Houellebecq ou la possibilité d’amour
Par Elise Guérin
Publié le 14 mars 2022
En janvier dernier est paru le huitième roman de Michel Houellebecq, Anéantir. L’écrivain surprend avec un format « roman-fleuve » qui lui est assez peu familier mais loin d’être décevant. Une nouvelle fois, il nous fait part de son réalisme froid en décrivant une société assez proche de la nôtre.
Pour beaucoup, le livre pourrait être résumé par ces quelques vers écrits il y a une vingtaine d’années : « Il y aura la mort tu le sais mon amour / Il y aura le malheur et les tout derniers jours / On n’oublie jamais rien, les mots et les visages » dans son poème « Derniers Temps » (Présence Humaine). Mais cela serait sans doute, trop réducteur. Houellebecq parvient avec finesse à transcrire une réflexion touchante sur la mort, tout en laissant filtrer par la justesse de ses mots quelques bribes d’espoir et d’amour.
Entre perte et désillusion
Dans ce roman d’anticipation, l’auteur mêle une nouvelle fois fiction et politique. On retrouve alors des personnages très houellebecquiens, moroses et déçus de la vie qu’ils mènent. Le roman nous propose de suivre Paul, un quinquagénaire qui vit, en apparence avec détachement et passivité, la dissolution de son couple, de sa famille et de sa propre vie. Parachuté en 2027, le·a lecteur·ice se retrouve dans une société présentée comme étant médiocre tant sur le plan culturel que spirituel. Celle-ci ressemble finalement au monde d’aujourd’hui, avec cependant davantage de mystiques. Il ancre son intrigue au sein d’une société en déclin, dans un climat d’élection présidentielle et d’attaques terroristes. Cette fausse anticipation permet une réflexion intéressante sur l’âme de notre société. Mais l’on comprend que ce contexte sociétal en chute libre n’est en fait que secondaire pour l’auteur.
Houellebecq retranscrit avec élégance la pudeur des hommes, et leur rapport insaisissable avec leurs sentiments
Anéantir est avant tout un terrain d’exploration pour penser les relations familiales et amoureuses dans une société qui étouffe la possibilité de bonheur. C’est aussi une œuvre qui ouvre aux questionnements métaphysiques, la mort est présente sous différentes formes et plane au-dessus des personnages. Sa présence place la critique sociétale au second plan. Cela nous rapproche de la réflexion que Houellebecq construit sur l’existence et sa fin, son déclin, celui de la société mais aussi de la santé. Celle-ci est rendue profonde par la sobriété de style qui est adoptée : le choix des mots est fin et lui donne une puissance percutante. « La lumière ne semble pas venir d’en haut, mais du manteau neigeux qui recouvre le sol ; elle s’affaiblit inexorablement, sans doute est-ce que le soir tombe. Des plaques de givre se cristallisent, les branches des arbres sont craquantes. Des flocons de neige tourbillonnent au milieu des gens qui se croisent sans se voir, leur visage se durcit et se ride, de petits points de lumière fous dansent dans leurs yeux » (Anéantir). Malgré la froideur de cet environnement, Houellebecq parvient à initier une lumière tendre et vibrante, un espoir qui lui est singulier et qu’il nous insuffle dans chacune de ses œuvres.
Jeux d’amour et de lumière
L’univers de Houellebecq est caractérisé par une forme de réalisme neutre et froid. Il faisait notamment dire à l’un de ses personnages, Jed Martin, de La Carte et le Territoire, « Je veux rendre compte du monde, je veux simplement rendre compte du monde ». Beaucoup de ses romans présentent alors une critique sociétale acerbe et froide qui découle de ses analyses assez fines du monde et des interactions humaines. Dans son nouveau roman, elle est présente, mais plus douce. Houellebecq ne dresse pas qu’une peinture morose et creuse de la société comme lui prêtent certaines critiques. Ses personnages se révèlent avoir une sensibilité détachée mais puissante aux évènements de leur vie. L’auteur propose certes, un romantisme sombre, mais qui par moment, dans des envolées poétiques, laisse passer des lumières d’espoir et d’amour. Ce dernier est d’ailleurs un thème qui s’avère être central dans le roman. « Elle lui jeta un regard de vraie tendresse, davantage que de désir, c’était un regard étrange, comme une anticipation du regard qu’elle lui jetterait peut-être beaucoup plus tard, quand ils seraient très vieux ». En effet, Houellebecq retranscrit avec élégance la pudeur des hommes, et leur rapport insaisissable avec leurs sentiments. Il questionne la complexité de l’amour, son effacement, sa renaissance. Il s’agirait, pour l’auteur, de la seule sortie possible à la morosité de la vie. Il propose alors une réflexion touchante sur les liens qui unissent les hommes, ce lien indéfinissable et fluctuant. L’écriture méditative et sobre d’Anéantir nous amène aisément à nos propres réflexions. Elle dégage une musique plutôt mélancolique mais aussi apaisante. En effet, malgré l’enchevêtrement des intrigues, un retour à soi s’opère assez facilement et l’on partage alors l’invitation méditative proposée par Houellebecq.
Dans ce roman, l’auteur souhaite donc partager avec son lecteur cette intarissable envie de parvenir à habiter ce monde, qui tente d’anéantir les restes d’humanité qui vivent en nous. Il réussit une nouvelle fois à allier réalisme, nostalgie et espoir en un bonheur possible léger. Lire ce livre, c’est aussi écouter son cœur parler, être attentif à ses mouvements, ses vibrations, que provoquent les échos de la vie de Paul et des autres personnages. Houellebecq signe de nouveau une œuvre pleine de génie, de rêves et de douceurs : de quoi nous faire du bien en ces temps quelques peu difficiles.