Pour Noël, j’aimerais du temps
Par Madeleine Gerber
Illustration Léonie Flaubert @lorieandart
Publié le 23 décembre 2022
Cher Père Noël, j’ai été très sage cette année, alors s’il te plait, offre-moi du temps.
Parfois, je souhaiterais mettre le monde sur pause. Attendez-moi tous ! J’ai des choses à rattraper. Une petite seconde, un mois, des années pour tout ce que j’ai envie de faire que je ne fais jamais. Tout ce que je repousse. Que le temps ne soit plus une excuse. Si je contrôlais le temps, est-ce que je contrôlerais davantage ma vie ?
J’aimerais suspendre le cours de la vie, rien qu’un moment, pour pouvoir lire tous les livres, regarder tous les films, aller à toutes les expos.
J’aimerais apprendre à peindre, chanter, jouer de mille instruments, créer des habits, construire une maison.
J’aimerais rencontrer chaque personne qui existe sur Terre.
Passer davantage de temps avec ceux·lles que j’aime.
J’aimerais avoir plus de temps pour réviser mes partiels, plus de temps pour trouver un stage, un travail, plus de temps pour appeler la caf.
J’aimerais avoir plus de temps pour être sérieuse.
Plus de temps pour faire la fête.
J’aimerais avoir le temps de m’ennuyer, de regarder dans le vague, de laisser toutes mes pensées aller et venir.
Avoir le temps de rêvasser, de m’inventer des histoires, de faire des plans, de trouver des idées.
Le temps de ressentir le vide, d’avoir peur, de me sentir seule.
Temps mélancolique, reposant, silencieux…
J’aimerais visiter tous les pays, apprendre toutes les langues, goûter tous les plats.
J’aimerais immortaliser chaque instant, remplir des albums photos, mettre tous mes souvenirs en vidéo.
J’aimerais du temps pour participer à toutes les manifs, créer les meilleurs slogans, les peindre sur des banderoles.
Le temps de bâtir des écoles, d’enseigner ce que j’aime, de faire des power point d’enfer.
Le temps d’apporter mon aide.
J’aimerais avoir plus de temps pour essayer tous les métiers, me tromper, apprendre, recommencer.
Plus de temps pour faire du droit, devenir juge, avocate, magistrate.
Beaucoup de temps pour toquer à toutes les portes et sensibiliser au réchauffement climatique.
Lire le rapport du GIEC puis faire les études nécessaires pour le comprendre.
Juste un peu plus de temps…
Pour gagner un Nobel de la paix, un prix Pulitzer et deux Oscars.
Laisse-moi le temps d’accumuler une fortune, de vivre mille vies, de payer mon Erasmus, mes To Good To Go à Carrefour city et ma chambre bien trop chère à Paris.
Donne-moi le temps de faire du stand-up, d’écrire un spectacle, de le jouer à l’Olympia.
Le temps de créer une chanson, d’en faire un clip, d’atteindre le million de vues.
Le temps de construire une carrière, d’être reconnue pour mon travail.
Le temps de créer un mouvement artistique, une école de pensée.
De figurer sur des frises chronologiques et dans les livres d’histoire.
Le temps de devenir célèbre, de donner des interviews, d’avoir une page Wikipédia.
Mais en écrivant ces mots, je perds du temps. J’en perds à me lamenter sur ma condition humaine. Jamais ces rêves ne deviendront réalité. Pendant que je me morfonds, les grains s’écoulent dans le sablier.
Je ne sais pas quand mon heure sera venue, peut-être aurai-je encore moins de temps que prévu ? Y a-t-il encore du temps après mon temps ?
« Carpe Diem » disaient-ils à l’époque. Ce n’est pas parce Keen’V se l’est tatoué sur la main que je ne dois pas prendre l’expression au sérieux. « Yolo », « one life », c’est du pareil au même. Alors certes, les termes peuvent passer de mode, mais le propos reste valable. On peut mourir n’importe quand. Vraiment. Personne n’est à l’abri d’une collision avec un vélib’, qui ne s’est pas senti concerné par le feu rouge ! Alors profitons ; car personne ne peut le faire à notre place.
C’était mieux avant ? certainement pas ! C’est notre cerveau qui édulcore et adoucit nos souvenirs. Ne vous laissez pas avoir, sinon vous allez voter droite… C’est mieux maintenant, dans l’instant, là, tout de suite. Rien que cette lecture a fait passer votre journée de « pas terrible » à « un peu stylée ».
Alors tu sais quoi Père Noël ? Bah déjà, j’ai arrêté de croire en toi à l’aube de mes 7 ans, un 23 décembre au soir, quand j’ai vu mes parents emballer les paquets que TU étais censé m’apporter. Je ne compte donc pas sur toi pour réaliser mes souhaits. Femme forte et indépendante que je suis, je vais m’en trouver du temps. Certes je ne pourrai pas tout faire, mais choisir, c’est peut-être plus important. Et puis, j’ai toujours ce petit espoir d’apprendre que je suis un chat en réalité. Comme ça, je pourrai rentabiliser au maximum mes six autres vies.