« Disco » de Vivian Suter : entre Lisbonne et Paris

Par Nastasia Titova
Photo ©Nastasia Titova
Publié le 24 juin 2025
Depuis le 12 juin, une exposition de l’artiste peintre Vivian Suter est ouverte au public au Palais de Tokyo. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’elle est montrée, venant du MAAT de Lisbonne, et, à travers un focus sur son premier accrochage, nous proposons ici la possibilité d’une comparaison pour les visiteur·euses.
Après avoir été présentée à Lisbonne, au MAAT (Musée d’Art, Architecture et Technologie), l’exposition « Disco », composée de près de 500 peintures de l’artiste suisso-argentine Vivian Suter, s’ouvre au public à Paris, du 12 juin au 7 septembre 2025, au Palais de Tokyo. C’est pourtant l’exposition de Lisbonne qui nous intéressera ici, afin que les visiteur·euses du Palais de Tokyo puissent découvrir la façon dont cette artiste, qui détermine elle-même, de façon « intuitive »[1] et en collaboration avec les commissaires d’exposition, l’accrochage de ses œuvres, réagence ses expositions selon les architectures qu’elles habitent.
Une déambulation à travers l’exposition
En entrant dans la MAAT Gallery, l’un des deux espaces d’exposition du MAAT, nous nous retrouvons sur son étage supérieur, perché·es, lorsque nous nous approchons du parapet, au-dessus d’une vaste salle à la forme ovale. Si nous suivons le parcours à gauche, nous faisons, après la lecture d’un court texte introductif, le tour de la salle à travers une longue rampe avant d’accéder aux œuvres. Celles-ci, accrochées aussi bien aux murs qu’à des structures en bois rappelant des étendoirs, suspendues au plafond, déposées au sol sur une petite élévation, sont toutes des toiles libres, sans châssis. Tout au long de notre descente, fort longue si nous observons attentivement chaque œuvre accrochée aux murs, le long de la rampe, nous pouvons par moments nous retourner afin d’observer la salle vers laquelle nous descendons. Dans l’air, des toiles libres ont été accrochées, et l’ensemble rappelle un parcours labyrinthique à travers une forêt. Placés au centre de la salle, nous pouvons, en nous tournant, avoir une vue d’ensemble de cette exposition, qui habite l’espace d’une seule grande salle, sans pouvoir néanmoins observer toutes les toiles en même temps.

Couleurs vives, aplats, lignes et formes nous entourent, dans un ensemble à la fois abstrait et rappelant des éléments du paysage, du monde naturel : nous pouvons par moments reconnaître plantes, animaux, paysages. En nous rapprochant des toiles, nous observons sur celles-ci des résidus de feuilles, de boue, parfois des empreintes des pattes des chiens de l’artiste. L’exposition est par ailleurs intitulée Disco en hommage à l’un de ces derniers. Malgré un fort lien entre ces œuvres, créées majoritairement au long des dix dernières années, une très grande diversité est observable. Entre toiles entièrement recouvertes de couleurs et toiles sur lesquelles se posent lignes et aplats sans la recouvrir, entre couleurs vives et variées et peintures utilisant majoritairement le noir, les dimensions varient, bien que les œuvres soient toutes d’un grand format. Alors que certaines peintures comprennent des allusions implicites au monde naturel, d’autres semblent s’approcher plus de l’abstraction totale, et d’autres encore contiennent des représentations plus franchement figuratives.
Le parcours parmi ces œuvres peut ressembler à une spirale qui termine, une fois la salle d’exposition elle-même atteinte, par une déambulation libre entre œuvres aux accrochages divers. Dans cette forêt, aucun chemin n’est tracé à l’avance et aucune indication n’est donnée, aucun texte n’est présent à part celui qui introduit l’exposition. Il est en outre possible d’accéder à la salle en descendant rapidement un escalier, en remontant ensuite lentement à travers la rampe après une déambulation entre toiles accrochées, suspendues ou posées.
Un processus artistique qui se base sur la nature et qui l’implique
Vivian Suter, née en 1949 en Argentine, puis ayant vécu à Bâle, vit depuis plus de quarante ans au Guatemala, près du lac Atitlán. Habitant une ancienne plantation de café, qui comprend forêt et jardin, elle y développe une œuvre monumentale, en lien étroit avec la nature et le paysage environnant, que ce soit par son influence sur son répertoire de motifs et de formes ou par l’action directe. Ainsi, Suter laisse la pluie, mais aussi les débris naturels telles les feuilles, influencer et recouvrir ses toiles, laissées dans la jungle pendant un certain temps après avoir été peintes. Elle enterre également certaines de ses toiles, pendant un certain temps, laissant l’action de la nature s’opérer sur son travail.

C’est en 2005 et 2010 que deux tempêtes, accompagnées d’inondations, causent de nombreux dégâts sur ses peintures, les recouvrant d’eau et de boue. Cependant, une nouvelle approche s’impose à l’artiste lorsque, en débarrassant ses œuvres de la boue et en les mettant à sécher, la beauté de cette intervention de la nature lui apparaît et cette dernière devient, dès lors, une force agissant dans son travail. Elle commence alors à accepter l’action de la nature et du climat sur son celui-ci et travaille avec celle-ci plutôt que contre elle. Ses chiens, dont Disco, cohabitent également avec ses toiles, et les empreintes de leurs pattes sont parfois visibles sur ses peintures. La puissante nature qui domine son lieu de travail est une source d’inspiration constante dont ses toiles semblent souvent reprendre formes ou fragments. Toutefois, Suter les transforme. L’artiste affirme ainsi dans une interview de que « les couleurs ne sont pas choisies selon ce [qu’elle voit], mais selon ce [qu’elle sent] ».[2]
Un accrochage intuitif et variable selon le lieu d’exposition
Vivian Suter affirme qu’il est toujours « fascinant »[3] d’assembler son propre travail sur des murs blancs. Lorsqu’elle expose ses œuvres, qui n’ont ni date, ni titre, l’artiste procède en effet différemment, selon l’architecture dans laquelle elle s’inscrit et ses conditions. Ainsi, si une exposition est présentée dans plusieurs espaces, comme c’est le cas cette fois-ci, l’accrochage est modifié. Cet accrochage, très divers, comprend toiles accrochées aux murs, mais aussi toiles flottant librement dans l’air ou toiles accrochées sur des structures rappelant de grands étendoirs. Les toiles sont parfois posées au sol, directement ou sur des structures pensées à cet effet, individuellement ou en « piles ». Lorsqu’elles sont accrochées sur des structures-« étendoirs », elles ne sont pas tout à fait visibles – chaque œuvre en occulte partiellement une autre – et miment la façon dont les toiles sont gardées dans l’atelier de Suter au Guatemala.

Dans ces dispositifs, la vision de le·a visiteur·euse est conditionnée, l’expérience de la densité de l’exposition semble pouvoir être associée à la densité de la nature dans les alentours de l’atelier à l’air libre de l’artiste. Celle-ci dit avoir un ressenti « physique, et sculptural aussi sur [sa] peinture », et ce caractère sculptural de son œuvre est visible dans cet accrochage. Dans ce processus, un seul titre existe : celui de l’exposition, dont chaque peinture, dépourvue de titre, devient une partie.
Une exposition, deux pays, deux espaces
Après avoir été présentée à Lisbonne, cette exposition est à présent ouverte au public à Paris, au Palais de Tokyo. Contrairement à sa version portugaise, elle présente, outre les peintures de Vivian Suter, un ensemble de collages de Elisabeth Wild, mère de l’artiste. Dans de nouvelles conditions architecturales, l’exposition et son accrochage se sont transformés. Elle est distribuée sur plusieurs salles et les œuvres s’agencent différemment. Issue d’un partenariat entre deux institutions et à l’origine d’une nouvelle monographie, cette exposition est à découvrir à Paris jusqu’au 7 septembre 2025.

[1] VIVIAN SUTER Prix Meret Oppenheim 2021 Interview avec Vivian Suter, consultée le 15 juin 2025.
[2] Vivian Suter on her exhibition at Camden Arts Centre, 2020 Interview avec Vivian Suter, consultée le 14 juin 2025.
[3] (2087) VIVIAN SUTER Prix Meret Oppenheim 2021 – YouTube Interview avec Vivian Suter, consultée le 14 juin 2025.
Sources:
Site web du MAAT: Vivian Suter – Disco | MAAT
Site web du Palais de Tokyo: Disco, Vivian Suter – Palais de Tokyo
Flyer de l’exposition “Disco” au MAAT, avec texte rédigé par Sergio MAH.
Site web SortirAParis, afin de trouver des photographies de l’exposition au Palais de Tokyo: Disco au Palais de Tokyo : nos photos de l’exposition de Vivian Suter – Sortiraparis.com
Interviews et conversations filmées avec l’artiste:
Vivian Suter – Disco. Entrevista / Interview
Vivian Suter in conversation with Adam Szymczyk
Interview with Vivian Suter
Vivian Suter on her exhibition at Camden Arts Centre, 2020
VIVIAN SUTER Prix Meret Oppenheim 2021
Autres vidéos consultées:
Vivian Suter at Camden Arts Centre