Le consentement : du livre au long-métrage, une continuité nécessaire
Par Jade Hanesse
Photo DR
Publié le 7 novembre 2023
Trois ans après la sortie du livre Le Consentement de Vanessa Springora, récit autobiographique, dans lequel elle décrit « l’histoire d’amour » qu’elle a partagée avec l’écrivain Gabriel Matzneff, alors qu’elle n’avait que quatorze ans et lui plus de cinquante, Vanessa Filho produit son adaptation cinématographique. Elle y adapte le récit de Springora dans l’optique de le restituer presque de manière tangible, afin de rendre, une fois encore, justice à l’histoire de l’éditrice.
Suite à un repas littéraire auquel sa mère et elle sont conviées, la jeune Vanessa commence à recevoir des lettres d’amour de la part de l’écrivain célèbre, semblant, s’intéresser à elle, avoir confiance en ses capacités littéraires et surtout, la considérant comme une adulte. Du haut de ses quatorze ans, Vanessa commence à développer ce qu’elle pense être des sentiments amoureux pour cet homme qui, on le verra plus tard, la manipule comme il manipule et manipulait d’autres filles. Au fur et à mesure du film, suivant la chronologie du livre et donc la chronologie des événements passés, le·a spectateur·ice est amené·e à voir la création d’une emprise de la part du quinquagénaire sur sa jeune proie. Emprise qui mettra Vanessa dans un état d’extrême mal-être, ne vivant que pour lui, étant prête à tout et se laissant entièrement à son amant.
Celle-ci ne s’arrête malheureusement pas avec leur relation puisqu’il continue à la contacter, d’abord chez sa mère, puis par courrier et enfin par mail, certainement pour avoir la satisfaction d’avoir conservé un ascendant sur elle. Cette jeune fille a, pour lui, été une aventure spéciale dans la mesure où il a écrit deux livres sur le temps passé ensemble : plus de deux ans de relation. Dedans elle était dépeinte tantôt sulfureuse tantôt hystérique, une folle qu’il ne parvenait pas à calmer et que leur rupture a totalement détruite. Effectivement, suite à leur rupture, Vanessa était détruite, ne se considérant presque plus comme humaine, bien plus comme objet servant au bonheur des hommes.
Toxicité et impunité
Le film nous permet, par l’histoire de Vanessa, d’avoir une réelle vision d’une relation toxique, à mon sens, moins ressentie dans l’ouvrage papier. Et pour cause, Jean-Paul Rouve, jouant le rôle de Gabriel Matzneff, confie sur le plateau de C à vous que même après avoir lu les livres, essayé de comprendre le personnage qu’il a joué, n’est pas parvenu à comprendre son fonctionnement, à trouver une once de bienveillance et le qualifie alors de « monstre ». À l’époque, l’écrivain revendiquait haut et fort sa pédo-criminalité qu’il utilisait comme source d’inspiration dans ses livres. Pourtant il était adulé par le cercle littéraire français et, l’époque faisant, personne ne s’inquiétait de le voir avec une jeune fille.
Matzneff partage ses propos à la télévision utilisant comme raison que les jeunes filles n’ont pas encore été fêlées par la vie, pas comme ces femmes qui ont mal été traitées par les hommes. Peut-être sont-elles en réalité trop solides pour succomber à sa manipulation ? La première personne qui osera prendre la parole à son encontre est Denise Bombardier, une écrivaine québécoise, sur le plateau de l’émission Apostrophe. Cela ne changera malheureusement rien à la vie de l’écrivain ni à la manière dont les autres auteur·ices ou lecteur·ices le perçoivent.
Nouvelle perception sur grand écran
J’ai eu la chance de découvrir ce film à l’occasion du festival du film féministe, le 14 octobre, en présence de la réalisatrice, Vanessa Springora ainsi que l’actrice principale. Il a reçu une standing ovation de la part du public et pour cause, si le livre énerve, le film retourne. Durant la séance, il était possible d’entendre des murmures, des souffles, des rires mais aussi des signes de dégoût, notamment accentués par les scènes de sexualité entre la jeune fille et le quinquagénaire. Le livre ne laisse de côté aucun détail et pourtant, le cerveau humain n’est peut-être pas capable d’imaginer de telles scènes. En outre, le livre semble porter plus particulièrement sur les émotions que ressent la jeune fille, on a alors le récit de ses yeux.
Ainsi, la posture extérieure d’un spectateur de cinéma permet ici de retirer ce masque de l’imagination du mal personnifié. Ces scènes ont d’ailleurs beaucoup fait parler car elles sont démonstratives, ne laissant de côté aucun détail, aucun bruit, aucune émotion. Selon Kim Higelin, jouant la jeune Vanessa Springora, l’émotion était le principal trait de ces scènes. Lorsqu’une spectatrice lui a posé une question en rapport avec la violence de ces scènes et surtout de leur utilité, elle a soutenu que lorsqu’elle venait sur le plateau, elle ne se préparait pas à une scène de sexe mais à jouer une émotion forte, différente à chaque fois.
Écriture salvatrice
Pour aller encore plus loin et faire preuve d’un maximum de réalisme, les décors majeurs, tels que la chambre de G.M – comme nommé dans le livre – ou celle de Vanessa, ont été reproduits à l’identique. Le film donne donc une matérialité et une réalité supplémentaire au livre qui lui, permet davantage d’entrer dans la tête et la vie de la jeune fille, pendant cette expérience, mais également par la suite, lorsqu’elle se sent comme un objet sexuel pour les hommes, qu’elle a perdu toute valeur d’elle-même. Ceci n’arrêtait pourtant pas Matzneff qui la harcelait de lettres puis de mails envoyés jusqu’à son lieu de travail – ce qui a notamment poussé Vanessa Springora à écrire son histoire.
Pour se débarrasser de cette emprise. Toujours passionnée par l’écriture, au sein d’un cercle littéraire, la jeune Vanessa Springora a lu plus de livre que beaucoup d’adultes, est cultivée et excelle en français. Elle rêve alors de devenir écrivaine, rêve brisé par les paroles et actes de Matzneff qui souhaite quelqu’un de jeune, sans pensée propre, qu’il peut contrôler et subordonner. Elle dira lors du débat qui a eu lieu à la fin de la projection du film durant le festival que sans cette histoire, elle aurait certainement commencé à écrire des livres bien plus tôt, mais que tout cela l’avait écartée du monde de la littérature. Elle parvient malgré tout, en 2019, à devenir directrice des éditions Julliard.
Le livre écrit pour emprisonner Matzneff dans ses pages comme il l’a fait pour elle n’est pas le premier qu’une de ses victimes a tenté de faire publier. Pourtant dix ans auparavant, l’emprise de Matzneff sur le monde littéraire et le manque d’écoute de la parole des femmes a empêché sa parution. Une autre femme avait déjà publié un livre en 2021, c’est Francesca Gee, citée dans le livre et son adaptation, qui a eu une relation avec l’auteur quelques années avant Vanessa. Elle y relate sa relation ainsi que l’enquête judiciaire bâclée qui a suivi. Face à tout cela, le pédocriminel soutient être victime d’une vengeance due à une séparation douloureuse.
Justice sera-t-elle rendue ?
Springora le sait, elle a eu beaucoup de chance, elle tente de publier son ouvrage après la vague #MeToo et tombe dès la première tentative sur un éditeur qui accepte de la publier, tout en n’ayant jamais publié un seul des livres de l’auteur d’aujourd’hui 87 ans. Ce livre a un retentissement aussi bien médiatique que juridique puisque vingt-quatre heures après sa publication, une enquête pour viols sur mineur·es de moins de quinze ans est lancée. Cette enquête ne mènera évidemment nulle-part : il est interrogé en audition libre devant les policiers de l’Office central de répression des violences aux personnes en été 2022, sans suite. Les faits décrits par Vanessa Springora sont prescrits, car datant des années 1980. Un appel à témoins est alors lancé pour auditionner d’autres victimes.
Plus de trois ans et demi après, cette enquête est toujours en cours. Le dossier serait maintenant du ressort de l’Office de répression des violences faites aux personnes au nouvel Office mineurs, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Les enquêteurs ont été chargés de procéder aux auditions de « potentielles victimes et témoins », ainsi que de trouver d’éventuelles preuves pouvant interrompre la prescription[1].
[1] « Le Consentement » : où en sont les procédures visant Gabriel Matzneff, alors que l’adaptation du livre de Vanessa Springora sort au cinéma ?, article de Catherine Fournier, France Info, 11/10/2023 : https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/affaire-gabriel-matzneff/le-consentement-ou-en-sont-les-procedures-visant-gabriel-matzneff-alors-que-l-adaptation-du-livre-de-vanessa-springora-sort-au-cinema_6113067.html