Des chefs-d’œuvre byzantins au musée du Louvre

Par Suzanne Brière
Photo DR (Saint Serge et saint Bacchus
)
Publié le 11 novembre 2023

Les icônes ont profondément marqué la production artistique de l’Empire byzantin, où elles sont centrales. En effet, elles ont fasciné, inspiré et leur couleur dorée est admirée. Les icônes occupent ainsi une place privilégiée au sein de l’histoire de l’art jusqu’aux artistes contemporains tels que Klimt, Malevitch, Mondrian… Le Louvre propose aujourd’hui de revenir sur ce mythe de l’icône byzantine avec une exposition de cinq icônes byzantines provenant de Kyiv. Revenons aux origines de l’image sacrée.

Alors que la guerre continue de sévir en Ukraine, les œuvres et le patrimoine ukrainiens se retrouvent menacés. C’est dans ce cadre que le musée du Louvre accueille seize œuvres de la collection du musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kyiv grâce à l’aide de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflits (ALIPH). Ce musée ukrainien a été fondé à partir de la collection personnelle d’un couple amateur d’art ukrainien, Bohdan et Varvara Khanenko. Iels sont parvenues à réunir une collection d’œuvres éclectique en voyageant en Europe et dans le monde pendant plus de 40 ans. Ce couple a particulièrement marqué le développement des institutions muséales en Ukraine qui se retrouvent aujourd’hui menacées par la guerre, les bombardements, et les pillages illicites qui frappent le pays.

Onze des œuvres réceptionnées par le Louvre sont conservées dans les réserves tandis que cinq d’entre elles font actuellement l’objet d’une belle exposition intitulée « Aux origines de l’image sacrée ». Vous pourrez y admirer cinq icônes byzantines provenant du monastère de Sainte-Catherine au Sinaï et de la ville de Constantinople (aujourd’hui appelée Istanbul).

Les icônes, un intermédiaire vers le divin

Les icônes byzantines sont en premier lieu des représentations d’images religieuses. Il peut s’agir de peintures ou de mosaïques de plus ou moins grand format. Généralement réalisées sur des panneaux de bois et caractérisées par l’usage de l’or, elles étaient vénérées par les croyant·es autant dans les lieux de culte que dans la sphère privée.

Cependant, elles n’étaient pas simplement des images, elles étaient surtout considérées comme un interface, un intermédiaire entre le monde visible et le monde invisible entre le divin et le profane. Ces icônes étaient donc des objets auquel l’on vouait un culte, des objets de vénération. On croyait en la présence réelle des saints représentés dans la couche picturale.

Les icônes du musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko de Kyiv

Cette exposition s’ouvre sur une micro mosaïque représentant Saint Nicolas. Datée de la fin du XIIIème siècle-début du XIVème siècle, elle met en avant un savoir-faire typiquement byzantin, et particulièrement développé dans les ateliers de Constantinople à cette époque : la mosaïque. La visite se poursuit par la découverte de quatre icônes à l’encaustique datée du VIème-VIIème siècle. Elles font partie des icônes les plus anciennes que nous conservons aujourd’hui et proviennent toutes du monastère de sainte Catherine au Sinaï. Ce monastère compte également parmi les plus anciens du monde. Fondé sous le règne de l’empereur byzantin Justinien, il est en activité ininterrompue depuis le VIème siècle.

Icône en micromosaïque représentant saint Nicolas Empire byzantin, fin du XIIIe ou début du XIVe siècle, micromosaïque, argent doré, provient de la cathédrale de Vic (Catalogne, Espagne) Kyiv, musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko © musée Khanenko

Les deux premières icônes sont “doubles”. Elles représentent respectivement saint Serge et saint Bacchus, ainsi que saint Platin et sainte Glycérie. Une icône est ensuite consacrée à la Vierge et l’enfant et la dernière à saint Jean-Baptiste. Ces quatre icônes sont particulièrement rares et précieuses pour l’histoire de l’art. Elles font partie des quelques icônes pré-iconoclastes qui nous sont parvenues aujourd’hui. Et pour cause, entre 726 et 843, l’empire byzantin, et particulièrement la ville de Constantinople, est marqué par une crise iconoclaste durant laquelle les icônes sont détruites en masse à cause d’une tendance à l’idolâtrie. Le culte est davantage aux images qu’aux personnages sacrés qu’elles représentent. Les conséquences sont énormes et aujourd’hui encore, seul un nombre très réduits d’icônes précédent cette crise nous sont parvenus. C’est pourquoi ces quatre icônes sont particulièrement chères au musée ukrainien et au monde de l’art de manière plus globale.

Saint Platon et Sainte Glycérie, musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko © musée Khanenko

Des techniques particulières

Ces quatre icônes peintes sont également particulièrement précieuses et représentatives de la première période des icônes en raison de la technique employée. En effet, elles sont peintes à l’encaustique, une technique qui consiste à lier les pigments colorés avec de la cire d’abeille qui est appliquée à chaud sur les panneaux de bois. Les icônes seront par la suite plutôt peintes avec la technique de la tempéra qui utilise comme liant l’œuf. Ces icônes sont également caractéristiques de cette première phase par leur style pictural encore en transition entre l’héritage de la période romaine et l’art byzantin naissant.

Saint Jean-Baptiste, VIe siècle, peinture à l’encaustique sur panneau de bois, Kyiv, musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko © musée Khanenko

Pour l’icône de Constantinople, il s’agit d’une autre technique également très représentative de l’art byzantin, la mosaïque, et ici plus particulière de la micro mosaïque. Le travail est tellement fin et minutieux qu’il est nécessaire de s’approcher au plus près de la vitrine pour distinguer les minuscules tesselles qui juxtaposés les uns aux autres forment le motif du saint Nicolas. Cette œuvre est sublimée par un cadre d’origine en argent doré qui fait ressortir les tesselles dorées caractéristiques de l’art byzantin.

Vierge à l’enfant, musée national des arts Bohdan et Varvara Khanenko © musée Khanenko

Cette exposition bien que brève n’en est pas moins fascinante. Elle permet de découvrir des œuvres uniques et particulièrement rares. Elles illustrent parfaitement la période byzantine pré-iconoclaste pour les icônes à l’encaustique et l’art de la mosaïque pour celle de Constantinople. Ces chefs-d’œuvre sont exposés jusqu’au 6 novembre 2023 dans la salle 173 de l’aile Denon au musée du Louvre. Suite à cette exposition, ces icônes feront l’objet d’une campagne d’analyse et de recherche dirigée par un comité de spécialistes ukrainien·nes et internationaux·ales. Tristement, nous ne pouvons nous empêcher de souligner l’histoire tragique de ces œuvres qui avaient auparavant échappé à l’iconoclasme grâce à la protection du monastère du mont Sinaï et qui doivent aujourd’hui à nouveau fuir le conflit.

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