Restriction budgétaire : une menace pour la culture ?

Par Léa Amara
Illustration ©Claire Boyer
Publié le 11 avril 2025
Le jeudi 6 février 2025, le Sénat a approuvé le projet de loi de finances de 2025, suite au recours de l’article 49.3 à l’Assemblée nationale la veille. Cette décision amène une baisse drastique du budget de l’université. Outre les conditions de travail qui s’annoncent dégradées, les coupes et leurs conséquences semblent signer les prémisses d’une crise de la culture.
Le budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche est donc fixé à 26,7 milliards d’euros. En tenant compte des contributions aux pensions de l’État, les crédits de paiement totaliseront 30,9 milliards d’euros pour 2025, comparativement à 31,8 milliards d’euros en 2024 et ce malgré une inflation moyenne de 2 %.
Le secours des universités
Le 22 janvier, France Universités avait exprimé sur son site internet son inquiétude face à avenir incertain. Cela est dû à un manque de compensation des charges imposées par l’État, notamment en ce qui concerne le CAS Pensions et les mesures de revalorisation salariale. L’organisation alertait sur des conséquences potentiellement graves pour l’éducation, comme la fermeture de diplômes ou la réduction des capacités d’accueil, mais aussi la réduction d’offres et de services, le gel et le report des investissements… En effet, le coût de ces charges est d’environ de 500 millions d’euros.
Cependant, lors de la commission mixte paritaire des 30 et 31 janvier 2025, France Universités a bénéficié d’une compensation partielle du CAS Pensions de 100 millions d’euros. De plus, les propositions des modifications budgétaires, proposées par le Gouvernement, ont été rejetées ; elles auraient en effet entraîné des coupes dans le programme de formation supérieure et de la vie étudiante.
France Universités a relevé l’augmentation du programme 150 de 110 millions d’euros pour aider à couvrir certaines dépenses des universités. Elle a également salué le rétablissement partiel de l’amendement sur le programme 172, visant à améliorer le financement pour la recherche, bien que la loi de programmation pour la recherche prévoyait une augmentation significative de crédits.
Néanmoins, le CNRS sera sollicité pour contribuer à hauteur de 100 millions d’euros, en raison de sa trésorerie. Le ministère assure que cette contribution n’affectera pas les ambitions et le programme du CNRS, et que les discussions budgétaires en cours n’impacteront ni les budgets alloués pour 2025 ni la poursuite des programmes de recherches.
Une cure austéritaire
Selon le SNEP-FSU, 60 des 75 universités du pays risquent de finir l’année en déficit budgétaire. Ainsi, plusieurs des conseils d’administration des facultés ont dû voter la cure austéritaire, comme l’Université du Mirail à Toulouse qui a voté un budget réduisant considérablement les ressources pour les étudiant·es et le personnel. L’Université de Paris 8, quant à elle, affiche un déficit avec 3,2 millions d’euros en 2022, 4,2 millions d’euros en 2023 et une prévision de 15,6 millions d’euros pour 2024. Sur le long terme, il s’agit de renforcer la répartition des enfants d’ouvrier·ères, des quartiers populaires ou étrangers entre les universités d’élite et les universités de seconde zone.
Suppression des licences
On observe les conséquences de l’application de la cure austéritaire lorsque plusieurs licences sont menacées d’être supprimées. C’est par exemple le cas des licences d’art et d’art du spectacle. En effet, plusieurs étudiant·es craignaient que l’État procède à la restriction de fonds collectés en vue de leur réaffectation à d’autres fins. Bien que ce procédé ne soit pas encore appliqué, beaucoup dénoncent l’injustice de cette décision. En effet, cette suppression des licences nous montre avant tout une discrimination au sein des études supérieures. Ainsi, le droit, la médecine et l’ingénierie sont favorisées d’un point de vue utilitariste lors d’une situation de crise ; l’État préfère effectivement soutenir financièrement ces licences lorsqu’elles sont menacées par des contraintes budgétaires.
Néanmoins, plusieurs ancien·nes étudiant·es déplorent que ces licences n’aient pas de débouchés. Les étudiant·es actuel·les, eux·lles, craignent que les fonds collectés soient réaffectés dans le secteur privé (écoles d’arts). Cette décision aurait des répercussions significatives sur les étudiant·es désirant poursuivre des études artistiques, mais ces dernier·ères n’auraient pas les ressources financières nécessaires pour intégrer les grandes écoles.
Le Pass culture
À partir de du samedi 1er mars 2025, le montant du Pass Culture pour les jeunes de 18 ans a été réduit de 300 à 150 euros, tandis que celui des élèves de 17 ans a été augmenté de 30 à 50 euros. Les jeunes de moins de 17 ans ne bénéficieront plus de cette aide, qui a été mise en place en 2019 et généralisée en 2021 pour favoriser l’accès à la culture. Cette décision s’inscrit dans un contexte de réduction budgétaire du Pass Culture, qui passe de 210,5 millions à 170,5 millions d’euros, et intervient après le gel de la part collective destinée aux sorties scolaires, entraînant une économie de 25 millions d’euros.
Cette diminution du soutien financier pour l’accès à la culture risque d’accentuer les inégalités entre les jeunes favorisé·es et les jeunes issu·es de classes défavorisées et moyennes, qui ont souvent moins de ressources pour participer à des activités culturelles. L’accès à la culture, essentiel pour le développement personnel et l’épanouissement, devient ainsi plus difficile pour ces jeunes, qui pourraient donc se retrouver exclu·es de certaines expériences formatrices. En réduisant le Pass Culture, l’État ne fait qu’aggraver les disparités déjà présentes, privant ainsi une partie de la jeunesse de la possibilité d’enrichir ses horizons culturels et sociaux.
La crise de la culture
La crise de la culture, telle que décrite par Hannah Arendt, met en lumière les dangers que pose l’érosion des valeurs culturelles face aux impératifs économiques et aux décisions politiques. Arendt soutient que la culture constitue un socle essentiel à la vie humaine, favorisant le dialogue, la réflexion critique et l’engagement civique. Dans ce contexte, la menace de suppression des licences d’art et d’art du spectacle, en raison d’un déficit budgétaire, soulève des inquiétudes quant à la pérennité de la création artistique et de la diversité culturelle.
En effet, ces licences jouent un rôle crucial dans la régulation et le soutien des activités artistiques, garantissant un accès à la culture pour tous·tes et permettant aux artistes de s’exprimer librement. Leur éventuelle abrogation, motivée par des considérations économiques, pourrait, non seulement compromettre la viabilité des projets artistiques, mais également affaiblir le tissu culturel d’une société. Cela réduirait ainsi les opportunités de dialogue et de réflexion critique, éléments que Arendt juge fondamentaux.
De ce fait, la suppression de ces licences, dans un contexte de déficit budgétaire, pourrait être perçue comme une manifestation de la crise de la culture identifiée par Arendt. Il y a donc un véritable besoin immédiat de rationalité économique qui prend le pas sur les valeurs culturelles et artistiques, menaçant ainsi la richesse et la diversité de l’expression humaine. Ce dilemme met alors en exergue la nécessité d’une réflexion approfondie sur les priorités d’une société et sur la manière dont elle valorise et soutient la culture dans son ensemble.