs peut mener à l’écriture d’un article.

« Et moi, je bois à nos chères flemmes ! On ne se rappelle guère une journée de travail… Mais oublierons-nous jamais le subtil ennui de telle soirée lasse, qui semblait s’étirer sous nos yeux comme la fumée de nos cigarettes, et pour laquelle il nous paraît avoir su ralentir le Temps ?… − Tu récites ? … − Vivent les chères flemmes ! Et vivent les subtiles veuleries ! » (Roger Martin du Gard, Devenir !, 1908).

Vidéos intéressantes :
Tim Urban, Inside the mind of a master procrastinator, TED https://www.youtube.com/watch?v=arj7oStGLkU
Comment être aussi productif qu’Elon Musk en 7 conseils ?, Cyrus North

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