Enquête sur le chabaret

Par Madeleine Gerber
Publié le 3 mai 2025
Illustration ©Théophile-Alexandre Steinlen, Affiche Chat noir, 1896
L’image finit par piquer les yeux. Des toilettes de ta tante au plateau en plastique inutile vendu 10 euros place du Tertre, elle est partout. Ce chat noir en 2D, aux moustaches fièrement dressées. Auréolé d’une rosace quasi divine, l’on ne sait s’il nous toise ou nous sourit. Sa posture tient du lion. Sa queue enroulée masque le « D » sur l’affiche. « Prochainement tournée du chat noir de Rodolphe Salis ». Trop de mystères entoure cette icone parisienne, nous sommes là pour les percer.
Après un rapide tour sur Wikipédia (sans pour autant y faire de don) j’apprends ceci : le chat noir n’est pas un animal ; (enfin si, mais surtout) un cabaret où règne en maîtres une bande de mecs dont leur alpha leader se trouve être le fameux Rodolphe Salis. Leur petite fantaisie a commencé en 1881 et s’est finie 1897 quand ledit Rodolphe a clamsé.
Rodolphe le fifou
Le père de notre charmant cabaretier était limonadier. Il faisait de la limonade. Visiblement à l’époque pas besoin de diversifier ses activités pour faire son beurre. Toujours est-il que son pétillant fiston était un énorme rat qui rechignait à payer son personnel (ce sont eux·lles qui le payent quand le cabaret commence à faire parler). Rodolphe il te renverse une économie le temps d’un numéro de claquette.

Mais revenons aux débuts de notre ami. Son premier business ? De la peinture d’images religieuses. Mais Rodolphe est un artiste qui trouve de l’inspiration au fond de la bouteille. Il veut donc ouvrir un café pour boire de l’absinthe. Ce sera le chat noir, au 84 boulevard Rochechouart. Pourquoi ça marche alors que l’alcool n’est pas terrible et la déco non plus ? Parce que le Rodolphe a le sens du spectacle. Les client·es sont trié·es par un videur qui a le swag d’Elmer supplément dorure : les autorités militaires et religieuses se voient refuser l’entrée. Reste les peintre·sses, les poète·ses et les petites gens qui sont venues pour s’arracher la tête à coup d’absinthe et éventuellement trouver un peu d’inspiration.
Une leçon d’entreprenariat
Les affaires marchent bien, alors Rodolphe change de local et s’installe au 12 rue Laval (aujourd’hui Victor Massé) avec son cabaret…Le chat noir. Pourquoi changer de nom quand ça marche si bien ? On reste sur une ligne édito arty. C’est un peintre catalan qui anime le lieu, tout ça dans les locaux d’un autre peintre. Célèbre pour ses poète·sses et ses musicien·nes, le cabaret l’était aussi pour ses pièces de théâtre d’ombre. L’attraction est créée en 1886 par Henri Rivière et Henry Somm qui font jouer les lumières colorées à travers les silhouettes de zinc.

Mais ça manque de bagout, alors Rodolphe convainc un pote (Emile Goudeau) de ramener sa bande d’écrivains délulu (les Hydropathes) pour animer le lieu, ce qui attirent beaucoup de nouveaux·lles client·es. Pour faire simple, c’est un one man show permanent pour vanner les gens du public qui adorent se faire tirer dessus. Exemple : Tiens, t’es finalement sorti de prison ? Énormes barres.
On doit aussi à Rodolphe la chanson de cabaret (rien que ça), parce qu’à l’époque c’était visiblement interdit d’avoir un piano pour pousser la chansonnette dans son établissement. Comme le boss aime transgresser les interdits, il a eu l’avantage sur la concurrence qui respectait la loi. Selon les dires du musée de Montmartre qui cite lui-même Le Monde (sans donner plus de références), la police aurait autorisé l’instrument. Des noms illustres comme Satie et Debussy chatouillèrent même les touches. En tout cas, l’affaire marche tellement bien que notre bon Rodolphe invente le concept de tournée et se produit dans toute la France (sans pour autant allonger les billets quand il s’agit de payer la loc’).
C’est toi le chat !
Mais pourquoi le nom Chat noir ? Rodolphe cherchait-il à porter la poisse à son établissement ? Mais non ! Le grand homme avait trouvé un minou au poil anthracite pendant les travaux du cabaret. La légende ne dit pas s’il lui a offert le logis et le couvert après en avoir fait son emblème, même si le frauduleux article du musée de Montmartre parle d’une adoption. On se garde de cette vision optimiste, avarice rimant avec Rodolphe Salis et ledit article servant de brochure d’appel au don pour la rénovation d’une partie du musée. Par ailleurs, on peut aussi voir dans ce nom une référence à la sombre nouvelle Le Chat noir d’Edgar Allan Poe (1843), qui fut traduite de l’anglais par notre Baudelaire national, client fidèle du cabaret.

L’icône de ce chat noir, figure de l’errance, de la solitude, de la pauvreté fait écho aux artistes et aux marginaux·ales qui peuplent le cabaret. Tout comme ce chat, créatures de la nuit, iels se cherchent une place dans la ville Lumière, surtout à la tombée du jour. Le chat noir prend aussi des allures mystiques, susceptible de faire s’abattre un grand malheur sur celui ou celle qui le croise.
La marque déposée se décline en revue (Revue du Chat-Noir), en chanson (Le Chat Noir d’Aristide Bruant) en livre (Contes du chat noir, de Rodolphe Salis) et en affiches se déclinant les unes les autres. Théophile-Alexandre Steinlen (un malade des chats) qui avait commencé par des dessins pour la revue, s’occupe du design de la sacro-sainte affiche, servant à promouvoir le théâtre d’ombre et la tournée.


La lithographie aura su imprégner son époque, ainsi que notre rétine contemporaine. Qui aurait cru que cette figure bohème de l’artiste maudit·e et rejeté·e aurait fait fureur chez les êtres les plus conventionnels de notre siècle ? Quoique, pour acheter un repose-plat Chat-Noir à 26 euros, il faut quand même avoir un grain (et du blé).
Je cherche fortune ;
Le Chat noir de Aristide Bruant
Autour du Chat Noir,
Au clair de la lune,
À Montmartre, le soir.
Lecture d’époque
https://www.le-livre-cle.fr/fr/bibliotheque-cle/aristide-bruant-1851-1925/non-defini-ou-inconnu/472-le-chat-noir-chanson/
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62307x.texteImage
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100739796/f7.item
Sources honteuses
https://fr.wikipedia.org/wiki/Rodolphe_Salis
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Chat_noir
Sources pompeuses
https://www.carnavalet.paris.fr/collections/chat-noir-enseigne-du-cabaret-eponyme-successivement-situe-84-rue-de-rochechouart-12
https://numero.com/art/art-art/comment-le-chat-noir-de-theophile-alexandre-steinlen-est-devenu-une-icone-parisienne/
Source sans sources
https://museedemontmartre.fr/nous-soutenir/mecenat-chat-noir-musee-montmartre/