La venue de l’avenir : sortie collège au cinéma

Par Madeleine Gerber
Photo DR
Publié le 27 juin 2025
C’est la comédie (dramatique, apparemment) du temps des cerises. Les jeunes laissent tomber les écrans pour redécouvrir leur arbre généalogique à la suite d’un héritage qui se transforme en enquête. Aller-retour entre passé et présent, porosité entre les époques et les corps en pleine puberté. On pourrait parler de déception, si encore, l’on s’attendait à quelque chose en entrant dans la salle. Madeleine, envoyée spéciale à Cannes, vous parle du nouveau film de Cédric Klapisch, qui en est à sa 5e semaine dans les cinémas de l’hexagone.
Cannes, 22 mai 2025. Il fait chaud et je fais la queue des sans-billets, pendant des heures, près du Palais des Festivals. Avec un peu de chance, les touristes n’auront que faire de ce film 100% français avec des acteur·ices bien de chez nous et des costumes d’époques, dans un Paris de fond-vert-de-carte-postale. Pari réussi donc, quand je monte les marches en rasant les bords. Quand on n’a pas de billets au festival, pas de tapis rouge sous les pieds, malgré les beaux atours. Comme des chiens galeux, on se retrouve à grimper furtivement jusqu’aux plus hautes places de la salle. De là, l’écran fait la taille d’un téléphone, mais au moins, je peux enlever discrètement mes talons. Quand commençons-nous à parler du film ? Eh bien, laissez-moi meubler avec le contexte comme je peux, généralement quand un film n’est ni bon, ni raté, il n’y a pas grand-chose à en dire…
La venue de l’avorton
À la vue du jeune casting (Suzanne Lindon, Vassili Schneider, Paul Kircher…), on peut se dire qu’iels jouent bien. Mais aussi qu’iels jouent dans une autre catégorie. Celle des népo babies. Ces enfants, né·es dans une famille déjà bien installée dans le milieu, ont, par conséquent, plus d’opportunités que le commun des mortel·les qui alternent entre cours de théâtre, auditions infructueuses et job alimentaire. Cela n’enlève rien au talent qu’on pourrait leur prêter, mais leur ascension dans le cinéma est largement facilitée. C’est un fait. En interview, où ce cast all-inclusive est pointé du doigt, Klapisch s’offusque : il n’y aurait même pas prêté attention[1]. Les petites choupettes… on ne va pas les pénaliser pour être né·es dans une bonne famille ! C’est bien là, reconnaître que la plupart des acteur·ices connu·es, en place, font partie d’une bande de privilégié·es qui s’imposent comme une évidence dans chaque choix de casting. Pourquoi chercher la perle rare si l’on a déjà sous la main, quelqu’un qui peut faire l’affaire et dispose d’une fan base susceptible de payer son ticket d’entrée ?
Malgré l’aversion que j’éprouve pour Suzanne Lindon – que je ne puis dissocier de son premier film, où elle se met en scène, en pick me originelle, plus intéressée par un vieux mec que par les filles de son âge – on ne peut que souligner son investissement dans le film. Elle porte le casting et semble croire à son personnage et à cette histoire. Rêvant sans doute, de cette époque où les femmes corsetées pouvaient aimer des hommes bien ridés, à 16 ans, sans que cela ne soulève de débat sur Tik Tok. Pas d’inquiétude ! Dans le film, Klapisch entend bien jouer de l’anachronisme en développant une romance entre jeunes (jeunes) gens, qui se permettent même un rapport sexuel hors mariage.
Si le reste du casting semble moins convaincant, c’est sans doute la faute du scénario qui n’offre pas des personnages d’une grande profondeur, avec un parler qui sonne parfois faux dans les dialogues. On notera aussi la version Temu[2] de François Civil, sous les traits d’Abraham Wapler. Un reflet assez troublant, tant dans les manières, la diction, que dans cette persona de trentenaire un peu cool, un peu touchant, un peu chill et un peu marrant. Un peu. Last but not least, le caméo de Cassandra Cano, star des réseaux, qui a le droit de monter les marches, pour son misérable rôle auto caricatural, quoique merveilleusement interprété. (Je suis une influenceuse idiote et égocentrique qui crache à la toile des œuvres d’art).
Enfin, si vous voulez une raison de vous taper la tête contre un mur jusqu’à en faire gicler le sang, jetez un œil aux interviews du trio légendaire Suzanne, Paul et Vassili. Promo oblige, un micro est laissé sans surveillance devant ces petites bouches, qui vont plus vite que les connexions neuronales. Ainsi, quand Paul reste muet[3] (peut-être n’a-t-il pas entendu le « Action! »), Suzanne et Vassili jouent aux nostalgiques[4] du haut de leur 25 ans et 26 ans. Regrettant l’époque des voyages en bateau, pour prendre le temps, et des lettres à la place des textos. « Mon rêve ce serait qu’on revienne au mode de vie d’avant » nous confie Vassili. D’un coup, éclair de génie : « Il y a quand même du progrès, il y a cinquante ans les femmes n’avaient pas le droit de voter », qui ne sera pas suivi d’une tempête intellectuelle. Avant c’était mieux : c’est un vilain discours de droite où, rétropédalage vers un idéal d’harmonie, s’accompagne d’un recul du progrès social.
Alors, tu préfères : écrire une lettre testament en mourant pendant un avortement clandestin sur un bateau ou vivre en 2025 ? Qu’on les envoie en croisière écrire des cartes postales pour qu’iels en oublient le Pétain-way-of-life. C’est la venue de l’avenir, pas du passé. Sinon le jeu de mot ne fonctionne pas.
La venue de l’enseignement
Ce qui semble particulièrement insupportable dans La venue de l’avenir, c’est son côté didactique. Chaque dialogue est une leçon trop générale pour être intéressante (quand on a passé le bac). Peut-être le réalisateur s’est-il découvert une passion pour l’art pendant le tournage ? Quelques cartels lus à l’Orangerie, l’auront-il poussé à changer le scénario ?
En allant voir le film, vous n’apprendrez donc pas que les impressionnistes se basent sur leurs impressions au détriment du naturalisme de la couleur. Que Nadar était le numéro 1 des photos-portraits de l’époque. Que le fauvisme est né d’une critique dans un salon. Cette dernière info, me semble être dans le film, mais j’ai maintenant un doute en me rappelant avec frissons l’exclamation ravie du quota féminin, incarné par Cécile de France, qui, en retournant dans le passé grâce à un maximum de drogue, se flatte d’être draguée par Victor Hugo. Illustre personnage incarné par François Berléand (la chance), qui en 2024, se plaçant du côté des femmes dans l’affaire Depardieu, en appelle à la mesure et au respect de la présomption d’innocence, tout en rappelant que c’est pas facile pour les boomers de s’intégrer dans une société de tous les interdits[5]. On devrait l’enfermer dans une pièce avec Suzanne et Vassili, en ressortirait peut-être un népo baby difforme (Frédéric Beigbeder[6]).
Ainsi la 5e B du collège Plaisance (Créteil, 94) aura appris la technique de peinture sur le motif de Monet, mais aussi son lien de parenté avec François Civil (Abraham Wapler). Et de l’union du peintre François Monet Wapler avec une prostituée (Sara Giraudeau) serait née Suzanne Lindon (Adèle). Un mic mac consanguin et élitiste visant à dominer le box-office français pour les années à venir, assurément.
La venue de l’incompréhension
Enfin, l’on ne saurait où ranger certaines scènes et partis prix artistiques. La business woman magnifique, hautaine et stressée (Cécile de France) qui se fait charmer par un apiculteur anarchiste aux cheveux gras (Vincent Macaigne). Une histoire d’horreur parmi toutes celles sorties du cerveau d’hommes complexés par leur physique et la réussite féminine. Mais dans le cinéma comme dans la vie, on a l’habitude de voir des XY clairement pas au niveau de leurs compagnes. Touche de naturalisme, donc.
La palme de l’étonnement revient au personnage de prof (Zinedine Soualem) qui a le droit, pour son pot de départ, à une déambulation dans les couloirs d’un collège, sur fond de techno [7]. Le tout filmé par Monet François Civil Abraham qui parachève sa rédemption de créateur de contenu merdique à créateur de contenu banal. On ne pointera que l’évidence en mentionnant le clip, réalisé par ce dernier, pour Pomme (autre caméo, mais dans le film elle s’appelle Fleur haha). Il fallait bien au génie du montage, deux écrans, une mixette et de solides connaissances en effets spéciaux pour lui pondre le clip de l’année : en image par image. Coincé dans un passé qui tient plus de 2011 que de 1895.
La photo est jolie par instant, les costumes crédibles au point de les oublier. Ce n’est pas là un cinéma qui se moque de son public, tout est mis en œuvre pour en faire un divertissement agréable au visionnage. Mais quand le niveau de réflexion est d’une pauvreté affligeante (le clin d’œil aux prémices du cinéma n’est pas là pour m’attendrir), l’on est en droit de se moquer. On saluera donc le travail de tous·tes les technicien·nes, mais pas celui du réalisateur.
Klap(isch) de fin.
[1] « C’est bizarre parce que ce n’était pas volontaire. Je m’en suis aperçu vraiment en fin de casting. Il y a même pour certains, je me suis dit : est-ce que je les enlève du casting parce que j’ai trop d’enfants de ? Et puis, je me suis dit que c’est absurde. Je ne vais pas refuser des gens parce que leurs parents sont acteurs. Donc, je me suis dit que c’était un truc qu’il fallait assumer. », Brigitte Baronnet, Allociné, « La Venue de l’avenir : un casting « népo baby » ? Comment Cédric Klapisch réagit aux commentaires virulents, 24 mai 2025. » https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=1000144223.html
[2] Wish n’étant plus d’actualité, on se référera ici à un site internet proposant des dupes, articles à moindre coût, en faisant travailler ses employé·es/esclaves pour des poussières. Pour les plus âgé·es d’entre nous, perdu·es dans les notes de bas de page, on utilisera le substantif de « leaderprice », voire de « ersatz » plus signifiant pour nos boomers ayant connu la guerre et les tickets de rationnement.
[3] « Cannes 2025 : rencontre avec Suzanne Lindon, Vassili Schneider et Paul Kircher », Elle, 24 mai 2025. https://www.dailymotion.com/video/x9k2t0i
[4] « Suzanne Lindon et Vassili Schneider : l’interview en tandem », Marie Claire, 16 juin 2025. https://www.dailymotion.com/video/x9lgnmo
[5] « S’il a fait ce qu’on lui reproche, c’est monstrueux ; s’il ne l’a pas fait, ça l’est aussi parce que jusqu’à preuve du contraire, il est innocent, c’est la loi française. Il est issu d’une époque, les années 70, où il était interdit d’interdire. Je ne veux pas lui trouver de circonstances atténuantes, mais ce qu’il a vécu dans sa jeunesse est terrifiant. », François Berléand, propos cités dans « François Berléand s’exprime sans filtre sur l’affaire Gérard Depardieu : « Je suis du côté des femmes » », Benoît Lesueur, Télé 7, 29 janvier 2024. https://www.programme-television.org/news/people/polemique/francois-berleand-s-exprime-sans-filtre-sur-l-affaire-gerard-depardieu-je-suis-du-cote-des-femmes-4723667
[6] Auteur méprisable de Confessions d’un hétérosexuel dépassé, le titre a tout d’un avertissement.
[7] Belle découverte néanmoins : KOMPROMAT – NO STRANGER TO HEARTBREAK. https://www.youtube.com/watch?v=kMff5zuo9JQ&list=PLMWFuKVlSicALLqwrZowRXFTbI0z68ONQ&index=30