J’ai pas compris The Brutalist, et j’espère ne pas être la seule

Par Mina Miedema
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Publié le 7 mars 2025
Mercredi 12 février. Il pleut, il fait froid et The Brutalist sort au Cinéma. Il y a très peu d’attente de mon côté. 3h30 de film situé dans l’après guerre ; ça me rappelle dangereusement Oppenheimer… Et j’ai très peur d’avoir à regarder des hommes à chapeau en train de parler de béton.
Pour me motiver, mon copain me fait regarder le trailer (j’avais eu la flemme de le voir, Mea Culpa). « Un portrait du cœur noir de l’Amérique » New York Times. Ça claque comme avis sur une bande annonce ! Peut être que j’étais d’humeur à voir un film qui tape sur la société américaine ou que les images bien léchées, filmées sur de la pellicule, avaient suffit à m’attirer. Mais j’étais convaincue : j’irai voir The Brutalist le soir même.
C’est donc ainsi que je passais 3h34, précisément, les fesses vissées à mon siège, à regarder la vie de Lazslo Toth. Pour ceux·lles qui ne l’ont pas vu, je vous la fais courte : après la guerre et les camps de concentration, l’architecte hongrois juif, Lazslo Toth, quitte l’Europe pour reconstruire sa vie aux États-Unis.
Fin de la projection. Les lumières s’allument et le bruit de la foule s’élève. C’est le moment de se libérer d’un poids : « Je crois que j’ai pas compris ». Je voulais voir le cœur noir de l’Amérique et bien je l’ai vu. C’est sombre, ô que c’est sombre ! Le film commence avec Toth qui n’arrive pas à coucher avec une prostituée parce que sa femme lui manque (ouin). Puis, il va chez son cousin d’où il se fait jeter parce que sa femme l’accuse de l’avoir draguée. Il doit bosser dans les mines, il se drogue à l’opium parce qu’il s’est cassé le nez et qu’il n’a pas d’argent pour un médecin. Ensuite, sa femme n’arrive pas à le rejoindre, il se fait embaucher par un riche patron qui lui propose de l’aider à ramener sa femme (youpi). Et comme tout le monde s’en doutait, le gars est fou et le vire. Il a peur de coucher avec sa femme parce qu’elle est malade. Il se fait réembaucher par le gars riche ! Après, il l’emmène en Italie pour visiter les carrières de marbre ! Et il le viole. Sa nièce veut partir en Israël où la vie sera plus belle (douteux) : lui et sa femme lui dise que c’est idiot (intéressant). Sa femme souffre trop, donc il la drogue à l’opium ! Mais chouette, elle n’a plus mal, donc ils peuvent coucher ensemble ! Oups elle fait une overdose… Elle survit ! Finalement, ils quittent ensemble l’Amérique trop pourrie qui ne les acceptera jamais pour Israël (encore une fois douteux…).
Sensationnel. C’est le cas de le dire, de quoi remplir 3h34 de film. Mais qu’est ce que ça raconte ? J’étais bien incapable de le dire. Oui, j’ai capté la partie sur la société ultra capitaliste, où ce n’est pas le cultivé qui décide, mais le businessman, et où les immigrant·es ne seront jamais accepté·es, car le système trouvera toujours un moyen de les enculer (pas de moi, c’est dans le film). Point impossible à rater. Mais dans le reste du film, tout est ambivalence, semi propos, engagement moyen… Pourquoi toujours flirter avec la possibilité d’une représentation dégradante des femmes qui sont, soit des prostituées, soit des charmeuses, qui trahissent Toth, soit des tentatrices qui dansent avec lui lors de soirées en Italie ? Ou pire, sa propre femme, qui est la véritable victime de ce film à mon avis (pour vous faire une idée : elle est en fauteuil roulant, se fait abandonner par sa famille ; son mari ne veut pas la toucher, il la trompe pendant qu’ils étaient séparés et elle dit ok pas grave bb parce que je rêvais de toi quand t’étais pas là donc en vrai on était ensemble ??? Et, cerise sur la gâteau, sa catchphrase « Mon pauvre mari » !). Attention, pour mes chers incels fans de ciné, je ne dis pas que le réalisateur est forcément misogyne. Peut être que c’est le regard et les actions de Toth qu’on questionne et qu’on critique. Mais c’est vraiment pas clair… Graphiquement, ça reste rabaissant. Je suis obligée de reparler des prostituées totalement nues, le dos cambré, qui m’ont donné très peu de foi en ce film, dès les premières minutes. Ou bien de sa femme qui, une fois qu’elle obtient le cunnilingus tant voulu (drôle de choix), révèle un corps étonnement lisse et fin pour une quarantenaire qui a survécu à la guerre et aux camps. Sa position est floue et ça me gêne. Si avant tu pouvais décider que les Américain·es étaient des taré·es, dis moi si tu penses que les femmes sont des salopes chouineuses qui sont bonnes qu’à montrer leurs fesses… Et si tu penses que ce sont les martyres d’une société patriarcale, c’était pas hyper clair.
Et pourquoi naviguer étrangement autour de la question d’Israël ? De son droit ou non d’exister, du besoin de la diaspora juive d’y retourner… On a l’impression d’une fausse non prise de position, d’une fausse documentation d’une époque. Même si j’ai du mal à croire que ce film est un manifeste pro Israël, c’est quand même un choix de centrer son film autour de cette question à notre époque. Et particulièrement quand on parle d’immigration, du rejet de l’autre et, tout simplement, d’humanité.
« Ce n’est pas le voyage qui compte, mais la destination ». Voilà les derniers mots de The Brutalist, prononcés par la nièce de Toth. Ça fait de l’effet. C’est clair, surtout quand le voyage était aussi long (3h34). Mais concrètement, ça ne nous dit pas grand chose non plus. Peut être que ça critique la vision de ses personnages qui pensent être sauvés maintenant qu’iels se sont reconstruit·es à Israël. Ou bien ça critique une nouvelle génération qui oublie les souffrances des générations passées, ou alors qu’on vit dans un monde de brutes. Ou juste, ça montre que le brutalisme c’est moche, ou je sais pas… Juste je sais pas.
Trop d’effets tuent le message. En tous cas, si tu voulais que je comprenne, c’est raté. Et à ceux·lles qui me diront que toutes les oeuvres n’ont pas forcément un message et qu’il faut se forger son propre avis… Si tu veux faire un film qui n’a pas de message, tu fais un documentaire de science nat’, pas un film de fiction où tu inventes un architecte rescapé des camps de concentration qui se fait torturer par la vie.