La liberté d’avoir recours à l’IVG garantie par la Constitution française
Par Jade Hanesse
Photo ©Chloé Labarthe
Publié le 16 mars 2024
Le lundi 4 mars 2024 marquera à jamais l’histoire comme le jour où une loi garantissant une liberté pour les femmes, et pas n’importe laquelle, est entrée dans la Constitution française. Quarante-neuf ans après la loi Veil, décriminalisant l’interruption volontaire de grossesse, la France fait un pas supplémentaire vers l’amélioration des droits des femmes en inscrivant dans la Constitution un article qui vise à garantir la liberté d’avoir recours à un IVG.
Un article tant attendu
Après plus de six transformations et près de deux ans de discussion, il est enfin possible de dire que la France est le premier pays à constitutionnaliser la liberté à l’interruption volontaire de grossesse pour “la femme”. Cette loi a notamment été portée par Mathilde Panot, députée et présidente de la France Insoumise et par Mélanie Vogel, sénatrice et membre du parti Les Verts. Elles ont tenu bon face à de nombreuses critiques et de nombreux questionnements de la part des opposant·es. En effet, aujourd’hui article 34 de la Constitution, cette loi devait tout d’abord paraître dans l’article 1er sous la forme : “nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse”. Certaines propositions ont d’ailleurs été faites jusqu’au dernier moment pour que le terme « garantie » soit retiré de la loi ou encore qu’on y insère une clause permettant aux médecins de refuser de mener une IVG. Cependant, aucune de ces propositions n’a été retenue[1].
Ainsi, bien que loin de sa forme originelle, la loi sur la liberté du recours à l’IVG est tout de même considérée comme un grand pas pour les femmes de France et de toute l’Europe. Nous pensons principalement aux femmes en Pologne où l’IVG est totalement interdit ou à l’Italie où ce droit est actuellement grandement remis en question. Au-delà d’une avancée sociale, cette loi est un message politique fort que la France lance aux autres pays : elle reprend sa place de leader des révolutions sociétales et fait le choix d’ouvrir le chemin vers des sociétés plus égalitaires.
C’est pour suivre ce moment « historique » que des dizaines de femmes et féministes se sont rendu·es lundi 4 mars au soir sur le parvis des droits de l’Homme. Des jeunes femmes aux côtés de femmes plus âgées, dont certaines ont subi une intervention des faiseuses d’ange, ont donc pu ensemble entendre le verdict du vote du parlement : 780 voix pour et 72 voix contre. Ces voix contre ont uniquement été portées par des membres des Républicains et du Rassemblement National. C’est une grande victoire pour toutes ces femmes qui ont eu peur, qui ont eu honte, qui à ce jour, n’osent toujours pas en parler, mais c’est aussi un message d’espoir pour les futures générations. Un message les appelant à continuer le combat car oui, les femmes peuvent être entendues et leur corps peut être respecté.
Une loi à double tranchant
Dans les faits, quels sont alors les effets de cette nouvelle loi constitutionnelle ? Tout d’abord, il faut bien remarquer que ce n’est pas le droit à l’IVG, mais bien la liberté d’y avoir recours qui est garantie. Autrement dit, aucune femme (cisgenre) ne peut être poursuivie en justice pour avoir eu recours à un IVG. Toutefois le début de la loi souligne que cette liberté dépend des termes posés par la loi française, laissant alors la possibilité aux personnes au pouvoir de rendre l’accès aux centres proposant des IVG très difficiles, voire d’obliger les femmes à se plier à de rudes conditions psychologiques et physiques pour y avoir droit. Il reste donc par exemple possible, comme c’est le cas dans d’autres pays, d’obliger les femmes à écouter les battements de cœur du fœtus ou de passer par plusieurs rendez-vous psychologiques avant de pouvoir mener à bien la procédure. Ceci est soutenu par l’utilisation du terme « recours » et non celui d’accès. Cette loi protège donc les femmes et non l’IVG en tant que tel. Se réjouir est, de fait, légitime mais il ne faut pas oublier que cette loi est votée pendant que plus d’une centaine de centre d’IVG ferment dans toute la France et que seuls 3,5% des sages femmes et 2,9% des gynécologues pratiquent l’avortement en France[2].
Cette nouvelle loi constitutionnelle est-elle donc de la poudre aux yeux pour embellir le deuxième « quinquennat des femmes » ? Peut-être, dans la mesure où de nombreux·ses député·es et sénateur·ices, qui étaient contre le droit à l’avortement, sont aujourd’hui porteur·euses des plus grandes louanges au sujet de cette loi. Accepter de faire passer cette constitutionnalisation serait alors, pour les réfractaires à la garantie du droit à l’IVG, un moyen de se justifier face aux revendications féministes. Par cette loi protégeant l’humain et non l’acte, les dirigeant·es politiques bloquent pour plusieurs années la possibilité la possibilité d’améliorer les conditions de vie des femmes.
Ceci ne prouve alors qu’une seule chose : le combat n’est pas terminé. Mathilde Panot est par ailleurs déjà en campagne pour faire protéger le droit à l’IVG en tant que droit fondamental dans toute l’Union Européenne. Pour ce qui est de la France, les groupes féministes, revigorés par cette victoire ne se laissent pas distancer et continuent à travailler pour qu’un jour, notre société soit un espace dans lequel les droits des femmes ne seraient pas considérés comme tels mais bien comme droits humains.
Sources :
IVG dans la Constitution : le vote du Sénat ouvre la voie à l’adoption en Congrès le 4 mars, revivez les débats (lemonde.fr)
Rapport d’information n°3343 – 15e législature – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
« C’est historique ! » : à Paris, les féministes fêtent l’inscription de l’IVG dans la Constitution | Actu Paris
[1] Le Monde, IVG dans la constitution : le vote du Sénat ouvre la voie à l’adoption en Congrès le 4 mars, revivez les débats, 29 février 2024,
[2] Battistel Marie-Noëlle, Rapport d’information n°3343, Assemblée nationale, 2020