Une réelle égalité des chances ?

Par Gwenn Le Cam
Illustration: Nathéane Le Meur, @nxthexne
(Instagram)
Publié le 2 décembre 2021

Mêlant éducation et enjeux de société, la question de la méritocratie pose un réel débat philosophique, politique et sociologique, permettant de refléter l’image de notre société. Cette question devrait alors être au cœur des programmes des candidat·es à la présidence de la République.

Valeur de droite, la méritocratie est au cœur des débats et joue une place centrale dans nos sociétés occidentales. Entre Bill Gates et Mark Zuckerberg, la notion de mérite est omniprésente autour de nous. Partons d’un simple constat pour comprendre la méritocratie. 11 % des étudiant·es de l’enseignement supérieur ont des parents ouvrier·ères alors qu’iels représentent 30 % des jeunes âgé·es de 18 à 23 ans, selon l’Observatoire des inégalités. Au sein des classes préparatoires, cela représente 6 % des jeunes. Au sein de l’ENA, 70 % des élèves ont des parents exerçant une profession supérieure, tandis qu’il y a moins de 6 % d’enfants d’ouvrier·ères. Ces chiffres posent alors plusieurs interrogations remettant en cause le mérite des classes inférieures. Les classes inférieures seraient-elles moins méritantes ?

Définition d’une notion complexe

La méritocratie désigne l’idée selon laquelle nous pouvons atteindre une position ou connaître une promotion sociale, de l’unique fait de nos talents personnels et de notre travail. La sélection ne prendrait pas en compte notre genre, notre origine ethnique… Le mérite est souvent basé sur notre réussite scolaire. Pour les personnes qui défendent la méritocratie, notre réussite est fondée sur notre propre travail personnel. Ainsi, si une personne arrive à tel poste, c’est parce qu’elle a travaillé plus que les autres pour y arriver. Nous pouvons donc bien nous demander si Alexandre Arnault, fils de l’homme d’affaires Bernard Arnault, est l’actuel vice-président de Tiffany & Co car il avait le plus de mérite, ou bien parce que son père avait acheté la compagnie. La méritocratie est plutôt une valeur politique de droite ; nous pouvons le voir avec le syndicat étudiant de droite UNI qui revendique l’idée du mérite.

Parcoursup : un algorithme discriminant

Mis en place en 2018, Parcoursup est plus qu’une simple plateforme permettant l’accès aux études supérieures, il s’agit d’un véritable algorithme discriminant. Tout d’abord, il faut savoir que le fonctionnement de Parcoursup est complètement méconnu par le grand public. Personne ne sait vraiment comment sont attribués les différents vœux des lycéen·nes, causant alors de l’incompréhension au moment des résultats. Les formations non sélectives présentent un critère géographique. Cela signifie que chaque formation peut accepter un nombre maximum de personnes originaires d’une académie différente. Par exemple, la licence de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a un critère géographique de 5 %. Ainsi, la formation compte seulement 5 % des étudiant·e·s originaires d’académies non franciliennes. Cela amène un réel débat. Les universités ayant la meilleure réputation sont en région parisienne, mais, avec ce critère géographique, les étudiant·es venant d’une autre académie n’ont pas accès à ces établissements. D’ailleurs, ce critère diffère pour chaque formation, pour chaque établissement et pour chaque académie. Si seul le mérite comptait, il ne devrait pas y avoir de critère géographique. A cause du critère géographique, un·e étudiant·e peut se voir refuser une formation car iel provient d’une académie différente alors qu’un·e autre étudiant·e venant de la bonne académie, sera accepté·e dans la formation, même si son dossier est moins bon. Ainsi, certaines personnes qui souhaitent étudier dans des établissements renommés se retrouvent contraintes à devoir suivre des formations sélectives, comme c’est le cas avec les double licences. Or, cela peut augmenter la charge de travail ou la pression.

Cependant, pour se donner bonne conscience et faire face aux différentes critiques liées au manque de mixité, le gouvernement a instauré un critère d’élèves boursiers dans les formations. Si le critère du mérite est celui perçu comme étant le plus pertinent pour la sélection, il ne faudrait alors pas mettre en place cette mesure qui discrimine les lycéen·nes ne touchant pas les bourses. Certainement suite à un éclair de lucidité, l’État a remarqué que dans les formations élitistes, il y avait un manque de mixité sociale. Ce manque de mixité sociale nous ramène alors encore une fois à notre problème : les classes sociales inférieures sont-elles moins méritantes ? Le critère d’élève boursier·ère montre bien que la méritocratie a des failles et donc qu’il serait absurde de penser que seul le mérite compte. Nous voyons bien qu’avec Parcoursup, le mérite n’est pas le seul élément pris en compte et qu’une personne peut avoir le meilleur dossier possible, mais quand même se voir refuser une formation. Il faut faire attention à ne pas tomber dans une sorte de “haine” envers les lycéen·nes touchant les bourses et qui sont donc concerné·es par le critère des élèves boursier·ères. Même s’il s’agit d’un cas de discrimination positive, il faut garder en tête que ces élèves sont également victimes du système. En effet, nous pouvons voir le critère du nombre d’élèves boursier·ères comme une sorte de pardon de l’État. Il sait qu’à cause du système éducatif basé sur une forme d’élitisme culturel, il participe au rejet de ces élèves qui sont alors destiné·es à suivre le chemin de leurs parents.

Le milieu socio-professionnel VS la réussite scolaire

« Nombre de critères officiels servent en effet de masque à des critères cachés, le fait d’exiger un diplôme déterminé pouvant être une manière d’exiger en fait une origine sociale déterminée ». Tels sont les mots de Pierre Bourdieu, sociologue français traitant du déterminisme social. L’Institut Sapiens définit le déterminisme social comme « l’idée selon laquelle la position sociale d’un individu à l’âge adulte serait en partie déterminée à sa naissance par l’origine socio-économique de ses parents. Ainsi, les individus ne seraient pas réellement maîtres de leur existence mais emprunteraient inconsciemment le chemin qui mène à la position à laquelle leur origine socio-économique les prédestine ». Cette définition s’oppose alors à la vision des défenseurs de la méritocratie qui disent que « quand on veut, on peut ». D’après l’OCDE, le milieu socio-économique a un impact d’une hauteur de 21 % sur les résultats des élèves en mathématiques. D’ailleurs, l’UNICEF dans un rapport de 2020 traitant de la situation des enfants dans les pays riches, et grâce aux données de PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), explique que le nombre de livres à la maison impacte la réussite scolaire des enfants. Mais bien sûr, certaines personnes peuvent dire qu’il suffit alors de travailler plus afin de pallier cette différence. En attendant, il s’agit encore une fois d’une preuve permettant de souligner le fait que la réussite scolaire est influencée par divers facteurs.

Les individus emprunteraient inconsciemment le chemin qui mène à la position à laquelle leur origine socio-économique les prédestine

Pierre Bourdieu

 L’un des arguments en faveur de la méritocratie est le fait qu’en France, les frais de scolarité en études supérieurs sont très bas par rapport à d’autres pays et que, pour certaines personnes, ces frais sont gratuits. En revanche, ces personnes oublient d’expliquer que beaucoup d’étudiant·es ne vivent pas avec leurs parents et donc, sont obligé·es de devoir payer un loyer, des courses etc. Si nous prenons l’exemple de l’Université Paris 1, où j’étudie, il y a beaucoup d’étudiant·es vivant en banlieue et donc, iels perdent du temps pour travailler à cause du trajet. Certaines personnes doivent aussi avoir recours aux prêts étudiants augmentant alors la pression pour ces personnes. Nous remarquons bien que nous ne partons pas tous·tes du même point de départ.

De plus, David Guilbaud, qui est originaire de la classe moyenne et actuellement haut fonctionnaire, à la suite de sa sortie de l’ENA, explique que les codes entre les classes sociales influencent la réussite des élèves. En effet, les codes culturels ne sont pas les mêmes. Par exemple, lors des oraux de l’ENA, les codes issus des classes dominantes sont requis. Le manque de capital culturel est un frein à la réussite scolaire. En campagne et en banlieue, les seuls lieux de culture à proximité sont souvent les bibliothèques municipales, alors qu’en ville, on retrouve des musées, des monuments historiques, des théâtres et cinémas… Finalement, les personnes pouvant accéder aux hautes formations restent en majorité des personnes issues des classes supérieures, ce qui perpétue le système basé sur la réussite scolaire et la méritocratie.

L’espoir comme moyen de contrôle

En 2014, dans son ouvrage Les transclasses ou la non-reproduction, la philosophe et professeure à Paris 1, Chantal Jaquet, traite du concept des transclasses. Les transclasses sont les personnes qui sont passées d’un milieu social à un autre. Elle écrit notamment : « Les trajectoires des transclasses obéissent à un faisceau de causes que j’ai appelé complexion. Parmi ces configurations figurent des rencontres, des situations socio-économiques, des modèles alternatifs. Tout cela montre bien que le parcours n’est pas le fruit d’un mérite intrinsèque. Un enfant en naissant n’a rien et n’est rien. Il devient ce qu’il est par l’éducation, par ce dont il hérite par sa famille ». Le mérite désigne donc une construction politique permettant de conforter l’ordre social. En effet, cette question de mérite permet une chose : contrôler la population. Ce contrôle garantit l’ordre social et politique établi. L’espoir serait le fondement du contrôle selon certaines personnes. Si la population pense qu’il est possible de changer de classe alors elle serait plus susceptible de se conformer aux normes établies. L’objectif est d’inciter les personnes à continuer à croire qu’elles peuvent s’élever socialement pour permettre la diminution des révoltes. Étant donné que la méritocratie crée des classes, il s’agit d’un moyen de diviser pour mieux régner.

Le parcours n’est pas le fruit d’un mérite intrinsèque

Chantal Jaquet

Ici, l’espoir est fondamental pour légitimer le pouvoir et l’ordre établi. L’exemple des transclasses évoqué par Chantal Jaquet est l’illustration parfaite de ce contrôle. En voyant une personne originaire d’une classe inférieure arrivée à s’élever socialement, nous nous disons que cela est également possible pour nous. En réalité, l’OCDE souligne qu’en France, il faut six générations pour qu’un individu puisse sortir de la pauvreté, soit 180 ans. Chacun·e croit au système qui pourrait lui permettre de s’élever socialement et donc, nous n’avons pas d’intérêt à le remettre en cause. Ce manque de remise en question permet ainsi à l’État de légitimer son pouvoir, ou du moins, il arrive à faire perdurer le système. Grâce aux différentes sélections comme à l’ENA, l’État parvient à obtenir des personnes issues de ce système de “méritocratie” qui, puisqu’elles ont « réussi », cherchent à le protéger et donc à sauvegarder des sélections élitistes participant à la reproduction sociale. 

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