Étrange attraction

Par Léonie Houssin
Publié le
27 juin 2021

Avec Jumbo, la réalisatrice Zoé Wittock réussit le tour de force impressionnant de nous faire ressentir et comprendre une forme d’amour qui paraît, au premier abord, absurde. Celle d’une femme, incarnée par Noémie Merlant, et d’une machine.

Jumbo est un long-métrage belgo-franco-luxembourgeois sorti en 2020, qui narre l’histoire d’amour entre Jeanne, jeune adulte vivant seule avec sa mère, et Jumbo, l’attraction personnifiée du parc dans lequel elle commence un nouveau job. On ne peut qu’être dubitatif·ve au premier abord en lisant ce synopsis. Mais d’un a priori un peu moqueur, on sort grandi·e du visionnage de ce film à l’enjeu philosophique, emporté·e par le jeu sensible de Noémie Merlant et la réalisation sublime de Zoé Wittock. Jeanne est aussi éberluée que lae spectateurice lorsqu’elle découvre en nettoyant l’attraction Move it, qu’elle renommera Jumbo, que celle-ci semble vouloir communiquer. Mais Jeanne y croit puisqu’elle le voit, et entre dans le jeu. Elle tombe amoureuse de Jumbo. Et si l’on pensait avoir affaire à de la science-fiction, on découvre finalement un film romantique, avec pour fil rouge la thématique de l’amour incompris ; ou comment celleux qui aiment peuvent se confronter à l’incompréhension, à l’intolérance voire à la haine de leur entourage et de la société.

Le film prend un écho particulier lorsque l’on réalise qu’embourbé·es dans nos préjugés, nous prenons Jeanne pour une « folle », comme le font sa mère et son patron. Son amour est relégué au rang de pathologie psychiatrique. Comment ne pas y voir un parallèle avec les amours autres qu’hétérosexuelles, avec le ressenti des lesbiennes gays et bis, si longtemps pathologisé·es (sinon considéré·es comme maléfiques ou possédé·es) ? La résonnance est maximale lorsque Jeanne est mise à la porte par sa mère incapable de la comprendre, comme cela arrive à de nombreux·ses LGBTQIA+.

Pourtant, le propos n’est pas une simple comparaison avec l’homosexualité ou la bisexualité, il aborde une véritable orientation, qui m’était inconnue jusqu’alors : l’objectùm-sexualité ou objectophilie (ce terme cependant la rapproche la « pédophilie » et de la « zoophilie » qui lorsqu’elles sont réalisées sont des agressions et des viols, à l’inverse de l’objectùm-sexualité qui ne nuit à personne. C’est une distinction importante). Zoé Wittock s’inspire en effet pour ce film de l’histoire de l’Américaine Erika Eiffel qui a contracté un mariage objecto-sexuel avec la Tour Eiffel en 2007. Celle-ci a également créé l’organisation OS internationale (pour objectùm-sexuality) qui tente d’informer et de regrouper les personnes objectùm-sexuelles comme pour dire « vous n’êtes pas seules, vous n’êtes pas folles ». Si elle est emblématique, Erika Eiffel n’est effectivement pas seule. Je me souviens de mon étonnement lorsque j’ai appris en 2017 qu’un Japonais avait pu se marier avec un personnage de jeu vidéo. Il ne s’agit pas là d’un objet mais d’une intelligence artificielle, ce qui est un peu plus facile à comprendre. C’est une histoire de ce type qu’a voulu raconter Spike Jonze dans Her en 2013, où le héros dans un futur proche tombe amoureux d’une IA. À mon sens, Spike Jonze a moins bien exprimé et rendu sensible l’amour que ne l’a fait Wittock, mais la question soulevée est intéressante et risque d’être fréquente à l’avenir.

Si vous pensez malgré tout que Jeanne est folle, souvenez-vous que la folie n’est parfois que ce qui sort de la norme. Ce fut l’homosexualité jusqu’en 1992, c’est la transidentité encore aujourd’hui, désignée par les psychiatres par le terme dysphorie de genre. On termine le visionnage en pensant « après tout, pourquoi pas ? ». Une œuvre qui provoque cette question est une véritable ode à l’ouverture d’esprit.

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