1962-2022 : Un voyage temporel de l’amour

Par Edwige Saison
Photo : Michel et Marie-Louise à 23 ans et 18 ans, photo de famille, 1962
Publié le 10 décembre 2022

Nous avons voulu nous questionner sur l’évolution de l’amour en interrogeant deux couples. Michel et Marie-Louise viennent tout juste de fêter leurs soixante ans de mariage. Quant à Rowen et Océane, iels sont deux jeunes étudiant·es au début de leur idylle.

Qui aujourd’hui n’aspire pas à vouloir connaître l’amour, à « voir la vie en rose » ? Ce concept semble à première vue être universel. Pour autant, chacun et chacune le ressent différemment. On recense énormément de formes d’amour différentes : l’amitié, l’amour de soi, l’amour familial, l’amour platonique, l’amour passionnel, etc. Chacun·e est (en principe) libre d’aimer qui iel souhaite ou même libre de n’aimer absolument  personne. C’est pourquoi, ces différences m’ont amenée à me poser des questions : la conception de l’amour a-t-elle évolué à travers les époques ? Et si oui, quels sont les points transformés et ceux inchangés ? Nous avons voulu mener l’enquête pour répondre à quelques-unes de ces questions. Pour cela, nous avons interrogé deux couples. Michel et Marie-Louise, respectivement quatre-vingt-trois ans et soixante-dix-huit ans, se sont marié·es en 1962. Depuis tout ce temps, iels ont continué de vivre ensemble et espèrent bien maintenir cette situation. À côté, Rowen et Océane ont 19 ans chacun·e et souhaitent également continuer de vivre ensemble. Dans les deux relations, iels aspirent au même objectif, mais se différencient sur leurs conceptions.  

L’ouvreuse magazine : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre ?

Marie-Louise (qui parle pour Michel et elle-même) : Nous nous sommes rencontrés à un mariage dans notre famille. Nous avons baroudé, dansé et chacun est reparti de son côté. J’avais seize ans et Michel vingt-et-un. Il était en permission car c’était la guerre d’Algérie. Deux ans après, nous nous sommes revus lors d’un bal – comme c’était courant en 1962 – et là, la rencontre était plus intense, un courant est passé ! Très vite, Michel a parlé de mariage.

Océane : C’était chez une amie très proche, elle m’avait beaucoup parlé de Rowen et je lui avais déjà parlé une fois lors de sa précédente rupture qui s’était mal passée. J’avais déjà l’impression de le connaître mais une envie irrésistible de le découvrir également. J’ai été intimidée et ne savais pas vraiment comment lui parler.

Rowen : On s’est rencontré chez ma meilleure amie, elle était avec son copain de l’époque qui était basique alors je l’ai prise pour une personne sans intérêt. Et au fur et à mesure du temps, elle m’a prouvé le contraire et j’ai pu découvrir à quel point elle était incroyable.

L’O : Pouvez-vous définir l’amour ?

Marie-Louise : L’amour c’est selon nous la confiance sans jalousie, la tolérance, le respect de l’autre et la fidélité.

Océane : L’amour est un lien profond entre deux êtres, il va plus loin que tout. Les âmes se sentent attirées l’une envers l’autre, c’est effrayant par l’aspect incontrôlable et la place énorme que ça prend, mais c’est passionnant à vivre. Je dirais qu’on accède plus facilement au bonheur grâce à l’amour.

Rowen : L’amour est une notion complexe mais qui a pour origine la bienveillance. C’est tenir à l’autre et vouloir qu’il devienne la meilleure version de lui-même. C’est aussi se rendre compte qu’on ne serait pas la même personne si on ne l’avait pas rencontré.

L’O : Que recherchez-vous chez l’autre dans une relation ?

Marie-Louise : [Ma définition de l’amour], c’est ce que j’ai trouvé chez mon mari tout au long des années, j’étais très jeune et je suis devenue la femme de maintenant, au fil du temps avec le travail, les enfants, la vie !

Océane : Je recherche en la personne de la compréhension, de l’aide, la volonté de faire bien et de se remettre en question. C’est cool aussi si iel est passionné et drôle. Je veux qu’on évolue grâce à cette relation.

Rowen : Je recherche soutien et acceptation. Je souhaite que l’on m’accepte comme je suis et que l’on soit là pour moi quand il y a des épreuves compliquées. Je veux aussi qu’on rigole et que la personne ait des passions pour pouvoir discuter.

Soyez sincères, tolérants. Il faut parler et écouter l’autre.

Marie-Louise

L’O : Comment concevez-vous votre relation à votre âge ?

Marie-Louise : La tendresse remplace la passion après soixante ans de mariage. On vit au jour le jour, avec les problèmes de l’âge.

Océane : Honnêtement, je dirais que je la conçois au jour le jour, j’ai du mal à me projeter dans le monde d’aujourd’hui, où j’ai l’impression qu’il n’y a pas de futur. Je veux qu’on soit heureux et le plus longtemps possible. Si possible vivre dans la nature avec les animaux, loin de tous avec lui serait vraiment génial (sourire).

Rowen : Pour l’instant c’est un peu au jour le jour, même si je commence à me projeter dans le futur avec elle, dans une maison paumée du Jura avec un potager et plein d’animaux par exemple (sourire). On est trop jeunes pour vraiment faire des plans, notre relation est assez nouvelle aussi et puis ma santé mentale peut impacter notre futur.

L’O : Est-ce-que vous trouvez ça normal de se marier aussi tôt (après quelques mois de relations) et aussi jeune ? Comment votre entourage a-t-il réagit ?

Marie-Louise : En 1962, c’était normal de se marier à dix-huit ans. La vie était différente puisque la scolarité était obligatoire uniquement jusqu’à quatorze ans. Les jeunes entraient très vite dans la vie active. En général, les garçons faisaient leur service militaire à dix-neuf ans (sauf les étudiants sursitaires) et se mariaient après le service militaire. Puis, la majorité était à 21 ans. On se mariait souvent majeur, mais tout dépendait des familles. Il y avait parfois de longues fiançailles. Michel voulait se marier assez tôt, il avait très envie de partir de chez lui et de prendre son indépendance. En raison de mon jeune âge, [seize ans], ma mère était un peu inquiète. Nous avons beaucoup discuté à deux. Mais de toute façon, toute la vie, même jusqu’à la mort, elle s’est inquiétée pour moi. Michel plaisait à papa !

L’O : Plus tard, souhaitez-vous vous marier et/ou vous pacser ?

Océane : Non je ne veux pas me marier ; à voir les avantages de se pacser.

Rowen : Le mariage n’est pas obligatoire, ça serait seulement une occasion de bien manger. Les risques de divorce sont présents et ça serait trop coûteux. Pareil pour le pacs, ça ne m’intéresse pas à part s’il y a de gros avantages.

L’O : Souhaitez-vous avoir des enfants ?

Océane : Je ne souhaite pas avoir d’enfant, je ne veux pas lui infliger ce monde et je ne veux pas non plus m’infliger cette responsabilité. Je suis prête à faire quelques efforts pour être famille d’accueil de temps en temps pour les enfants dans le besoin.

Rowen : Je ne veux pas d’enfants, c’est une trop grande responsabilité. Mais je souhaiterais être famille d’accueil pour venir en aide aux enfants qui ont vécu l’horreur. J’aimerais être un tonton cool ou une figure parentale sur lequel les enfants pourraient s’appuyer.

L’O : Tomber amoureux vous a-t-il fait peur ? Pour Michel et Marie-Louise, est-ce-que s’engager dans une relation aussi jeune était également effrayant ?  

Océane : Oh que oui, je ne le voulais pas par peur. On se livre à l’autre, il a tous les pouvoirs sur nous, il connaît toutes nos faiblesses, etc. On peut se faire détruire en un instant. C’est prendre le risque de souffrir, mais surtout l’aspect incontrôlable est effrayant, tu auras beau lutter, ça ne marchera pas.

Rowen : Ce qui fait peur quand une personne nous est si chère c’est de voir l’impact qu’elle a sur nous. Si entre Océane et moi, ça se terminait, je serais très malheureux et me sentirais très vide. Elle a le pouvoir de me faire du mal, elle a toutes les clés et l’influence pour réussir. Ce qui me fait peur également c’est de ne pas être à la hauteur ou toxique. Être dans une relation est un vrai travail sur soi sans interruption.

Marie-Louise : Quand on tombe amoureux, on ne s’en rend pas compte. C’était merveilleux ! Attention, j’étais jeune et en discutant sur notre avenir, j’ai pris conscience que je devenais une autre personne. J’ai réfléchi sur beaucoup de choses. J’ai anticipé sur la vie et finalement, nous sommes encore là tous les deux !

L’O : Quelles sont les choses selon vous à bannir dans une relation de couple ?

Marie-Louise : Il ne faut pas que l’autre serine toujours la même chose, sinon c’est lassant ! Il ne faut pas également pas s’emballer tout de suite, c’est nécessaire de réfléchir.

Océane : L’incompréhension, l’antipathie, l’égoïsme, le contrôle sur l’autre, le jugement, l’irrespect sont pour moi à proscrire.

Rowen : Humiliation, jalousie excessive, ne pas être à l’écoute, la susceptibilité, la victimisation.

L’O : Selon vous, qu’est ce qui a permis de faire durer la relation aussi longtemps ?

Marie-Louise : Quand on est ensemble, avec des enfants, le couple marche main dans la main. Si cela ne fonctionne pas, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Au fil du temps, il existe une confiance, on se comprend d’un regard ou d’un sourire. Il faut laisser faire des activités en dehors car on n’a pas les mêmes goûts. C’est la différence qui réunit et on peut discuter après de choses et d’autres.

L’O : Quels conseils donneriez-vous à un nouveau couple ?

Océane : Garder en tête qu’il est important de s’aimer avant d’aimer l’autre, garder toujours en tête votre valeur. Allez-y doucement et prenez votre temps, connaître l’autre avant de s’engager c’est super important. N’ayez pas peur de vous tromper, ça arrive, on a toute la vie. Il faut aussi toujours entretenir la flamme, ne prenez pas l’autre pour acquis.

Rowen : Un conseil important est que l’amour n’est pas toujours synonyme de bonheur. Parfois, on tombe amoureux de la mauvaise personne, et dans ce cas-là il faut savoir prendre les bonnes décisions, personne n’a le droit de vous faire du mal.

Marie-Louise : Soyez sincères, tolérants. Il faut parler et écouter l’autre. Peut-être que pour nous c’est comme ça que fonctionne notre vie, mais pour d’autres c’est différent. Réfléchissez quand surgit un problème. Le mariage est un choix libre, on doit accepter l’autre tel qu’il ou elle est sans chercher à le ou la transformer. Bien sûr, depuis 1968, les mœurs ont évolué ; par exemple les femmes ont acquis une liberté qui n’existait pas avant comme avec la pilule. 

L’O : Merci pour vos témoignages sur vos expériences d’amour. Ils nous ont permis de constater que l’amour a, malgré deux générations d’écart, des caractéristiques intangibles.

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