Lin Zhao, combattante de la liberté
Par Yiling Luo
Illustration : Lorie Flaubert, @lorieandart (Instagram)
Publié le 11 mars 2022
En 2008, Anne Kerlan, agrégée de lettres classiques à l’ENS (École normale supérieure), docteur en études chinoises et historienne de la Chine et du cinéma chinois, découvre l’histoire de Lin Zhao lors de la projection du film de Hu Jie et Aie Xialoling, dans une cave du XIIIe arrondissement de Paris.
Après cette heureuse découverte, Anne Kerlan publie, en 2018, le récit historique et biographique Lin Zhao, combattante de la liberté, aux éditions Fayard. Le parcours de la jeune Peng Lingzhao, née en 1931, originaire de Suzhou, près de de Shanghai, reflète celui d’une jeunesse déchue dans une Chine en mutation, permettant de comprendre ses réalités contemporaines.
Une jeune femme portée par ses idéaux
« La Liberté n’a pas de prix, la vie connaît sa limite. Je préfère être un jade brisé et me sacrifier pour la Chine ». Ces vers, issus d’un poème de Lin Zhao, sont gravés sur sa tombe, entourée de plusieurs caméras de vidéo-surveillance.
Obscurité ! J’appelle l’obscurité, qu’elle vienne sur cette époque.
Peng Linzhao, « Larmes du crépuscule »
Lin Zhao, de son vrai nom, Peng Linzhao, est le fruit de l’union de Peng Guoyan, un confucéen, galeriste de peinture et de calligraphie, qui fit ses études en Angleterre, et de Xu Xianmin, une révolutionnaire communiste et féministe. Toustes deux, à leur manière, souhaitaient redresser le pays et le sortir de son état de semi-colonie, dans le contexte d’une Chine humiliée par des défaites militaires lors des guerres contre les Occidentaux au XIXème siècle, et paralysée par l’incapacité des empereurs mandchous à moderniser les institutions. L’adolescence de la jeune fille est tourmentée par les conflits entre les nationalistes du Guomindang et les communistes de Mao Zedong. Elle trouve refuge dans l’écriture et, à seulement quatorze ans, elle rédige « Larmes du crépuscule » : « Obscurité ! J’appelle l’obscurité, qu’elle vienne sur cette époque ».
Sa plume, ses larmes et sa foi guideront la jeune femme vers des chemins divers. L’avènement des communistes, en 1949, provoque une immense vague d’espoir pour les jeunes Chinois·es, qui comme elle, désirent « changer la société ». Elle s’engage dans la révolution maoïste, en laquelle elle croit férocement, et participe à la réforme agraire des années 1949-50.
Les têtes pensantes prises pour cible
Dès 1956, le monde communiste est déstabilisé par le rapport secret de Khrouchtchev critiquant la politique de Staline. La Pologne et la Hongrie (membres de l’URSS) voient émerger des mouvements démocratiques, dirigés par des intellectuels, conduisant Mao Zedong à s’en méfier, dans son propre pays. Il lance alors le mouvement des Cent fleurs, une campagne de libre critique, afin de faire la démonstration que le marxisme-léninisme ne peut être altéré par la critique, qu’il prône comme une vérité scientifique. Cette campagne prend une ampleur inattendue, toutes les classes sociales critiquent les insuffisantes actions du Parti communiste à améliorer leurs conditions de vie. Bientôt, le régime organise la « rectification du style de travail », et, au même moment un discours de Mao est édité, qui accuse les « fleurs vénéneuses » d’empoisonner l’épanouissement idéologique du communisme.
Désormais, ceux·lles qui osent critiquer le Parti sont pris pour cible. Une large campagne d’épuration est organisée pour purger la Chine des « contre-révolutionnaires ». Lin Zhao est l’une d’entre eux·lles. Elle qui avait mis tant d’espoirs en Mao, qu’elle considérait comme son père spirituel, se retrouve désormais accusée d’être une « droitiste », pour avoir critiqué les réformes et les conséquences désastreuses que la politique du Grand Timonier laissait déjà entrevoir. La ville d’origine de Lin Zhao, Suzhou, jouissait autrefois d’une grande prospérité économique. Les réformes ont achevé sa décadence, la famine s’installe, les cadavres s’accumulent.
L’Histoire m’innocentera
Lin Zhao
Pour avoir critiqué les actions du Parti dans ses écrits, Lin Zhao est emprisonnée pour vingt ans en 1965. Durant ces années, alors qu’elle entreprend plusieurs grèves de la faim, et malgré la torture, elle écrit, dans sa cellule, ses pensées avec son propre sang et des épingles à cheveux, pour survire face à l’endoctrinement auquel on la contraint. Elle meurt à l’âge de 36 ans en 1968, arbitrairement tuée d’une balle, que sa mère est en plus contrainte de rembourser.
« L’Histoire m’innocentera » fut l’une des phrases recueillies parmi ses nombreux écrits. Elle souligne le courage et le désir inconditionnel de liberté de Lin Zhao. L’ouvrage d’Anne Kerlan permet de restituer l’histoire de cette éternelle « combattante de la liberté ».