Lettre à ma sœur
Par Élise Guérin
Publié le 28 juillet 2022
À toi, ma sœur,
Je t’écris aujourd’hui, pour que tu saches les mots que je n’ai pu te dire hier. Ces mots qui chantent le printemps, l’amour et les rires. Ces mots qui t’apportent une lueur de soleil dans le ventre. Ceux qui mettent de la couleur dans ton paysage. Mais tu ne m’as pas laissé le temps. Alors quand tu liras cette lettre, tu auras sans doute depuis lu mille livres, pleuré mille larmes, dansé mille pas. Mais surtout tu auras vécu. Et ça n’a pas de prix.
Je pourrais te mentir, te dire que la vie est belle. Mais tu ne me croirais pas. Et tu aurais raison, parce que la vie n’est pas belle. La vie c’est un tas de merde sur lequel on fait pousser des magnolias. Ça prend du temps, et on ne voit pas toujours la graine germer. Mais elle finit toujours par éclore, plus encore quand on a un cœur pur comme le tien. Chéris cette graine. Ne la noie pas dans tes tourments. Ne l’arrose pas trop de larmes. Gardes-en pour plus tard. Ouvre ton cœur, laisse entrer la lumière. Laisse entrer toutes les lumières. Tu sais si bien la refléter autour de toi.
Alors c’est vrai qu’en ce moment tu traverses la vie, embrumée par tes pensées. Que ce brouillard pèse sur tes épaules, qu’il t’étouffe. Il irrite ta gorge, tes poumons. Tu suffoques. Et moi, je te regarde, impuissante. Je vois tes pas se ralentir, ton sourire s’épuiser. Je hurle les soirs dans mon lit. Je crie au soleil de te porter. Mais le brouillard s’épaissit encore. Petit cœur, ne t’inquiète pas, il finit toujours par s’évaporer. J’essaie de te faire rire. Je te dis que ça va aller. Tu ne me crois pas. La maladie ferme doucement tes yeux et t’endort. Alors quand elle te donne du répit, laisse entrer la lumière. Garde la bien au chaud et ne pose pas de question. Laisse-toi porter. Ça va aller. Je te le promets.
Et quand tu seras sortie, on partira. On ira sur les routes du Cantal, sur les plages de Camargue. On boira des bières en terrasse en regardant passer les garçons. On dansera sous la pluie du printemps. Tu verras, même si la vie n’est pas belle, on la colorera à notre image : bleu, fuchsia et jaune. Et dans tes yeux, le reflet des fleurs de magnolia.