Réfugié·es, une solidarité sélective
Par Margot Drouillet
Publié le 14 avril 2022
L’éclatement de la crise en Ukraine a provoqué un élan de solidarité en Europe, les pays de l’Union européenne ouvrant leurs portes aux réfugié·es ukrainien·nes, c’est-à-dire aux personnes ayant dû fuir leur pays. Cependant, la crise ukrainienne a également révélé l’existence d’une forte inégalité de traitement entre les différent·es réfugié·es, que ce soit au sein même des réfugié·es venant d’Ukraine ou entre celleux issu·es de différents pays.
En 2021, il y a avait dans le monde 26 millions de réfugié·es dont 4 millions d’Ukrainien·nes [1] du fait de la guerre en Ukraine. Les réfugié·es ukrainien·nes sont actuellement accueilli·es dans la plupart des pays européens, l’Union européenne ayant activé pour la première fois son mécanisme de « protection temporaire ».
Une inégalité de traitement entre nationalités
Une réelle solidarité se met en place, ce qui n’est pas le cas pour d’autres réfugié·es qui encore en 2021 se sont vus expulsé·es au péril de leur vie des pays où iels avaient trouvé refuge. Ce sont 48 pays sur 154 étudiés par Amnesty International qui ont en 2021 refoulés des personnes à leurs frontières ou les ont renvoyés du lieu qu’iels fuyaient. [1] Il semble qu’il y ait un traitement différent des réfugié·es selon leur nationalité et les préjugés que les personnes peuvent avoir. La France ouvre ses portes aux Ukrainien·nes alors même que plus tôt en 2021 quand des milliers d’Afghan·es tentaient de fuir leur pays face à la prise de pouvoir des Talibans, Emmanuel Macron appelait à la « protection contre des flux migratoires irréguliers » dans un discours à Kaboul. Une différence est faite entre les différent·es réfugié·es, certain·es allant jusqu’à clamer cette soi-disant différence entre les réfugié·es ukrainien·nes et les réfugié·es venant du Moyen-Orient. Ainsi, un journaliste a déclaré sur BFMTV le jeudi 24 février, « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime (…). On parle d’Européens dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie ». Ce n’est pas la seule déclaration de ce type, le président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale sur Europe 1 a parlé d’une « immigration de grande qualité, dont on pourra tirer profit ». Les réfugié·es ukrainiens sont clairement légitimé·es face aux autres réfugié·es à qui on dénie illégalement le droit d’asile, qui est pourtant un droit universel. La présidente de Amnesty International, Cécile Coudriou déclare : « Tant de conflits déchirent le monde sans susciter d’émoi ni même d’intérêt ! […] Nous avons vu se construire une Europe forteresse, qui préfère protéger les frontières que sauver des vies humaines, contribuant ainsi à transformer la Méditerranée en cimetière ». En effet, 1508 personnes [2] ont trouvé la mort en Méditerranée en 2021 en essayant de rejoindre l’Europe. De plus, s’iels ne meurent pas en mer, iels sont victimes par milliers de disparition forcée après avoir été intercepté·es en Méditerranée par les garde-côtes libyen·es qui sont financièrement soutenus par l’Union européenne. L’aide apporté aux Ukrainien·nes est une aide nécessaire et loin d’être parfaite ; il est néanmoins important de préciser que la solidarité qu’engendre la guerre en Ukraine devrait être entraînée par tous les conflits poussant des personnes à partir de leur domicile. Il n’y a pas de bon·ne ou de mauvais·e réfugié·e, il y a seulement des préjugés.
Ce n’est pas seulement la solidarité face aux réfugié·es ukrainien·nes qui semble être inégale ; la couverture médiatique non plus n’est pas identique. Le fait qu’on traite plus de ce conflit que d’autres en Europe peut s’expliquer par la proximité géographique, mais la manière dont on le traite ne peut être expliqué que par des préjugés, qu’ils soient explicites ou implicites notamment dans le langage utilisé. On aura tendance à parler de réfugié·es pour parler des Ukrainien·nes quittant leur pays mais de crise migratoire concernant les pays du Moyen-Orient, ce qui influence l’opinion publique dans sa volonté d’accueillir ou non les réfugié·es. Mahdis Keshavarz, membre de la direction de l’association des journalistes arabes et moyen-orientaux ayant diffusé un communiqué le 27 février condamnant une couverture « orientaliste, raciste » des conflits dit notamment qu’« il ne s’agit pas de détourner l’attention du drame en Ukraine. C’est un moment où nous essayons de relever la barre pour les journalistes et de leur montrer que nous avons des préjugés explicites et implicites, lorsqu’il s’agit de populations minoritaires, que nous voyons se manifester dans la couverture médiatique ».
Une inégalité entre réfugié·es Ukrainien·nes
Tous les Ukrainien·nes ou personnes présentes sur le territoire ukrainien pour y étudier ou y travailler par exemple au moment du début du conflit armé n’ont pas reçu le même traitement en ce qui concerne le fait d’évacuer le territoire. Les personnes racisées, notamment noires, font en effet face à des discriminations et à des violences aux frontières. Il est en effet affirmé dans plusieurs témoignages que certaines personnes sont traitées différemment du fait de leur couleur de peau et qu’elles subissent par ailleurs des violences. Samuel, un étudiant nigérian de 25 ans témoigne par exemple « J’ai fait l’expérience de la discrimination à deux reprises. D’abord, à la gare, ils faisaient descendre les femmes africaines et asiatiques du train… [à la frontière], ils ont séparé les Blancs des Noirs » [3]. Bilal, un étudiant Pakistanais de 24 ans témoigne lui « Mon ami qui est noir a été confronté au racisme […] Il y a une queue, si vous être Ukrainien c’est facile de traverser, sinon cela prend du temps. Les garde-frontières ont utilisé une matraque contre mon ami, ils lui ont fait mal. ». [3]
Il ne faut pas non plus oublier que les femmes sont aussi sujettes aux violences en quittant leur pays car elles sont dans une situation de vulnérabilité face aux violences sexuelles et sexistes. Il a par exemple été signalé à la police de Wroclaw en Pologne qu’un Polonais de 49 ans aurait agressé sexuellement une Ukrainienne qu’il avait proposé d’accueillir dans son appartement [3].
[1] https://www.amnesty.fr/actualites/rapport-annuel-2021-refugies-migrants-le-risque-de-mourir-est-il-devenu-acceptable
[2] https://www.infomigrants.net/fr/post/37351/mediterranee–163-migrants-meurent-au-large-des-cotes-libyennes#:~:text=Plus%20de%201%20500%20morts,la%20plus%20meurtri%C3%A8re%20au%20monde.
[3] https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/pologne-les-personnes-fuyant-ukraine-en-danger