L’opération Infektion
Par Lou Trullard
Illustration : Tony Gonçalves
Publié le 4 avril 2022
Avez-vous déjà entendu la rumeur selon laquelle le Sida serait une maladie tout droit sortie d’un laboratoire secret américain ? Cette idée reçue n’est pas apparue spontanément. Surnommée “l’opération Infektion”, elle a été fabriquée par le service de renseignement de l’Union soviétique, le KGB, et par la Stasi est-allemande, à partir de 1983, en pleine guerre froide.
Cette opération a eu pour objectif politique de répandre la rumeur selon laquelle les États-Unis auraient été à l’origine de l’apparition du SIDA, du fait de la propagation intense du virus en Russie. Il s’agit de l’une des opérations de désinformation les plus mortifères de l’histoire du XXe siècle.
Origine et propagation de l’opération Infektion
Au début des années 1980, l’épidémie du Sida commence à apparaître mais son origine demeure inconnue. De manière parallèle, la décennie précédente fut celle de la découverte des agissements illégaux des agences de renseignement américaines qui ont mené des expériences secrètes sur des êtres humains. Autant dire que la situation est propice aux spéculations, d’autant plus que les relations Est-Ouest ne cessent de se détériorer.
Ainsi, en juillet 1983, le KGB, nom des services de renseignements de l’Union soviétique, crée un mystérieux journal indien, Le Patriote, en y faisant publier une lettre anonyme. Elle prétend que le Sida a été développé dans un laboratoire secret à Fort Detrick, dans le Maryland aux États-Unis. Or, c’est faux.
Ce qui est vrai en revanche, c’est que Fort Detrick abrite un institut de recherche médicale sur les maladies infectieuses dépendant de l’US Army et qu’il y fut mené, jusqu’en 1969, un programme de développement d’armes biologiques.
Mais il faut attendre l’année 1986 pour que la campagne de désinformation gagne de l’ampleur. En effet, un professeur de biologie à la retraite, Jakob Segal, publia un texte intitulé « Le Sida, sa nature et ses origines », dans lequel il affirma que le virus a été mis au point artificiellement, à Fort Detrick. Selon lui, huit sujets humains volontaires auraient été infectés par le Sida mais, comme aucun d’entre eux n’auraient présenté de symptômes au bout de six mois, à cause de la longue période d’incubation du virus, ils auraient été « relâchés », causant ainsi le début de l’épidémie.
Diffusé massivement par la propagande soviétique, le « rapport Segal » fit le tour du monde. Ainsi, on commença à retrouver dans la presse de dizaines de pays et même aux États-Unis que le Sida aurait été créé dans un laboratoire du Pentagone et que des prisonniers américains auraient été utilisés comme cobayes pour des expériences militaires.
Ce n’est qu’en 1992, après l’effondrement de l’URSS, que le chef des services secrets russes, Evgueni Primakov, admit que le KGB était l’instigateur de l’opération Infektion.
Comment l’Union soviétique a-t-elle réussi à manipuler le monde entier à son avantage ?
Les Soviétiques, considéré·es comme les maîtres·ses dans l’art de la désinformation, avaient compris que trahir la confiance de l’adversaire pouvait s’avérer profitable. La désinformation constituait donc l’un des piliers de la doctrine soviétique dite des « mesures actives ». Elle recouvrait tout un éventail de techniques et d’activités clandestines destinées à faire fuiter de fausses informations dans les médias étrangers.
En effet, la pratique du renseignement différait considérablement de part et d’autre du Rideau de fer. Tandis que les services de renseignement occidentaux se démenaient pour rassembler de vraies informations, les soviétiques effectuaient des opérations de tromperie en diffusant des informations erronées afin d’influencer l’opinion publique. En divulguant rapidement à travers le monde cette fausse information au grand public sur le Sida, les soviétiques espèrent ainsi se rapprocher un peu plus de la victoire par un effet boule de neige.
Le KGB a donc créé cette rumeur de toute pièce, afin d’affaiblir son principal ennemi, les États-Unis. Quant au virus du Sida, le VIH, on sait qu’il a été décrit pour la première fois en 1981. L’Institut Pasteur rapporte que grâce à des études, la communauté scientifique en a déduit que le virus était présent dès 1959 et s’était déjà répandu en Afrique entre 1970 et 1980. Il est donc possible que le VIH ait pu exister dans une population isolée avant de s’étendre en raison de l’urbanisation croissante du monde ou de l’augmentation des flux de populations.
Aujourd’hui, une troisième patiente séropositive au VIH est en rémission suite à une greffe de cellules souches de sang issues de cordon ombilical. Selon l’Institut Curie, il s’agit, en plus d’une excellente nouvelle, d’une « découverte majeure » qui pourrait mener à un traitement durable contre cette maladie sexuellement transmissible.