Journée internationale de l’asexualité
Par Sorb’Out
Photo : Cortège ace de la Pride 2019 de Copenhague, Wikimedia Commons
Publié le 6 avril 2022
Ce mercredi 6 avril est la journée internationale de l’asexualité. Si vous ne connaissiez pas son existence, rassurez-vous, sa visibilisation est assez récente et on en apprend tous les jours ! C’est en effet seulement depuis le 31 janvier 2021 que la décision de célébrer cette journée est devenue effective. Il était temps de mettre en avant cette orientation si peu connue.
L’asexualité est une orientation sexuelle qui regroupe un large spectre de différentes préférences. Être asexuel·le signifie ressentir peu ou pas d’attirance sexuelle. Cela n’empêche pas d’éprouver du désir sexuel ou romantique, c’est uniquement une question d’attirance sexuelle. C’est ici que se trouve la difficulté majeure… Nous vivons dans une société très axée sur le sexe qui tend parfois à ne pas comprendre qu’il est possible de n’avoir aucune attirance sexuelle. La journaliste Anneli Rufus écrit d’ailleurs, dans un article Des asexuels à la Pride le 22 juin 2009, “À quoi cela ressemble-t-il d’être asexuel dans un monde occidental obsédé par le sexe et l’identité ? L’obsession sexuelle de la société leur dit en gros de se taire et d’avoir honte.”
Qu’est-ce que l’asexualité ?
Soulignons d’abord qu’être asexuel·le n’est pas synonyme d’asexué·e. Ce dernier terme désigne en effet les personnes dépourvues de sexe au sens génital. Il est également à différencier de l’aromantisme, son pendant dans les orientations romantiques qui désigne les personnes ne ressentant pas ou peu d’attraction romantique pour autrui. Ainsi, il est tout à fait possible d’être aromantique mais d’éprouver une attirance sexuelle. Ou l’inverse ! Tout autant qu’être à la fois aromantique et asexuel·le, c’est-à dire “aroace”. Ajoutons de plus, qu’être asexuel·le ne signifie pas ne pas avoir de libido !
L’asexualité est ainsi une orientation sexuelle pour les personnes ne ressentant d’attirance sexuelle pour personne, ou peu. C’est un terme générique, ou hyperonyme, qui comprend plusieurs types d’asexualité dans son spectre. Ainsi, il existe la zone grise ou “grey-asexualité” pour les personnes ne ressentant que très rarement une attirance physique pour une autre ou dans des circonstances spécifiques. De même, les demisexuel·les ont besoin d’un lien émotionnel intense avant de ressentir une attirance. Les hyposexuel·les ne connaissent d’attirance qu’à un très faible degré. Le spectre est large et permet une plus grande représentation de la réalité en n’enfermant pas la sexualité dans une idée binaire. L’asexualité s’oppose à “l’allosexualité” ou “zedsexualité”, des hyperonymes pour les personnes n’appartenant pas au spectre de l’asexualité. Le premier terme a d’ailleurs été inventé alors que les personnes non asexuelles étaient appelées des “sexuelles”. Cela excluait les asexuel·les qui peuvent apprécier le sexe. Il est cependant porteur de controverses et, très récemment, a émergé la “zedsexualité” en référence à la lettre “Z”, opposée de la lettre “A” dans l’alphabet.
Le spectre de l’asexualité est si large et fluide, aucune personne ne serait illégitime à s’identifier comme telle même si elle apprécie les relations charnelles avec quelqu’un·e. Et contrairement à une idée reçue, une personne asexuelle peut parfaitement être en couple et/ou avoir une famille avec des enfants ! L’un n’empêche pas l’autre, rassurez-vous. La journaliste Aline Laurent-Mayard a d’ailleurs lancé un podcast de huit épisodes sur l’asexualité, “Free From Desire” dans lequel elle évoque les relations qu’elle a eu, ses questionnements mais aussi son chemin pour avoir un enfant (disponible sur Spotify, Apple Podcast, Deezer..).
Petite plongée dans l’histoire…
Malgré une reconnaissance récente, l’asexualité a, en réalité, une histoire plus fournie que ce que l’on pourrait penser. L’Allemagne est précurseure en la matière ! En 1869, le journaliste Karl-Maria Kertbeny, un hongrois vivant en Allemagne, rédige un pamphlet contre la loi anti-sodomie de la Prusse dans lequel il consacre une terminologie des différentes orientations existantes. Il invente alors les termes homosexuel et normalsexuel, changé ensuite en hétérosexuel, mais surtout, de monosexuel désignant les personnes intéressées uniquement par le plaisir sexuel avec elles-même. Note : aujourd’hui ce terme a un autre sens puisqu’il désigne l’attirance pour un seul sexe/genre. Certes, ce n’est pas encore l’asexualité mais on s’y approche ! C’est ensuite Emma Trosse, première femme connue à avoir étudié le lesbianisme avec une approche scientifique, qui participe aux avancées. En 1897, elle publie une série de travaux sur l’homosexualité et sur la sexualité en général. Elle a une vision assez novatrice pour cette période et voit l’idée de sexualité binaire comme une position morale plus que scientifique. Elle soutient alors que l’attirance sexuelle pour des personnes du même sexe mais également l’absence d’une quelconque attraction sexuelle, ne sont pas des comportements anormaux mais correspondent à un état naturel. Son contemporain, le sexologue allemand Magnus Hirscheld écrit lui aussi sur le sujet dans son livre Sappho und Sokrates dans lequel il évoque des individus sans aucun désir sexuel. Les anglophones sont les prochains à s’intéresser à la matière et en janvier 1948, le sexologue américain Alfred Kinsey publie le premier tome des Rapports Kinsey, “Le comportement sexuel de l’homme” suivi par “Le comportement sexuel chez la femme humaine” en 1953. Dans cet ouvrage, il présente une étude des comportements sexuels observés chez ses nombreux sujets. Son but était de mesurer nos comportements dans le domaine sexuel selon une échelle en 7 niveaux allant de l’homosexualité complète à l’hétérosexualité totale. Noter que le Kinsey Institute souligne que malgré cette étude, il n’existe aucun test officiel pour mesurer notre place exacte sur l’échelle et que l’orientation est fluide et peut changer au cours d’une vie. En analysant les réponses de ses sujets, l’auteur remarque que plusieurs sujets n’expriment aucun intérêt pour les comportements sexuels et décide alors de les reléguer sous une nouvelle catégorie, la catégorie “X”. Si son étude est cependant assez discutable sur bien des points, elle reste une avancée considérable pour l’époque.
L’information n’est pas uniquement nécessaire pour le regard des autres, elle l’est aussi pour permettre de se connaître soi-même.
Le terme « asexuel » émerge enfin en 1972 dans The Asexual Manifesto de Lisa Orlando. Elle fait alors partie d’un comité pour les asexuel·les au sein d’un groupe de réflexions féministes, les New York Radical Feminists. Sa vision de l’asexualité est cependant quelque peu différente de celle que l’on connaît – ou pas – aujourd’hui puisque, inscrite dans un contexte de révolution sexuelle et féministe, elle la décrit comme un choix politique et non une orientation sexuelle. Pour actualiser ce manifesto, un nouveau Asexual Manifesto a été rédigé, disponible sur le site https://ace-manifesto.carrd.co/#. Malgré ces études et ouvrages, l’asexualité reste invisible pendant longtemps. Elle est même considérée comme une pathologie. Étonnant. En 1977, elle est ainsi ajoutée au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié par l’Association américaine de psychiatrie dans le chapitre sur les dysfonctions sexuelles qui étudie “le trouble de l’intérêt pour l’activité sexuelle ou de l’excitation sexuelle chez la femme” notamment, un trouble à différencier entièrement de l’asexualité. Les années 2000 sont une véritable révolution avec la création de l’AVEN, Asexual Visibility and Education Network, par l’américain David Jay (âgé de seulement 19 ans à l’époque !). Le site dispose aussi d’une branche francophone ! Ses deux buts originaux sont de favoriser l’acceptation de l’asexualité par le public et de faciliter la croissance d’une communauté asexuelle. Aujourd’hui, le site contient la plus grande communauté virtuelle d’asexuel·les et participe à de nombreux projets tout en procurant un espace sain pour tout le monde. La reconnaissance de l’asexualité n’est alors que plus grande et en 2009, pour la première fois, à la Pride de San Francisco, défile un groupe asexuel. 2010 est une année chargée, elle voit naître l’Association pour la visibilité en France, composée uniquement de personnes asexuelles mais également l’apparition du drapeau de la fierté asexuelle à la suite d’un vote sur le site de l’AVEN. Vous pouvez lire les discussions sur le forum www.asexuality.org et il faut noter que bien que le gâteau et l’as de pique soient des symboles de l’asexualité, peu de membres étaient partisan·es de le faire apparaître sur le drapeau…heureusement. Le drapeau est ainsi composé de quatre bandes horizontales. La première bande, noire, représente l’asexualité, la seconde, grise, est pour la zone grise du spectre asexuel (que nous développerons plus tard), le blanc est pour la sexualité et le violet est simplement un choix de la communauté.
Aujourd’hui, l’asexualité a de plus en plus de place mais reste en retrait. Un diagramme de 2019, soit assez récent, publié par Statista Research Department, présente une répartition de la population française selon l’orientation sexuelle et aux abonnées absentes… l’asexualité ! Relativisons, les graphiques de ce genre ne peuvent être réellement représentatifs de la réalité. Notons cependant que le pourcentage estimé d’asexuel·les dans le monde serait de 1 %. Au sein même de la communauté lgbt+, cette orientation a eu du mal à se faire une place mais il n’en reste pas moins que le A du sigle a été ajouté pour nous représenter !
La place progressive de l’asexualité dans la société
Bien que peu représentée, l’asexualité fait son chemin doucement. Outre le drapeau qui la représente, elle dispose d’autres symboles comme l’as de pique pour “ace” (abréviation de asexual en anglais) et “inside jokes” assez portées sur la nourriture (avec une faveur spéciale pour les gâteaux et le pain à l’ail). Et un signe discret de reconnaissance ? Porter une bague noire ! Sans oublier le triangle renversé, symbole porté par AVEN. Dans la pop culture, elle est de plus en plus évoquée. Le personnage le plus connu actuellement est probablement Florence de Sex Education, la série Netflix sortie en 2019. J’ai récemment sauté de ma chaise en découvrant que nous étions également représenté·es dans l’Arrowverse avec Spooner, bien que la série DC’s Legends of Tomorrow soit assez réputée pour sa représentation, il a fallu attendre la saison 7 pour avoir notre premier personnage asexuel. La franchise opposée de super-héros n’est pas en reste puisque Yelena Belova, personnage phare du MCU depuis peu, a été créée comme asexuelle par son auteur… reste à savoir si le MCU suivra la ligne directrice des comics sur ce point. Il existe en réalité plus de représentation asexuelle que l’on pourrait penser en premier abord, mais leur orientation est en général seulement canon et n’est pas expressément montrée. Fun fact, Stephen Hillenburg, créateur de Bob l’éponge, est intervenu après une controverse au sujet d’une soit-disant homosexualité du personnage, pour préciser que cela n’était jamais son intention et qu’en réalité, Bob est d’ailleurs même plus asexuel selon lui ! S’agissant des célébrités réelles, peu sont ouvertement asexuelles et il n’est jamais bon de supposer l’orientation de quiconque. On peut cependant noter Bradford Cox, le chanteur principal de Deerhunter, qui a déclaré être asexuel dans une interview à la radio, la chanteuse américaine Emilie Autumn ou encore l’écrivaine néo-zélandaise, Keri Humne, également aromantique. Dans les célébrités historiques, Edward Gorey, illustrateur et écrivain, aurait déclaré en 1980 être heureux d’avoir “peu de libido ou quelque chose comme cela” et confirmé la suggestion de l’enquêteur suggérant que l’absence de sexe dans ses ouvrages étaient due à son asexualité. Ironiquement, alors que Marilyn Monroe était – est – une véritable sex-symbol, elle aurait été asexuelle ! À la lecture de son journal, plusieurs passages semblent démontrer un désintérêt pour le sexe. Rappelons cependant l’importance de ne pas supposer l’orientation de quiconque et si Marilyn Monroe n’est plus là pour infirmer ou non ces théories, rien ne peut affirmer qu’elle aurait même voulu s’identifier comme telle si elle avait pu !
Malheureusement, l’asexualité reste encore trop peu représentée ou mal représentée. Cela a des répercussions assez importantes notamment l’invalidation de cette orientation. Entre les “tu es encore jeune ça va venir”, “tu es juste trop timide” ou le fameux “tu n’as pas rencontré la bonne personne c’est tout”… sans parler du passage chez le gynéco qui insiste un peu trop sur l’importance de se protéger dans les rapports et les repas de famille gênants où la question des »amours » – pleine de sous-entendus- est posée à peine le plat arrivé ! Si cela reste innocent et relativement inoffensif, l’invalidation de l’asexualité passe aussi par son assimilation à un trouble psychologique ou hormonal, une réponse à un traumatisme passé ou une frigidité que l’on pourrait “changer”. Ces comportements peuvent être vraiment dangereux et entraîner des violences ainsi qu’un isolement de la personne asexuelle qui se sent alors incomprise et marginalisée. Il est facile de se sentir ostracisé·e lorsque l’on n’a aucune attraction sexuelle et d’avoir envie de se forcer pour entrer dans un moule. L’importance de la diffusion des bonnes informations n’est alors que plus primordiale. Notons que tout le monde peut changer d’avis grâce à l’information. Un article de Libération de 2008 contenait des propos violents invalidant complètement l’asexualité mais le journal sort en 2022 un nouvel article sur le sujet et bien qu’il ne soit disponible qu’aux abonné·es, il a l’air de changer complètement de ton. Comme quoi, il n’est jamais trop tard pour apprendre !
L’information n’est pas uniquement nécessaire pour le regard des autres, elle l’est aussi pour permettre de se connaître soi-même. Un point des plus difficiles est encore de déterminer quel est le genre d’attraction que l’on ressent pour les autres. Si petit à petit l’asexualité fait son nid dans les médias et la pop culture, elle reste invisibilisée dans une société centrée sur la sexualité et l’amour. On est confronté à la sexualité dès notre plus jeune âge ! Que ce soit à la télévision ou dans les discussions de tous les jours, la sexualité est partout et très souvent inhérente aux relations romantiques. Ce sont pourtant des attractions différentes ! Et ce ne sont pas les seules. Il existe divers types d’attractions notamment l’attraction romantique, sexuelle, esthétique et sensuelle. Il peut alors sembler si dur de savoir interpréter ce que l’on éprouve envers les autres. Cette personne serait-elle simplement jolie ? Ou est-ce qu’elle est attirante sexuellement ? Peut-être même qu’elle donne juste envie d’être une amie ! Fun fact, il existe un mot pour désigner les “crush amicaux”, les »squish » !
C’est là qu’intervient alors la magnifique communauté ace ! Quoi de mieux pour apprendre que de discuter avec les autres ? Faire des tests – parfois peu fiables mais informateurs – sur internet ? Et ce sentiment si fort d’appartenir à une communauté, de ne pas être seul·e, d’être enfin compris·e. Mais surtout, j’ai appris que l’orientation est fluide et que si quelqu’un·e se pose une étiquette aujourd’hui, iel n’en sera pas moins légitime de la changer plus tard.