GRANDES OEUVRES, PETITS MOTS #4 : « Un monstre sans nom »

Par Clémence Carel
Photo ©Zine Andrieu
Publié le 28 février 2025
Découvert lors de l’exposition « Après l’Éclipse », le film de Zine Andrieu (2023), a su marquer l’esprit de Clémence Carel. Un Monstre sans nom se fait riche de ses mots dans l’avant-dernière chronique d’une série de cinq épisodes.
Terminologie : territoires délaissés ; quartiers défavorisés (ou plus simplement “les quartiers”) ; banlieues populaires ; le fameux choc des cultures (dont l’acceptation actuelle est, disons-le, floue).
La sémantique regorge richement d’options pour décrire les à-côtés de la scène que tout le monde regarde, mais donne-t-elle des mots pour les raconter?
Face à ce vide lexical, Zine Andrieu empile, juxtapose, amasse. Il sature la narration. Le trop-plein de matière fait des étincelles. L’addition des contre-cultures est force de création, non pas par l’utilisation riche et variée de mots plus ou moins appropriés, mais par le choc des médias. Le fil de l’histoire du film se balance à chaque seconde d’un univers à un autre, d’un support archivistique à un design 3D. En effet, le curseur n’est plus la traditionnelle dichotomie fiction/documentaire, mais le capital empathique humain, le pouvoir de partager la subjectivité des références. Ce n’est pas parce que je ne connais pas Death Note que ton monde ne me raconte rien.
Au contraire, le patchwork de l’artiste est une multiplication des possibles, rhizome fertile de contes nouveaux, ceux que l’on n’entendait pas avant, faute de langage existant. La sectorisation biaisée des populations, selon une norme Centre/Périphéries, laisse place à un voyage dans les vécus, les blessures et les douceurs. Zine Andrieu dépasse la binarité de la structuration en place pour projeter des constellations mouvantes, capables de signifier autre chose. Ce n’est pas seulement un choc des cultures, mais un choc des moyens d’expression, où la subjectivité devient une forme de résistance, une manière de refuser les cadres étroits imposés par la société.
Bien qu’évidemment politique, vaguant entre histoires médiévales d’islam et visions de gaming, les assassinats bien réels de Zyed Benna et Bouna Traore,́ ou encore la mort du propre frère de l’artiste, le conte-épopée est avant tout un manifeste artistique. Dès l’incipit, la voix-off chante et tangue au tempo de l’oscillation tranquille des premières images surnaturelles d’éclipse ; le cadre dramatique posé, l’aventure peut alors commencer. Fable amère, mais pas cruelle, le politique y demeure explicite et sous-jacent, comme un avant-propos alourdissant le soleil d’un voile rougeâtre. Mélange des genres, mélange des niveaux de discours, l’art de Zine Andrieu se place sous le signe de l’hybridation-même. Et cette fusion est inédite dans les règles de la synthèse additive : noir x blanc = rouge, rouge sang.