Tu es sûrement une sorcière
Par Madeleine Gerber
Illustration : Iris Carlotti
Publié le 18 janvier 2022
Les sorcières sont revenues à la mode. Pas les laides et effrayantes vieilles femmes tout droit sorties de Blanche-Neige ou du magicien d’Oz. Non, les sorcières jeunes, courageuses et badass qui veulent faire partir le patriarcat en fumée.
‟Tu es sûrement une sorcière”. C’est ce que me répètent les artistes Pomme et Klô Pelgag dans leur sublime chanson Sorcières. À première vue, pas vraiment. Ma lettre d’inscription à Poudlard n’ayant pas fait suite ; le seul balais en ma possession sert à nettoyer les toilettes, les potions magiques se résumeraient à (insérez un alcool) + (insérez un jus de fruit) et en terme de malédiction, je ne sais pas si l’homme qui a volé ma place assise à l’heure de pointe s’est bien fait écraser par le métro. La dernière strophe nous dit « Si tu sais être seule dans la vie, /Si tu suis ton instinct dans la nuit, /Si tu n’as besoin de personne pour te sauver, /Si trouves que rien ne remplace ta liberté/ Tu es sûrement une sorcière ». Si nous partons de cette définition, c’est d’accord ; je suis une sorcière. Sûrement comme toutes les femmes. Mettons de côté le fait de suivre Google Maps plutôt que mon instinct dans les rues la nuit.
Une évolution du mythe ?
La question de la sorcière peut paraître futile, figure mythique classée parmi les licornes, sirènes et autres farfadets. Pourtant la sorcière existe bien dans l’histoire et dans notre culture. Au départ une méchante et vieille femme jalouse, opposée à la jolie et gentille princesse chez Disney, elle est devenue une figure d’empowerment et d’indépendance à l’heure où le féminisme est un argument de vente. La série de 2018 Les Nouvelles Aventures de Sabrina met en avant des jeunes femmes puissantes et ambitieuses dans un monde où la beauté semble être la norme. Et comment passer outre la courageuse et intelligente Hermione Granger sans qui « Harry serait mort au tome I », prône un sweatshirt de la marque Meuf – dont le prix a tempéré mes ardeurs.
Personne n’a jamais reproché sa chevelure à Michel Polnareff, de même que de longs cheveux blancs auraient tout de suite décrédibilisé une microbiologiste proposant de la chloroquine
Tapez « sorcière » dans la barre de recherche Google, vous tomberez en premier sur des images de vieilles peaux vertes et ridées, de longs nez et mentons, de verrues, de cheveux blancs et de dents approximativement réparties. J’oubliais le petit costume de sorcière sexy porté par des mannequins en collant résille, sourire éclatant aux lèvres, seins remontées et maquillage parfait. À vous de choisir ! Ou plutôt, la société décidera pour vous. Aux premiers cheveux blancs et aux premières rides la première option est toute désignée. Mais attention à ne pas faire l’amalgame avec les hommes ! J’ai cherché des tops de « stars qui ont bien vieilli » – c’est ce que j’appelle un travail journalistique de qualité. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que ces messieurs Brad Pitt, Colin Firth, George Clooney et Hugh Laurie, pour ne citer qu’eux, étaient tous sourire avec leurs rides, la barbe et le cheveu grisonnants, tandis que Kate Winslet, Natalie Portman et Scarlett Johansson semblaient figées dans le temps, une peau lisse et parfaite, un maquillage couvrant et des cheveux impeccables, sans un seul cheveu gris, de sorte qu’on leur aurait donné vingt ans de moins.
Libre d’être belle
Les cheveux blancs, gris et longs sont à ce point liés à cette image dégradante de vilaine sorcière, que nous les associons à une certaine étrangeté, à un mode de vie négligé. Personne n’a jamais reproché sa chevelure à Michel Polnareff, de même que de longs cheveux blancs auraient tout de suite décrédibilisé une microbiologiste proposant de la chloroquine. Le confinement a permis à certaines de réaliser l’inutilité de gaspiller temps et argent dans de la teinture pour correspondre aux codes. Une tendance qui n’est peut-être que provisoire ; quelques mois de confinement ne pesant pas lourd face à des décennies de diktats de beauté, appuyés par les images de notre quotidien ; publicités, magazines de beauté, télévision, séries etc.
Chez une femme, prendre de l’âge est vu comme une malédiction. Que de sidération face à la profusion de cosmétiques anti-âge et du public varié qui les utilise ; de ses injonctions à appliquer une crème d’une certaine façon pour éviter de faire tomber le visage ; de cette banalisation du botox parce que les femmes seraient « libres » de poursuivre cet idéal de beauté. Le voilà le tour de force du patriarcat ; nous faire croire que l’épilation, la chirurgie, le maquillage sont des choix de « selflove », une question de « prendre du temps pour soi ». Quelle liberté y a-t-il à se sentir belle en tentant de correspondre à un modèle inaccessible, rendu parfait à coup de Photoshop ?
J’entends encore résonner dans ma tête la voix stridente de Cristina Córdula, qui s’impose juge de l’apparence depuis huit ans dans des émissions aussi bêtes qu’humiliantes, sur fond de faux bons sentiments. « Attention ma chériiiiiiie c’est mémérisant cette tenue ». Mais oui ! Quel horreur … Vieillir, moi ? Jamais ! Surtout gardez en tête les précieux conseils qui figurent dans l’article 3 erreurs qui ajoutent 10 ans à votre âge, sur Amomama.fr ; c’est éclairant. Ici ce sont les reines et pas les sorcières du shopping.
Réappropriation de la sorcière
Quand on parle de sorcière, on pense aussi à Salem, aux chasses, aux bûchers. Je vous conseille de découvrir ce chef d’œuvre qu’est le film Les sorcières d’Akelarre qui montre cette sombre période avec brio. Les sorcières étaient les boucs émissaires de l’époque ; responsables de tous les malheurs d’un village, trop indépendantes, trop savantes. Bref ; l’ennemi à abattre. Tant d’innocentes assassinées sans preuves, à cause du témoignage d’un ex jaloux ou d’un voisin envieux. Dans le film, six jeunes filles sont accusées à tort et sachant leur cause perdue, elles décident d’incarner ce mythe de la sorcière en délivrant une belle performance de sabbat sous les yeux ébahis d’un inquisiteur sexuellement frustré. De même, aujourd’hui les femmes se réapproprient les figures des sorcières en revendiquant leur force, leur intelligence et leur indépendance.
Starhawk est une militante écoféministe américaine qui incarne ce mouvement et se définit comme une sorcière. Pendant la deuxième vague féministe (années 1960) est créée La Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell (W.I.T.C.H) composée de différents groupes féministes aux États-Unis. Le nom du mouvement nous fait sourire et montre cette volonté de mettre en avant une féminité courageuse, libérée qui semble en effrayer plus d’un. Cela sonne comme un avertissement. Vous nous avez chassées, torturées, assassinées car vous aviez peur. Maintenant vous aurez raison de nous craindre. Contrairement à nos ancêtres nous faisons entendre notre voix et nous avons des allié·es. Chaque nouvelle génération entretient ce feu de la liberté avec sa rage, sa force et son espoir. Je terminerais avec les mots de Mona Chollet, dont le travail m’a fait prendre conscience que la lecture d’un essai peut être passionnante. Vivement l’avènement d’un monde « où la libre exultation de nos corps et de nos esprits ne serait plus assimilée à un sabbat infernal ».
À voir : Les Sorcières d’Akelarre, Pablo Agüero (2021)
À lire : Sorcières – La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet (2018)
À écouter : sorcières, Pomme et Klô Pelgag (2020)
À éviter :
https://www.ohmymag.com/beaute/le-top-des-stars-qui-ont-bien-vieilli_art84400.html https://amomama.fr/238207-3-erreurs-qui-ajoutent-10-ans-dge-cristi.html