GRANDES OEUVRES, PETITS MOTS #2 : « Kids waiting for something »
Par Clémence Carel
Photo ©Marc Domage
Publié le 28 janvier 2025
Ne jamais oublier la rage d’enfant. Clémence Carel nous raconte l’oeuvre de Solveig Burkhard, Kids waiting for something (2023) dans la deuxième chronique d’une série de cinq épisodes.
Le non-adulte voit la personne vieillissante, c’est-à-dire dépassant la dizaine – dénigrer, voire nier le mal-être des « petites personnes ». Notamment celle qu’elle fut. Quelle étrange amnésie sélective.
Alors Solveig Burkhard rend justice aux émotions des enfants que nous étions, que nous sommes un peu encore. Dans son installation Kids waiting for something, elle met en scène une salle d’attente de cabinet médical. Elle nous y invite surtout à s’y projeter, quoi qu’en coûte aux jeunes yeux les lumières blafardes. Émancipons le·a spectateur·ice pour qu’iel se réapproprie un rapport à soi[1], à son soi passé, perdu dans le processus de la séparation des âges.
Là, elle offre une immersion dans le désordre. La pièce ouvre un espace entier à l’expression et la restitution des états d’âmes oubliés, enfouis dans le rembourrage d’une peluche Teletubbies. L’artiste met frontalement en cohabitation les jouets en pagaille avec l’univers médical, psychiatrique. Elle confronte les chaos : celui d’une chambre d’enfant, qui est lié, dans l’imaginaire collectif, à la légèreté d’un esprit dénué de sens des responsabilités, et celui du désordre mental, associé, quant à lui aux dérèglements d’une vie déjà bien avancée.
Manquent les cris du bambin ou du malade. La scène est habitée par l’absence des protagonistes qui l’ont désertée, abandonnant les objets en pagaille, comme dans la précipitation : le vide est la réelle violence de la pièce. Le chaos demeure silencieux, comme sous-jacent, en attente. En attente de quoi : du médecin, du diagnostic, ou du statut officiel d’adulte ? Non, si l’artiste nous invite à entrer dans la pièce, c’est justement qu’elle défie le fataliste adultisme, qui place une vitre de plexi en travers de l’âge. Nous entrons dans la pièce, nous faisons une tour de Kapla, nous défaisons des tours de Lego d’un·e visiteur·euse-patient·e précédent. La pièce vit et se transforme par la participation du public : c’est une salle où les années sont les seules à attendre.
[1] Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, La Fabrique éditions, 2008, 145 p.